Abdéraman, qui voyait son pouvoir affermi pour toujours dans
A le p , aurait pu se contenter de faire mourir, par la mort la plus
prompte et la moins cruelle, les schérifs qu’il avait dans les fers ; il
aurait pu leur faire trancher la tête ou les faire étrangler dans leur
prison, ce qui eût été pourtant d’une excessive rigueur ; mais cette
mort ne pouvait satisfaire Abdéraman. Cet homme, qui s’était toujours
montré juste et humain, crut nécessaire, dans cette occasion,
de présenter aux habitans d’Alep l ’affreux spectacle de la douleur
et des tourmens prolongés ; il crut q u e , par un supplice aussi horrible
qu’inusité, il leur imprimerait à tous une terreur salutaire ,
et empêcherait à jamais les révoltes. Il fit en conséquence garnir
de longs crampons de fer les murs extérieurs d’une tour de la citadelle
, et fit précipiter chaque jo u r , du haut de cette to u r , plusieurs
de ses victimes. On ne les retirait que lorsqu’il n’y avait plus
de doute sur leur mort.
Alep jou it, après ces exécutions, de la plus grande tranquillité,
et Abdéraman s’acquit le plus grand crédit auprès de la Porte. Elle
c ru t , quelque tems après, lui donner une preuve du cas qu’elle
faisait de ses talens, en lui envoyant un ordre de marcher contre
un bey du Caire qui menaçait Damas. Abdéraman’reçut avec respect
l’ordre de la P o r te , eut l ’air d’obéir avec zèle, fit avec célérité
ses préparatifs, exigea à cet effet tout l’argent qui lui était
nécessaire, après q u o i, au lieu d’aller combattre le b e y , il prit la
route du Beylan, où il a vécu tranquille depuis lors.
Après la retraite d’Abdéraman, les janissaires se sont emparés
peu à peu du pouvoir, et ont commis les mêmes excès qu’on reprochait
aux schérifs. Comme eu x , ils ont mis à contribution les particuliers;
ils ont taxé les marchandises ; ils ont accaparé les denrées
de première nécessité ; ils ont soutenu en place les hommes qui lés
favorisaient ; ils ont repoussé ceux qui leur déplaisaient et qui
n’entraient pas dans leurs vues. C’est par l ’influence des janissaires
qu’un personnage de leur corps est venu à bout de réunir les douanes
du pachalik, la ferme générale des impôts, et qu’il a obtenu le
titre de mutselim. Enfin, c’est la tyrannie des schérifs, et ensuite
celle, des janissaires, qui a détruit autour d’A lep plus de deux cents
villages
villages dans un espace de tems assez court. Depuis lors les douanes
, le karacht et l’impôt sur les terres ne produisent plus dans
ce pachalik que 4oo bourses ou 4po,ooo f r . au lieu de 800 qu’elles
produisaient! autrefois.
Les Alepins cependant passent, avec raison , pour les hommes
les plus polis, les plus gais, les plus aimables de la Turquie : on
les .distingue des autres Musulmans par la façon de s’exprimer et
la manière de se vêtir. Les femmes se font de même.remarquer des
autres Musulmanes, par une conversation plus agréable , plus spirituelle
; par un accent plus doux, par un maintien plus aisé. On les
dit belles en général, fort aimables, mais voluptueuses et libertines
lorsqu’elles peuvent l ’être sans danger. A lep , à cet égard, ressemble
à une capitale où la cour du prince aurait long-téms résidé, et
ôù les habitans, par l ’effet de cette cour , seraient dévenus plus
polis , plus maniérés et plus corrompus., n ;
; L a dépravation dps moeurs n ’y est pas telle cependant qu’on
pourrait, le penser. La décence s’y est maintenue, et les intrigues
amoureuses plus communes sans doute que dans les autres villes
de l’Empire, que dans la capitale même, sont pourtant bien plus
rares qu’en Europe , et le scandale y est beaucoup moins fréquent.
L é soubachi veille attentivement au bon ordre., et la garde qu’il fait
et la nuit et le jour egt assez sévère. D ’ailleurs, les janissaires les
plus libertins ont unÆessource dans les villages de Keftin et Mar-
ta van, situés à-dix lieues à l’occident d’Alep. L à ; ils trouvent
tout un sexe qui se fait un devoir d’offrir gratuitement ses charmes
aux étrangers ; et qui brigue à l’envi l ’honnèur de. la préférence.
■-•■Beaucoup de voyageurs ont parlé de ces deux villages e t des
moeurs des habitans : ils sont entrés dans quelques détails sur la
manière dont le péseving- bachi distribue les femmes suivant lé
goût d’un chacun, sur le léger droit qu’il perçoit, sur l’empressement
que les parens d’une fille ou. le mari d’une femme mettent, à
fixer le choix de l’étranger ; mais aucun n’a parlé de d’origine de
ces usages, qui me paraissent transmis par les ancêtres de.ces habitans,
et qui tiennent évidemment à un principe religieux, au culte
Tome II. R r