de nous en dispenser. Nous lui remîmes notre iirman, et lui montrâmes
la lettre du grand-visir pour le pacha de Bagdad. Celui de
Mossul nous fit offrir alors un officier de sa garde pour nous accompagner
jusqu’à Tékrid si nous voulions nous rendre à Bagdad par
le Tigre, ou jusqu’à K erkouk si nous préférions d’aller par terre.
Les informations que nous prîmes sur la forme des bateaux dont
on se s e r t, et sur la manière de naviguer sur le fleuve, n’étaient
guère propres à nous inspirer de la confiance. Il arrive quelquefois
des accidens, parce qu’on ne peut pas assez bien diriger les bateaux :
il arrive qu’ils se brisent en partie contre des rochers que la cou-
lejir des eaux troubles empêche de v o ir , ou contre des troncs d’arbres
que le fleuve charrie lors de ses plus grandes eaux. Mais le
danger le plus grand vient des Arabes de la Mésopotamie, qui
épient le moment où les bateaux sont engravés pour venir les attaquer.
Ces bateaux, nommés h ellek s, ne sont autre chose qu’un certain
nombre d’outres enflées, et liées les unes aux autres par le
moyen de longues perches de saule ou de tamaris , fixées au dessus.
On met ensuite des planches de sapin, sur lesquelles sont posées
les marchandises. Les voyageurs font élever vers l ’une des extrémités
une estrade, sur laquelle ils se placent. Quatre ou cinq jours
suffisent pour se rendre à Bagdad.
Les kelleks ne vont pas plus lo in , parce que de Bagdad à Bassora
la navigation a lieu par le moyen de bateaux et de navires à voiles.
On détruit les kelleks à Bagdad, et on y vend les outres ; elles servent
au transport de l ’eau du Tigre dans les maisons des particuliers
: on y enferme aussi les dattes ; et c’est un excellent moyen
pour les conserver, car les insectes rongeurs n’y peuvent déposer
leurs oeufs.
Il n’y avait point de caravane prête à partir pour Bagdad ; mais
on nous assura que la route était sûre. Nous prîmes donc le parti
de faire demander au pacha un tchocadar pour nous accompagner,
et un ordre pour qu’il nous fût fourni des chevaux de poste sur
toute la route ; ce qui nous fut accordé sans difficulté. •
Avant de quitter Mossul nous fûmes curieux de parcourir le sol
sur lequel on croit que fut bâtie la fameuse Ninive , capitale de
l ’Empire d’A ssyrie. Nous espérions de trouver quelques traces
d’une ville à laquelle les Juifs assignaient quinze ou vingt lieues
d’étendue le long du fleuve, et dont ils ont raconte bien des merveilles.
Diodore de Sicile borne cette étendue à cent cinquante
stades de long (environ quinze milles), et quatre-vingt-dix stades
de large (neuf' milles). Selon lu i , les murs de Ninive étaient hauts
de cent pieds , et assez larges pour que trois charriots y pussent
passer de front. Les tours, au nombre de quinze cents, avaient
une hauteur double de celle des remparts. Les Chrétiens et les Juifs
de Mossul croient qu’elle occupait l ’espace compris entre K a d i-
kend et Jérindsja , villages distans l’un de 1 autre de sept à huit
milles.
Tous les géographes modernes paraissent d’accord sur la position
de cette ancienne ville ; tous la placent sur la rive orientale
du T ig r e , en face de Mossul. Cette position semble effectivement
la plus naturelle; cependant il faut avouer qu’il ne reste presque
aucune trace de ville dans toute la plaine cultivée que nous avons
parcourue ; mais il est possible que , depuis sa destruction , les
matériaux aient été enlevés pour bâtir d’autres villes, et que la
charrue ait ensuite applani le terrain, surtout si,,comme il le faut
supposer, les. murs des t maisons étaient en te rre, ainsi qu’on le
remarque encore auj ourd’hui dans toutes les villes de ces contrées,
tant anciennes que modernes. Mais si la plaine ne présente presque
aucune trace de v ille , il y a quelques restes de murs sur le coteau
qui borne cette plaine à l ’orient, et cet endroit est nommé K a lia
Nunia , ou citadelfe de Ninive : il y a aussi un peu plus au sud ,
sur la même colline, un village nommé N un ia , dans lequel les
Juifs et les Chrétiens de Mossul prétendent que fut enterré le prophète
Jonas.