manufactures. C ’est avec notre cor que vous payez les schals , les
mousselines et les drogues qui vous viennent de l ’Inde ; mais cet
or, nous le tirons de -l’Italie, de l’Espagne et du nord 4e l’Europe.
L e capitan-pacha dît alors que Sélim et son divan étaient convaincus
de la nécessité d’organiser une armée à l’instar de celles
d’Europe ; mais qu’ils éprouvaient tant d’obstacles de la part du
peuple, des grands, et surtout des ulémas, qu’ils étaient sur le point
d’abandonner leurs projets. Vous en viendrez à bout, lui dis-je, si
vous y mettez He l’obstination ; si vous éloignez vos nouvelles troupes
de la capitule ; si vous les placez liors de l’atteinte des janissaires,
intéressés à s'y opposer ; si vous faites sentir aux ulémas
qu’il ne vous reste plus que ce moyen de conserver vos Etats, vos
lois et votre religion ; car si vous subissez à Constantinople, comme
en C rimée, la lo id u vainqueur, vous verrez convertir vos mosquées
en églises , les ossemens de vos pères seront dispersés, leur cendre
sera foulée par ceux que vous regardez comme des Infidèles, ennemis
de votre Dieu. Faites sentir à tous les marchands, à tous les
propriétaires, que chaque paoha , dans sa province , se croyant
dégagé des liens qui l’attachent actuellement à la capitale, voudrait
se rendre indépendant et agrandir ses Etats aux dépens de
Ceux de ses voisins. D ’Empire entier serait en un ‘moment livré à des
guerres intestines : l’anarchie, qui en serait la suite, amènerait le
v o l , le pillage , la famine , la peste et la mort des trois ;quarts des
habitans. Vous flatteriez-vous alors de pouvoir transporter, sans
troubles, le siégp de l’Empire à Pruse ou à Iconium , et posséder
tranquillement toutes vos provinces de l’Asie ? Mais d’abord les.
deux rives -du -Bosphore et de l’Hellespont vous seraient enlevées
avec la plus grande facilité, et vous combattriez en vain pour celtes
du Pont-Euxin et de la Propontide. Les côtes occidentales de la
Natolie offrent tant de .ports, elles sont d’ailleurs si voisines de la
Grèce et des îles d e l’Archipel, que v.os vainqueurs ne négligeraient
aucun moyen'de s'en emparer. Je ne parle pas de l’Egypte, dont
3a position avantageuse et la fertilité du sol sont bien faites pour
-tenter les États commerçans de l’E urope, et dont les Mameluk*,
s’empareraient entièrement dans ce moment de crise.
Le pacha me parut compter beaucoup sur la diversité d’intérêts
qui résultent de la position géographique des grands États de l’Europe
, sur la jalousie et la mésintelligence des chefs des nations,
sur les querelles que fait toujours naître entre eux le partage des
dépouilles ; il comptait aussi sur l’empressement que montreraient
tous les Musulmans à se ranger sous l ’étendard, de Mahomet si
l’Empire et la religion étaient menacés.
Nous parlâmes encore quelque tems du motif qui nous faisait
aller à la cour de Perse; nous nous entretînmes du caractère et des
exploits du nouvel usurpateur de ce malheureux Empire , de la
guerre que le sac de Tiflis devait occasionner entre Catherine et lui :
nous nous séparâmes ensuite, et je partis le soir même pour venir
rejoindre le navire que j’avais laissé au nord-ouest de Lesbos.
Je vins passer la nuit dans un très-petit village g re c , situé au
milieu de la plaine qui aboutit au fond du p ort Olivier. Le ch e f ,
chez qui le chiaoux me fit descendre , avait depuis quelques jour®
une fièvre continue : sa femme était hydropique depuis six mois,
et la plupart des enfàns étaient bouffis. L ’aspect de ces malheureux
luttant contre la mort aurait adouci le coeur d’un tigre ; il ne fit’
aucune impression sur celui du chiaoux. Quoique Uotis fussions’
munis d’un fort bon dîner, cet homme , pétri des préjugés de sa
nation et fort de l’autorité qu’il avait reçue , exigea,- le bâton à la;
main , tous les mets qu’il supposa devoir se trouver au village,
P ère, mère et enfans, tous allèrent à l’instant de maison en maison-
pour se procurer de la viande de boucherie, des poulets, des oeufs, i
du miel, du la it , du fromage, des raisins, des figues , des melons , -
et surtout du café. J’eus beau dire plusieurs fois au chiaoux que je 1
ne voulais pas souper, et qu’il y avait là de quoi nourrir un escadron,
je ne pus modérer ses prétentions, ni obtenir un peu plus de
douceur dans ses gestes et dans ses expressions. Quoi ! me disait-il,,
vous vous intéressez pour ces chiens d’infidèles ? Eh ! pour qui-
doivent travailler les Chrétiens de l’Empire, si ce n’est pour les’
Vrais serviteurs-de Dieu ? Je ne fus nullement étonné de cette morale
intéressée ; on la trouvechez tous les peuples ignorans : ce serait
probablement celle des Chrétiens de ces contrées s’ils devenaient
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