orgueil est blessé, ne pouvait d’ailleurs prononcer entre un des
principaux oiEciers de l’Empire et le souverain de la Perse sans
entendre le premier, et sans connaître les vrais motifs qui faisaient
agir le second.
Cependant Kérim , qui desirait avoir un prétexte de faire la
guerre, et qui savait bien qu’il ne pouvait pas se rendre plus agréable
à ses sujets qu’en s’emparant de Bagdad et de Bassora, et par-là
des contrées qui renferment les dépouilles des mortels les plus vénérés
des Persans (1 ), leva une armée de cinquante mille hommes,
dont il confia le commandement à Sadek-Khan son frère, avec
ordre de marcher sur Bassora et d’en faire le siège.
Suleiman, mutselim de Bassora, instruit des préparatifs de K érim
Khan , se procura à la hâte des vivres et des munitions, pour
un an ; il arma environ quinze mille hommes , tant arabes que
janissaires, avec lesquels il se flattait de faire lever le siège ou de
pouvoir attendre, à tout événement, les secours que le pacha devait
lui envoyer. Les murs de la ville étaient bons quoique en te rre,
et défendus par cent pièces de canon de divers calibres : ils étaient
entourés d’un large canal qui communiquait avec le fleuve, et tous
les habitons étaient bien disposés à seconder les efforts de leur
gouverneur, dont ils connaissaient la bravoure , et dont ils estimaient
les qualités morales.
Bassora avait alors dans ses murs plus de quarante mille habi-
tans (2). Son enceinte, beaucoup trop considérable pour sa population,
a une largeur de quinze à seize cents, pas géométriques le
long du fleuve des Arabes, et une longueur de trois mille pas dans
les terres (3). Mais à peine le quart de cet espace est-il occupé par
des maisons : on ne voit dans tout le reste, que jardins et champs
(1) A l i , gendre de Mahomet ; Hussein , fils d’A li ; Musa , descendant d’A li et
tant d’ autres.
(2) Il y en a à peine quinze mille aujourd’hui.
(3) Voyez dans le Voyage en Arabie de Niébuhr le plan et la description de
Bassora. Cette ville est sur la rive occidentale du fleuve des Arabes, à quinze lieues
de son embouchure, et à 3o degrés 3o minutes de latitude septentrionale.
cultivés
cultivés en froment, en coton, ou plantés de dattiers. Le faubourg
ou village de Menavi, qui est du côté du fleuve, et qui a lui-même
un mur fortifié, est compris dans cette enceinte ; mais les maisons
q u i, à proprement parler, forment la ville de Bassora, sont à demi-
lieue du fleuve.
Des que la -ville fut menacée de siège, les Anglais firent passer
leurs effets sur trois navires de leur nation , qui se trouvaient dans
le port; ils s’y rendirent ensuite tou s, et firent voile pour Bombay.
Les religieux Carmes et l ’agent de la compagnie française des Indes,
ainsi que quelques Italiens protégés de la France, restèrent dans la-
ville, et n’eurent à se plaindre, ni des Turcs pendant le siège, ni
des Persans lorsqu’ils eurent pris la ville.
Kérim-Khan avait fait armer dans les ports du golfe Persique
trente galvettes, espèces de cutters portant quelques canons : elles
devaient attaquer par eau la ville, et seconder les efforts que l’armée
devait faire par terre ; elles entrèrent dans le fleuve vers le
milieu de germinal iy j5, et se présentèrent devant Bassora en même
tems que l ’armée.
Le grand-seigneur entretient à Bassora un capitan pacha, commandant
une fio tille d’une cinquantaine de taknès, petits bateaux
armés en guerre, avec lesquels cet officier doit protéger le commerce
et empêcher qu’il ne paraisse aucun pirate dans le golfe Persique,
ni sur le Tig re , l’Euphrate et le fleuve des Arabes. Mais cette
flotille était en si mauvais é tat, qu’elle ne pouvait rien tenter contre
les galvettes. Sadek-Khan l’eût bientôt prise ou détruite sans., que
le capitan pacha eût fait le moindre effort pour s’en servir ou la
sauver ; ce qui eût été facile pour le moment, puisqu’on aurait pu
la faire entrer dans le canal intérieur qui traverse ime partie de la
ville, et qui part du fleuve, au dessus de Menavi.
Quoique les Persans montrassent beaucoup de courage, quoiqu’ils
eussent quelques pièces de canon de gros calibre, et deux
Européens pour les diriger, le siège-traîna en longueur par les
bonnes dispositions du mutselim, et plus encore par la sottise des
astrologues de l’armée, qui, consultés à chaque fois que le canon
avait fait brèche, avaient répondu qu’ils lisaient dans les cieux
Tome II . E e e