que des voyageurs, dans un pays où les routes sont infestées de
voleurs, avaient besoin d’être armés. Il nous offrit alors le sien en
échange. C’était un fusil très-long , très-solide , monté à la turque,
pesant trois fois plus qu’un fusil de guerre européen. Nous
lui dîmes que son arme valait bien mieux que la nôtre ; que son
fusil était très-bon pour la guerre, tandis que celui qu’il desirait,
ne pouvait servir qu’à la chasse j qu’au reste, s’il était dans l’intention
d’avoir un fusil à deux Coups pareil au nôtre , nous lui en
ferions venir un d’Alep pour la valeur de 5o à 60 piastres. Il persista
long-tems dans sa demande, et nous tout autant dans notre
refus, sans qu’il en parût offensé.
Le 12 la pluie continua, et fut même très-forte. Toute la caravane
était en plein air ; nous seuls étions logés chez un Arabe ,
dont la maison, en terre, consistait en un rez-de-chaussée de douze
pieds en carré. La femme et les enfans de cet Arabe furent très-empressés
à nous servir et nous procurer ce dont nous eûmes besoin.
Nous trouvâmes dans ce village, du beurre et du lait excellens,
du miel assez bon , et du fromage détestable ; les oeufs y étaient
abondans, et les poules fort grasses. Pour nous concilier les bonnes
grâces de l’aga et lui faire oublier le refus que nous avions fait de
lui vendre notre fusil, nous lui envoyâmes quelques livres de sucre
et de café, dont il nous sut bon gré : ce présent nous valut de sa
part deux agneaux.
L a journée se passa dans l’irrésolution : nos moucres ne savaient
quel parti prendre. Nous proposâmes d’envoyer un exprès
au scheik des Arabes voleurs, pour lui demander un sauf-conduit
moyennant un présent : c’était l ’avis de l ’aga ; ce fut celui de
toute la caravane J mais quand il fallut le mettre à exécution , on
aurait cm être dans le conseil des rats. Les Arabes du village
prétextèrent qu’ils étaient en guerre avec les autres, et personne
dans la caravane ne voulut accepter la commission. On proposa
de faire demander au prince de Géziréh, que l’on savait être à une
petite journée , une lettre et quelque officier qui en fût porteur.
L ’aga se chargeait, moyennant dix piastres, de nous faire avoir
la réponse le lendemain : nous en offrîmes vingt aux moucres s’ils
s’arrêtaient à cet avis : nous ne les y pûmes déterminer. La journée
se passa sans rien conclure.
Le i 3 , même incertitude, même irrésolution. Les uns étaient
d’avis de retourner à Merdin, les autres voulaient attendre : quelques
uns prirent le parti de retourner.
Le 14 , nous vîmes ven ir ,.v e r s les dix heures du matin, une
caravane de Mossul : elle avait passé moyennant un présent de
cinquante piastres qu’elle avait fait offrir au chef de la horde avant
de mettre les pieds sur ses terres.
A l’arrivée de cette caravane, nous crûmes que toutes les difficultés
seraient facilement levées, et que , moyennant de l’argent,
nous arriverions sans accident à Mossul : nous ne doutions pas
que nos moucres ne suivissent l ’exemple qu’on venait de leur
donner.
Nous partîmes le 14 à midi : la pluie avait cessé ; le tems était
fort doux et le ciel très-serein. A une lieue du village, nous passâmes
une petite rivière que les pluies avaient grossie. Nous ne
fûmes pas plutôt à l’autre bord, que nous vîmes venir à nous trois
Arabes armés, dont un à chev al, et les deux autres à pied. Nous
augurâmes mal de la frayeur qui s’empara de tous nos compagnons
de voyage : on eût d it, à les v o i r , que toute la horde ennemie
venait nous attaquer. Cependant nous n’avions rien à craindre
d’elle, puisque nous n’étions pas encore sur ses terres. Ces Arabes,
en nous abordant, nous dirent, avec arrogance, que nous ne passerions
pas outre si on ne leur comptait à l ’instant dix piastres.
C’était borner à peu de chose leurs prétentions. La. Caravane fut
un moment sur le point de compter cette somme : nous conseillâmes
de n’en rien faire. A quoi b on, dîmes-nous, donner de l ’argent
à trois hommes dont on n’a rien à craindre, et qu’on pourrait
punir à 1 instan t de leur témérité f La caravane, que nos armes
et notre contenance rassuraient, se décida à refuser de donner les
dix piastres. Il s’éleva alors une querelle qu’on eût cru devoir se
terminer par l ’effusion du sang. Plusieurs fois ces Arabes menacèrent
de frapper ; plusieurs fois ils vinrent roder autour de nous
pour considérer nos armes, et voir peut-être si nous ne serions pas