Cet état de guerre ne pouvait durer long-tems : il ne »convenait
ni aux uns ni aux autres. Les Arabes pasteurs n’avaient plus le
même débouché pour la vente de leurs denrées, et ne savaient ou
s’adresser pour celles qui leur étaient, nécessaires. Les Alexandrins,
de leur côté, étaient obligés de tirer par mer toutes leurs subsistances
; de sorte que l’intérêt faisant taire tout ressentiment ét
toute animosité, on en vint à des explications. On se fit des presens
de part et d’autre : on promit d’oublier ce qui venait de se passer,
et la paix fut conclue. Nous avons vu venir peu de tems après de
ces déserts une caravane qui apportait des dattes , du beurre et du
fromage, et amenait en même tems quelques chevaux.
Pendant que les portes furent fermées, nous parcourûmes plusieurs
fois l’enceinte de la ville arabe, et nous observâmes avec
attention les restes des monumens qui y sont répandus. Elle a
trois mille six cents pas» ordinaires ou mille cinq cents toises de
l ’est à l’ouest, et mille deux cents ou cinq cents toises du nord au
Sud. Ce qu’il y a de plus remarquable , ce sont quelques restes
d’anciens édifices, les deux obélisques connus sous le nom A’A ig
u illes de C léopâtre, les deux monticules factices, les citernes, et
les jardins que les modernes Alexandrins y vont cultiver.
Lorsqu’on parcourt la ville arabe, on est frappé de l ’élévation
du sol et des décombres que l ’on voit : partout des amoncellemens
considérables attestent les fouilles nombreuses qu’on y a faites pour
en retirer les débris, dont la ville moderne a été construite. On rencontre
partout des ouvriers occupés à déblayer, à trois ou quatre
toises de profondeur, les restes des fondemens des anciens édifices.
On fait de la chaux avec les marbres et les pierres-calcaires :
les autres matériaux sont employés aux nouvelles constructions.
Les colonnes un peu grosses sont sciées, et converties en meules
de moulin : celles de moyenne grosseur servent à soutenir les galeries
des maisons, et sont toujours placées sans a rt, sans gout :
jamais on ne voit deux colonnes égales pour la hauteur, l’épais-
geur et la matière. Le chapiteau sert bien souvent de base, et quelquefois
un morceau de bois informe est adapte au tronçon d une
colonne, de la plus grande beauté.
Les Arabes et les modernes Alexandrins ont tellement détruit
les anciens monumens grecs, qu’on doit être surpris de voir encore
debout trois colonnes de granit thébarque, qui faisaient partie de
cette superbe colonnade qui régnait tout le long de l ’ancienne rue
de Canope. On voit tout près de là quelques restes du lycée, formés
de briques liées par un mortier très-dur. Ces restes annoncent par
leur étendue, la majesté de l ’édifice auquel ils ont appartenu j mais
on ne peut s’en faire une idée juste, parce que ces ruines sont couvertes
en grande partie par des terres rapportées.
Les obélisques situés prè.s du port n euf sont des masses trop considérables,
et leur matière est d’ailleurs trop dure pour qu’ils puissent
être entamés. Ils existeront sans doute encore long-tems dans
cet état, et tout ce qui les entoure sera détruit avant qu’ils présentent
des changemens sensibles. L ’un d’eux est encore debout ; l’autre
est renversé, et caché en partie soüs le sable. Ils sont de granit rose,
et couverts de hiéroglyphes depuis leur base jusqu’à leur sommet.
Ils sont parfaitement bien conservés sur trois faces, mais un peu
endommagés sur celle du nord. L ’obélisque qui est encore debout
a sa base dans le sable, de sorte qu’on ne peut reconnaître la manière
dont il est posé. Mais à en juger par celui qui est renversé,
et au dessous duquel on remarque quatre cavités carrées, on doit
présumer que l ’autre est soutenu par quatre cubes de b ronze, ainsi
que l ’obélisque égyptien de la place de l’H yppodrome de Constan-
tinople. Il serait curieux de faire déblayer la base de celui qui est
debout, autant pour s’assurer de ce fait, que pour connaître le piédestal
sur lequel il a été posé, et par ce moyen le véritable niveau
du sol de l ’ancienne ville, que tant de ruines successivement entassées
paraissent avoir élevé de plusieurs pieds.
Il n’est pas douteux que les deux monticules que l’on voit dans
l ’enceinte de la ville arabe n’aient été formés par la main de
l ’homme, puisqu’on y remarque des fragmens de toute espèce de
poterie, de brique, de marbre, de granit et dej)orphyre.(Mais quel
a été l’objet de leur formation F A-t-on seulement voulu entasser
des décombres pour déblayer le terrain F ou bien leur formation
a-t-elle eu pour motif de servir de reconnaissance aux marins,