pour quelques instans le navire , à aller nous désaltérer, à aller
respirer un air frais et pur ; mais les rochers qui bordaient la côte
nous effrayaient. Nous nous serions même tenus à une très-grande
distance d’eux si la mer n’avait été calme, si le tems n’avait été
beau, et si le vent n’avait paru devoir être constant.
Le a6 prairial, le vent ayant passé au sud, nous fîmes route sans
perdre la côte de vu e , et mouillâmes, vers les trois heures du so ir ,
dans le port de Rhodes.
Cette île, que les Turcs enlevèrent, en l’année lôaa , aux chevaliers
de Saint-Jean-de- Jérusalem, peut être considérée comme la
troisième du Levant, par son importance, sa position, son étendue
et sa fertilité. Elle n’est séparée du continent que par un bras
de mer de trois à quatre lieues de largeur : elle a en face le port
Chevalier ; au n o rd , le golfe de Symi ; au nord-est, le vaste et profond
golfe de Ma c ri, dans lequel les Anglais réunirent leurs forces,,
il y a deux ans , lorsqu’ils voulurent attaquer l ’Egypte , occupée
par les Français.
Tous les bateaux du pays, et presque tous les navires qui vont
de Constantinople, de Smyrne, de Salonique ou de tout autre port
de la Grèce et de l’A r ch ip e l, en Syrie et en Égypte , ou qui en
reviennent, passent par le détroit de Rhodes, mouillent dans le
port et y prennent des provisions ; ce qui attire, en ce lieu, beaucoup
d’étrangers, et en fait l ’entrepôt de toutes les denrées des
environs.
Les objets d’exportation de Rhodes sont le coton, le v in , l ’huile,
les oranges, le miel, la cire et quelques fruits secs, tels que figues,
raisins et amandes. Le froment et l’orge qu’on y récolte, ne suffisent
pas aux besoins des habitans : ils en tirent de la Caramanie
et de l ’Égypte. Ils tirent aussi, de la première, la plupart des moutons
que l ’on égorge aux boucheries.
On compte dans la ville huit à dix mille habitans, dont cinq à
six mille Turcs, et trois ou quatre mille Grecs. Ceux-ci logent dans
un faubourg situé au nord. Toute la population de l’île , y compris
celle de la ville, n’excède pas aujourd’hui trente mille ames,
quoiqu’elle pût en nourrir dix fois autant si elle était cultivée
comme elle devrait l ’être. Le v in , l’huile, le coton et la soie seraient
pour Rhodes une source abondante de richesses sous un gouvernement
plus éclairé que celui des Turcs. On sait à quel degré
de population , de richesse, de prospérité et de gloire parvinrent
autrefois les Rhodiens par la culture des terres et le commerce maritime
j on sait avec quelle énergie ils combattirent, à plusieurs
époques différentes, pour leur liberté et leur indépendance.
La ville est située au nord-est de l ’île, sur la pente d’un coteau,
à l ’endroit même qu’occupait l ’ancienne Rhodes. Le port est peu
étendu, peu profond : il ne reçoit que les bateaux du pays et quelques
navires marchands. Les gros vaisseaux de guerre mouillent
au dehors. Les galères de l ’Ordre entraient autrefois dans un second
po rt, séparé du premier par une jetée : elles y étaient plus en sûreté
que dans l ’a u tre , et plus à l’abri des vagues. Rhodes est bien
bâtie , et se ressent encore du séjour des Européens. Les rues y
sont assez larges : on voit dans la principale un grand nombre de
maisons avec les armes des chevaliers qui les occupaient lorsque la
•ville leur fut enlevée.
Il y a ordinairement à Rhodes un pacha à trois queues, qui a
sous sa dépendance Stancho et une partie de la Caramanie. A côté
du port est un chantier, sur lequel on construit des vaisseaux de
guerre avec les pins à pignons que l ’on retire de l ’intérieur de l’île ,
et les chênes que l’on fait venir des montagnes de la Caramanie.
Cette île , que Savary a cru avoir été détachée de la côte voisine
par l ’effet des vo lcans, ne présente , dans les endroits que nous
avons visités, aucun indice de feu souterrain. Les montagnes sont
calcaires : on voit au nord de la ville, et non loin de la mer, un
poudingue siliceux, et plus loin un grès , qui n’est autre chose
qu’un mélange de sable et de gravier. Rhodes nous a paru faire
suite aux montagnes de la Caramanie, et se lier à celles de Crète
et du Péloponèse. Cérigo et Cérigote d’un côté, Caxo et Scarpante
de l’autre, sont les points intermédiaires de cette chaîne.
A quatre ou cinq lieues à l’ouest du p o rt, nous vîmes , au sommet
d’une montagne, également calcaire, les ruines d’une ville où
il est probable que les chevaliers de Saint-Jean s’étaient établis