L a maîtresse du logis, âgée d’environ cinquante ans , était devant
une sorte de cheminée, accroupie sur ses jambes, une pipe à la
bouche. Sa b ru , jeune et jo lie , et une esclave blanche assez bien
faite, étaient à ses côtés, et recevaient ses ordres. Elles pétrirent,
sans levain, dans un petit bassin de bojs , de la farine de froment;
en firent des pains qu’elles mirent cuire sur l ’âtre après en avoir
éçarté la cendre et les charbons ; elles apprêtèrent au beurre èt au
blé mondé une sorte de pilau, et servirent à souper aux moucres.
Quand la cheminée fut lib re , ce fut notre janissaire qui s’en empara.
Il nous y prépara, au moyen de nos provisions, un pilau au
riz. Pendant notre repas, soit par curiosité , 'soit par convoitise ,
soit peut-être aussi par honnêteté, tous les hommes vinrent se
placer autour de nous. Comme ils fixaient attentivement une bouteille
de vin qu’on nous avait servie, nous leur en offrîmes ; nous
les pressâmes même beaucoup de boire : tous refusèrent, quoique
tous certainement eussent voulu en goûter; mais personne n ’osa
commencer, chacun en particulier craignant, en présence des autres,
de faire ce que les lois et la religion défendent. Nos deux compagnons
de voyage; que l’aspect de ces Mahométans intimidait,
ne voulurent pas non plus en goûter : ils ne furent pas si scrupuleux
les jours suivans.
Notre souper fini, et le café distribué par notre domestique à
tous les assistans, aux femmes même, le maître de la maison, son
fils et le janissaire prirent notre place; le domestique mangea seul
à p a r t, d’un cô té , et les trois femmes de l ’autre. Cependant nous
étions sur nos matelas, larges de deux pieds, épais de deux pouces,
et nous attendions, pour dormir, que chacun eût pris son parti
et fût allé se coucher ; mais nous nous trompâmes : personne ne
sortit de la chambre, et quoique le froid ne fût pas sensible, les
femmes ne quittèrent pas le feu et babillèrent à haute voix jusqu’au
matin. Les moucres et les hommes de la maison fumèrent sans
interruption une grande partie de la nu it, et remplirent la chambre
d’une épaisse fumée. Nos deux compagnons ronflèrent à côté de
nous : nous ne dormîmes pas, de sorte que cette nuit nous parut
aussi longue que désagréable.
Dès
Dès que le jour parut, nous fûmes sur pied; mais nous ne partîmes
pas plus tôt pour cela. Le moucre fuma tranquillement plusieurs
pipes, prit plusieurs tasses de café, et chargea ensuite lentement
ses montures avec la seule assistance de son valet. Il était
déjà huit heures lorsque nous montâmes à cheval. II nous tardait
pourtant beaucoup de quitter ces lieux et de pénétrer dans, les
montagnes que nous voyions devant nous, espérant que l’Histoire
naturelle nous dédommagerait de la mauvaise nuit que notis venions
de passer.
Les terres blanches et crayeuses que nous trouvâmes sur notre
route, ne nous donnèrent pas une bien grande idée de leur fertilité.
Nous ne vîmes, dans une étendue de plusieurs lieues, que-quelques
carrés où l’on reconnaissait la main de l’homme : tout le reste
était abandonné, et ne pouvait servir qu’à faire paître des troupeaux.
Nous èûmes ensuite une descente très-rapide1,1—qui nous
conduisit dans un vallon, charmant par sa verdure et la variété
de ses productions. Une petite rivière en suivait les sinuosités, et y
portait la vie et la fécondité. On y voyait des massifs d’arbres et
d’arbrisseaux, des champs ensemencés, des prairies qui se prolongeaient
au loin , et de chaque côté s’élevaient, en amphithéâtre,
des vignés, des forêts de myrtes à fruit blanc et à fruit violet. Nous
y vîmes la fontanesia , plante intéressante, de la famille des jasmins,
dont nous prîmes des graines (1 ), et un chêne de médiocre
grandeur , d’un beau v e r t , qui se distingue de celui à feuillès de
châtaignier de l ’Amérique septentrionale {2 ) , par les dentelures
qui sont terminées en pointes aiguës dans celui de la Syrie, et qui
sont obtuses dans celui de l ’Amérique : les feuilles sont d’ailleurs
un peu plus longues dans l ’espèce dont il s’agit ici -, et que nous
avons représentée p l. 32. Le gland est gros et c o u r t, et renfermé
(1) Fontanesia phillyreoides , fo liis ovato-oblongis , utrinquè a cutis jloribus
racemosis. Labillard. Icon. pl. Syriæ rar. pag. 9.
(a) Quercus prinus. Michau x, Hist. des Chênes de l’Amér. septent. PI, 6 ,
7 , 8 et 9.
Tome II. O o