C H A P I T R E XV.
D ép art du Caire. Séjour à R o sette} à A le xa n d r ie . R elâché
à Rhodes , à L éro , à Nagara. Arrivée à Cons-
tàntinople.
N o n s avons dit que peu de jours après notre retour de la plaine
des Momies, et au moment où nous nous disposions à porter nos
pas sur les rives de la Mer-Rouge, nous fûmes rappelés à la capi-
taie de l’Empire othoman par l’envoyé extraordinaire de la République.
A la lettre qu’il nous éc r iv a it, était jointe une lettre du
ministre des relations extérieures, datée du i 3 frimaire an a (1) ,
qui nous tirait enfin de l’état d’incertitude dans lequel nous étions
depuis près de deux ans. Le ministre nous accordait un interprète,
et les sommes qui nous étaient nécessaires pour remplir dignement
la mission dont nous étions chargés. Ainsi nous pûmes dès-lors exécuter
le projet que nous avions formé de nous rendre en Perse
par l’Asie mineure et la grande Arménie.
Cependant, quitter l ’Égypte sans avoir pu aller à Suez, sans
avoir pu contempler le vaste et profond golfe d ’A rab ie , sans avoir
pu remonter le N il jusqu’à Thèbes et Dendera, sans avoir parcouru
la partie orientale du Delta , c ’était y laisser des regrets , ou emporter
l ’espoir d’y revenir un jour ; c’était desirer que ceux qui
viendraient après nous, fussent plus heureux, pussent observer
avec plus de tems, plus de moyens , cette contrée intéressante , et
y recueillir des notions plus exactes et plus étendues que celles que
nous avions obtenues.
L ’ordre de se rendre provisoirement à A lexandrie, que l ’envoyé
extraordinaire venait de faire passer aux négocians du Cajre, aurait
dû être, pour les beys, l ’annonce d’un mécontentement qui pouvait
( i) Il y ava it, comme on v o it, seize mois que cette lettre était partie de Paris.
avoir des suites très-fâcheuses. Mais ces hommes , nés au pied du
Caucase ou vers les bords les plus reculés du Pont-Euxin, esclaves
depuis leur enfance, n’ayant jumáis appris qu’à manier un sabre
ou conduire un cheval ; ces hommes ignorans, fiers de leur élévation
, sans aucune prévoyance pour un danger incertain ou éloigné,
firent peu d’attention au départ de quelques négocians étrangers j et
si Mourad et Ibrahim hésitèrent un instant à délivrer la permission
qu’on devait obtenir d’eu x , c’était moins parce qu’ils jugeaient que
cette retraite irriterait la France et la Porte à cause des motifs qui
l ’avaient amenée, que parce qu’ils craignaient d’être privés à l ’avenir
des marchandises européennes , dont ils voulaient toujours
user. Aussi tous les obstacles furent levés dès qu’on leur eut observé
que le commerce des Français ne pouvait manquer de passer
entre lès mains des Italiens. La permission ne parut pas plutô t, que
les négocians se hâtèrent d’en profiter : nous fûmes tous en état
de nous rendre à Boulac , et de mettre à la voile le i er. floréal.
Notre navigation fut très-heureuse : les sables ou les bas-fonds
retardèrent rarement notre marche ,. parce que nous n’avions pas
permis que nos bateaux fussent chargés. Les vents soufflèrent faiblement
du sud, de l’ouest et du nord, et nous arrivâmes à Rosette
le cinquième jour de notre départ du Caire.
Nous restâmes quelques jours à Rosette pour attendre que le vent
nous permît de franchir, sans danger, la barre qui se trouve à l’embouchure
du Nil.
Deux jours après notre arrivée nous fûmes frappés, le matin,
en sortant du Ht, de l’horrible spectacle d’un homme empalé devant
nos fenêtres, pour s’être introduit furtivement dans une maison,
et y avoir volé quelques effets. Ce crime est extrêmement rare
en Turquie r quoique les maisons soient en général très-mal fermées,
que la plupart des serrures soient en bois, ét que les fenêtres
du premier étage soient très-souvent ouvertes'en l’absence des habitaos.
Ce respect pour l’intérieur des maisons', dans un pâyS ou les crimes
de toute espèce sont assez fréquens, tient peut-être à la jalousie
des Turcs à l’égard de leurs femmes, et au principe religieux, qui
B b a