Les marchands et les négocians, qui se sont vus protégés, ont
accouru en foule à Mossul, et ont donné un libre cours à leurs
opérations de commerce. Les caravanes ont été plus nombreuses,
parce que cette ville a plus consommé, et qu’elle est devenue ce
que sa position lui permet d’être, un très-grand entrepôt. L ’industrie
dès-lors a multiplié ses bras ; Y agriculture a doublé ses productions;
la population a beaucoup augmenté, et le peuple, envoyant
naître l’abondance, a goûté en même tems les avantages d’une vie
exempte,de sollicitudes et d’alarmes.
Ce n’est pas seulement à la sagesse du pacha que Mossul doit
tous ces avantages : il les doit à la certitude que ce gouverneur a
acquise d’être confirmé chaque année, et d’avoir pour successeur
un de ses plus proches parens. Depuis que la famille de Abd-el-
D g e lil, très-nombreuse , très-opulénte et originale de Mossul,
est parvenue au gouvernement de cette province, le grand-seigneur
s’est vu en quelque sorte forcé à accéder chaque année au voeu du
peuple, et envoyer le Jîrman de confirmation. Et comment résister
à ce voeu lorsque les impôts sont régulièrement versés dans le trésor
impérial, et les ordres de la Porte promptement exécutés ! Comment
aussi se refuser, à la mort du pacha, de nommer, pour lui
succéder, celui qui est désigné par les ayams assemblés, lorsque
le candidat d’ailleurs a , plus qu’aucun autre, les moyens de faire
valoir ses prétentions. .
Ainsi le pacha, pouvant së soutenir par son propre crédit et par
celui de sa famille , n’a pas eu besoin d’une garde nombreuse.
Ayant acheté son pachalik de ses propres fonds , et certain de
recouvrer peu à peu ses avances, il s’est abstenu de pressurer le
peuple -comme font ses semblables, qui ont emprunté à un très-
gros intérêt, et qui sont pressés de s’acquitter. Se persuadant enfin
qu’il est inamovible , il a regardé son gouvernement comme une
propriété qu’il lui convient d’améliorer ; il s’est donc cru intéressé
à empêcher les avanies, les concussions , les actes arbitraires, et
favoriser au contraire l’agriculture, l’industrie et le commerce,
afin d’augmenter pour lui-même les sources de ses richesses.
La garde particulière du pacha n ’est que de deux cents hommes,
parce que, entouré de l’opinion, soutenu par l’amour du peuple,
il est bien plus en sûreté avec deux cents hommes qui lui sont dévoués
, que le pacha d’A c r e , par exemple, au milieu de son armée
qui le hait, et qui est toujours prête à passer sous les drapeaux d’un
autre chef qui pourrait la mieux payer. Le pacha d’Acre a besoin
d’une armée pour se maintenir dans son usurpation, et cette armée,
comment la nourrir, si ce n’est par les extorsions, le pillage èt le
monopole ? Une simple garde suffit au pacha de Mossul pour le
servir dans son palais et porter ses ordres au dehors, et cette
garde est payée par les revenus ordinaires de la province. Aussi,
quelle différence dans la manière d’être de ces deux pachas ! L ’un
est maintenu en place par la volonté du souverain ; l ’autre, lui étant
rebelle, ne peut conserver sa tête contre les entreprises des capid-
jis-baschis qué par la méfiance et l’espionage. L ’un, peut dormir
tranquille au milieu de sa garde comme au sein de sa famille ; l ’autre
va se barricader au fond de son palais , et ne se croit pas assez en
sûreté malgré les fusils, les pistolets, les poignards qui sont autour
de lui. L ’ün peut aller partout, seul et sans armes ; l ’autre est obligé
de s’entourer de l’appareil imposant de la force. L a vérité se présente
avec confiance à l ’un ; la seule adulation ose parler à l ’autre.
L ’un entend partout les hymnes de la reconnaissance, et ne voit
que l’expression du bonheur; l’autre n’entend que le cri de douleur
du malheureux qu’il tourmente, ou n’apperçoit autour de lui que
le silence expressif du mécontentement. L ’un obtient pour prix de
sa conduite, la paix de l’àme, l ’estime des gens de bien; l’autre
est dévoré de remords et chargé de l’exécration publique. L ’un
enfin, en mourant, emportera les regrets du peuple; l ’autre sera
accablé de sa malédiction.
Il dépendait de nous d’obtenir une audience du pacha ; on nous
dit même qu’il la desirait pour causer avec nous des événemenS
remarquables qui avaient lieu en Europe ; mais comme xi'ous n’aimions
pas à parler de ces événemèns, surtout avec des pachas,
dégoûtés d’ailleurs de tout le cérémonial qu’exigënt de pareilles
visiter OÙ flous n’avions plus rien à apprendre, puisqu’elles se ressemblent
toutes , nous priâmes lé supérieur du couvent de tâcher
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