C H A P I T R E X.
V exa tio n s et outrages de M ourad e t d ’ Ibrahim envers
les négocians e t agens fra n ça is. Causes e t considérations
qui devaient entraîner V expéd ition fra n ça ise en
É g yp te.
S i Mourad et Ibrahim s’étaient contentés d’appesantir leur cupide
et barbare gouvernement Sur les malheureux habitans de l’Egypte,
ce n’était pas de la part de ce peuple qu’ils avaient à redouter la
punition de leurs excès.
S’ils s’étaient bornés àjpressurer les cultivateurs , à rançonner
les marchands, à taxer arbitrairement toutes les denrées du pays,
toutes les marchandises qu’on y apporte, leur règne aurait pu se
prolonger, parce q u e , avec de l’a rgent, ils auraient continue
d’acheter des esclaves, e t , avec des esclaves, ils n’auraient pas
cessé d’obtenir de l’argent.
Mais, trop ignorans pour savoir mettre des bornes à leur tyrannie
trop étrangers à ce qu’on nomme la politique, ou à l ’art de
ménager les autres puissances, ils devaient, non-seulement dans ses
négocians , mais dans ses rep ré sen ta i même, outrager de toutes
les manières la nation la moins propre à supporter l’outrage. G est
par-là qu’ils provoquent le trop juste châtiment qui doit les atteindre^
la foudre vengeresse qui vient les irapper.
Ici de trop grands, de trop extraordinaires événemens se préparent,
se présentent devant nous, pour ne pas chercher à développer
les causes qui doivent les faire naître, et les considérations
qui doivent les justifier.
Le commerce de la France avec l’Egypte était assez solidement
établi, et se faisait avec assez d’avantages malgré l’instabilité du
gouvernement des beys, malgré l’état d’avilissement dans lequel
les Francs se trouvaient au C a ire , malgré le peu de probité des
chrétiens du pays , par qui toutes les affaires devaient passer.
Sans doute les capitulations étaient sauvent lésées , et le consul
était loin d’en imposer à la race des Mameluks, aussi fière qu’ignorante
et fanatique ; mais les bénéfices étaient si considérables, que
les négocians supportaient sans peine les sacrifices qu’ils étaient
obligés de faire pour obtenir sûreté et protection. Moyennant un
léger droit sur leurs marchandises * ils avaient formé une caisse
qui fournissait à toutes les avanies.
Le nombre des maisons de commerce était monté jusqu’à d ix ,
et celui des Français à près de cent lorsque le gouvernement, en
!7 7 7 , crut devoir rappeler à Alexandrie le consul-général, parce
qu’il ne pouvait pas empêcher les avanies que les beys faisaient
aux négocians, et qu’il ne jouissait pas de toute la considération
due à l ’agent d’une grande nation, peut-être aussi pour des raisons
qui nous sont inconnues.
Le gouvernement avait espéré que les négocians se transporteraient
à Alexandrie avec le consul, et que le commerce s’y ferait
avec la même facilité et les mêmes avantages : il se trompa. Les
négocians préférèrent leur avilissement. Ils restèrent au C a ire ,
parce qu’ils craignirent que les profits ne diminuassent d’un ou
deux pour cent s’ils venaient établir leurs maisons à Alexandrie.
Nous remarquerons néanmoins qu’après la retraite du consul
les avanies ne furent pas augmentées, et que les vexations ne furent
pas plus fortes qu’auparavant. Chaque maison de commerce
achetait, par des présens, la protection de quelque bey , 'à l’abri
de laquelle les affaires se faisaient assez bien, et les bénéfices- étaient
encore assez considérables ; et si depuis lors le nombre des maisons
a été insensiblement réduit à quatre., c’est moins à la retraite du
consul qu’il faut en attribuer la cause, qu’à la diminution réelle de
notre commerce dans presque toutes les échelles du Levant. Le consul
d’ailléurs n ’avait pas tardé à revenir à son poste.
L ’expédition d’Hassan-Pacha, en 1786, vint déranger cette position
des Français. Dans l’espoir qu’il rétablirait d’une manière
solide, en Egypte, la puissance du grand-seigneur, ils montrèrent
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