curieux de voir ce canal qui apporte annuellement le tribut du
fleuve, et ces citernes qui conservent et distribuent leurs eaux au
gré des habitons.
Occupé de ces idées , le voyageur descend à terre : il ne voit pas
une foule d’Arabes presque nus qui sont autour de lui. Toute son
attention se porte sur un nombre prodigieux de tronçons de colonnes
de porphyre, de granit et de marbre qu un peuple ignorant
a confusément entassés le long de la mer pour opposer une barrière
aux vagues ¿ et former un quai Spacieux, assez mal entretenu.
Les matelots de notre navire nous conduisirent à la maison
qu’habitaient le proconsul de la République et tous les négociant
français : elle est à la partie méridionale du port n eu f, vers l’extrémité
de la ville. C’est un .vaste bâtiment carré, au milieu duquel
est une grande cour,'OÙ,nous remarquâmes sur leurs .affûts deux
pièces de canon dirigées vers la porte d’entrée : on aurait pris
celle-ci pour la porte d’une forteresse, tant elle était épaisse. Cet
appareil menaçant, qui ne s’accorde guère avec l’humeur pacifique
des négociàns, a paru sans doute nécessaire dans un pays .ou la populace,
fanatique et .féroce, est toujours prête à se soulever contre
les Européens, et ko porter à.toutes sortes d excès contre, eux. Il
faut alors que la crainte retienne les plus hardis, ou qqe les obstacles
donnent le tems à la force armée d’accourir et de dissiper l’attroupement.
Les premiers jours de notre arrivée furent employés à parcourir
la ville arabe, dont il ne reste aujourd’hui que l’enceinte, et la
ville moderne bâtie sur la digue qu’on avait élevée pour joindre le
continent à la'petite île de Pharos. Cette digue forma deux vastes
ports, capables de recevoir tous les navires que le commerce la
plus étendu pourrait y amener : celui de l’ouest se nomme le p ort
-,v ieu x ; l ’autre est connu sous le nom de p o r t n eu f ou de grand
port. Comme les eaux du N il donnent à celles de la mer, au devant
d?Alexandrie, une direction de l’est à l'o u e s t,;le grand port se
comble de j-our en jou r, et la digue a pris, de ce côte, un tel a c croissement,
que les Turcs ont pu, des ruines de la ville arabe, y
élever celle que nous voyons aujourd’hui.
L epo rt neuf doit être plutôt regardé comme une rade que comme
un port : il est trop ouvert et trop exposé aux vents de nord. D ’ailleurs
, il n’a pas assez de fond pour recevoir les. gros vaisseaux de
guerre. Les navires marchands mouillent le long du môle qui unit
l ’île de Pharos au rocher sur lequel le phare était placé. Les bateaux
du pays peuvent seuls mouiller le long du quai de la ville.
Dans les mauvais tems un navire un peu g ro s , surtout s’il est
chargé ,■ court le risque de toueher de sa quille contre le fond et de
s’ouvrir. Un inconvénient plus grand encore, c’est que les navires
sont obligés de se serrer et de se placer sur plusieurs rangées : leurs
cables sont croisés ; de sorte que s i, par un coup de vent, les cables
d’un navire cassent, Celui-ci peut entraîner son voisin, et de l’un
à l’autre tous peuvent être dans le plus grand danger. On en a vu
périr plusieurs fois un grand nombre de cette manière. Nous avons
été témoins , en pluviôse, de la perte d’un navire français par un
vent impétueux de nord-ouest ; il vint échouer dans le p o r t, un
peu au dessous du pharillon.
Les Européens ne peuvent aller mouiller dans le port vieux :
l ’entrée leur en est interdite. Le gouvernement et le peuple s’y
opposent également. Toutes les tentatives que l ’on a faites à ce. sujet
ont été infructueuses. Les vaisseaux de guerre peuvent, en é té,
mouiller à l’entrée du port neuf, à l’est du Diamant ; mais en hiver
ils doivent éviter les parages de l ’L g y p te , ou se résoudre à aller
dans la mauvaise rade d’Aboukir, pour en repartir le plus tôt possible.
Un vaisseau de guerre français, obligé de relâcher à Aboukir
à cause d’une forte voie d’eau, obtint du gouvernement du Caire,
par la voie du commissaire des relations commerciales, un fîrman
qui lui permettait d’entrer dans le port vieux afin de s’y réparer.
Les ordres étaient très-précis et conçus de la manière la plus forte;
mais le peuple d’Alexandrie s’y opposa avec tant d’opiniâtreté, que
le vaisseau fut obligé de mettre à la voile pour Malte, dans l’état
où il se trouvait, au risque de périr dans la traversée. Cette obstination
de ne vouloir permettre l’entrée des vaisseaux européens
dans le port vieux est d’autant plus surprenante, qu’elle est contraire
aux intérêts de la v ille , puisque l ’abord des bâtimens, en