la cause à la nature des terres qui sont déposées par le Nil ; car il
s’ensuivrait que toutes celles d’alluvion devraient produire le même
■effet ; c’est ce qu’on ne voit cependant pas à l ’embouchure des
grands fleuves , dans les autres parties du globe. D ’ailleurs, on ne
pourrait l’attribuer à la même cause en Perse, où le sol est très-
élevé au dessus du niveau de la mer, fort distant d’elle, et de fo r mation
très-ancienne.
. Il est bon de remarquer que les terrains où ce sel se forme, sont
tous privés d’arbres , et n’ont presque pas de végétaux : ils sont
naturellement inclûtes ou abandonnés depuis quelque tems. Lorsque
nous décrirons la Perse , cet Empire malheureux, désolé par
la guerre civile depuis l’expulsion des sophis, nous ferons remarquer
que des plaines fort étendues , autrefois fertiles et productives
, ne présentent auj ourd’hui qu’un sol aride, parsemé de plantes
salines, sur lequel se forme un natron assez semblable à celui de
l ’Égypte.
. Nous sommes donc fondés à croire que ce sel se formerait en
moindre quantité en Égypte et en Perse, si les terres y étaient aussi
cultivées qu’autrefois; qu’il serait moins répandu dans l ’a ir, et que
son action étant alors presque insensible, les ophtalmies y seraient
beaucoup plus rares. Voyons-nous, en effet, dans l ’Histoire, que,
sous les règnes de X ercès, de Darius, sous celui des Ptolémées, les
habitans de la Perse et de l’Égypte fussent affligés de maux d’yeux
comme ils le sont aujourd’hui? '
Un reproche bien plus grave sans doute que l ’on fait au climat
de l’É gypte , c’est que les Mameluks ne peuvent se naturaliser sur
cette terre étrangère, et y laisser une lignée subsistante : leurs en-
fans périssent toujours dans la première et la seconde génération.
Ce fait-me parut assez intéressant, en arrivant en Égypte, pour
-mériter un examen attentif. Je ne négligeai rien pour découvrir
s’il était occasionné par l ’influence de l’air ou par la forme du
gouvernement des Mameluks ; s’il était la suite nécessaire de leurs
vices, ou le résultat de l’éducation de leurs enfans.
Il est bien vrai que ces étrangers ont en général très-peu d’enfans,
par les raisons que nous exposerons plus bas ; mais l ’observation
ne
ne prouve pas que ces enfans , mariés à des esclaves géorgiennes
et circassiennes , ne soient aptes à laisser après eux une postérité
plus ou moins nombreuse. La plupart des beys , des cachets , et
de simples Mameluks que je pourrais citer, ont laissé des enfans
sains, robustes, et pères d’autres enfans aussi sains et aussi ro bustes
qu’eux. L ’observation prouve aussi que .les Européens établis
en Égypte, mariés à des femmes étrangères, jouissent, comme
en Europe, de toutes les douceurs de la paternité. On sait que les
Grecs et les Romains ont vanté l ’extrême fécondité des femmes en
Égypte, et qu’ils n’ont point dit que les Perses , voisins des contrées
où les Mameluks ont pris naissance, ne pussent se naturaliser sur
cette terre qui leur était pareillement étrangère.
N’accusons pas le climat de l ’Égypte : il est trop p u r , il est trop
sain pour porter atteinte aux organes de la génération , ou altérer
la faculté prolifique de l’homme; ses productions alimentaires sont
trop nombreuses et trop abondantes pour diminuer la. force et la
vigueur qui lui sont naturelles. Examinons plutôt si ce n’est pas
la forme du gouvernement des Mameluks, leurs moeurs et l’éducation'
vicieuse de leurs enfans qui ont donné lieu à cette étrange
opinion.
Par une bizarrerie que l’on a de la peine à concevoir , une poignée
d’esclaves, achetés ordinairement dans la G éo rgie, la Cir-
cassie et la Mingrelie, gouvernent en Égypte un peuple d’hommes
libres , e t , par une bizarrerie non moins singulière , le Mameluk
ne transmet à ses enfans ni son pouyoir ni sa fortune. Ses esclaves,
à sa mo r t, partagent ses dépouilles, en attendant d’obtenir
un jour son crédit et sa puissance. Le fils, répandu dans la foule ,
n’a d’autres biens pour vivre , que les économies de sa mère, ou
les produits de sa propre industrie ; il ne peut obtenir l’avantage
d’être admis parmi les Mameluks. C’est ainsi que, depuis plus de
cinq cents ans, les oppresseurs de cette fertile contrée ne se sont
renouvelés et entretenus que par l’achat.-annuel d’un certain nombre
d’esclaves. On sent bien que leurs enfans,, sans pouvoir, sans
crédit et sans fortune, répandus souvent parmi la classe du peuple
la plus indigente, ou obligés de s’expatrier,pour obtenir ailleurs
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