Turcs et les Arabes dînèrent entre eu x , et furent servis dans leur
tente avec la plus grande profusion. La plupart d’entre eux , moins
scrupuleux et plus hardis que les autres, vinrent auprès de nous,
moins pour goûter nos mets, que pour boire à la dérobée quelques
verres de vin et de liqueur.
L a mosquée auprès de laquelle nous nous trouvions , est en
grande vénération, tant aux habitans de la v ille , qu’à ceux du désert.
L ’iman, indépendamment de ses revenus fixes, reçoit assez
souvent des offrandes de la piété crédule des sectatèura de Mahomet.
On dit cependant que, calculant ses revenus sur ceux de ses
prédécesseurs, il se plaint de la tiédeur des vrais Croyans , et de la
diminution trop sensible de la religion du Prophète.
A la fin de pluviôse nous vînmes nous embarquer au port v ieux,
dans l ’intention de nous rendre au Marabou, cap situé à deux
lieues à l ’occident d’Alexandrie. Parvenus à l’extrémité de là presqu’île
Ras-el-Tin, nous remarquâmes sous l’eau une suite de rochers
qui s’étendent en ligne droite jusqu’au Marabou, parallèlement
à la côte. Ce sont ces rochers qui rendent l ’entrée du port vieux
très-dangereuse aux gros vaisseaux. Il fau t, pour les franchir, avoir
recours à un pilote de la ville, ou reconnaître les marques que les
Arabes ont élevées sur la côte. On nous a assuré que la meilleure
passe tire de vingt-sept à vingt-huit pieds, d’eau; ce qui permet en
tout tems aux vaisseaux de guerre de la plus grande force d’entrer
dans le port : elle est à peu de distance ouest du rocher qui se trouve
marqué sur la carte.
Pour ne pas nous rendre suspects aux marins arabes qui nous
conduisaient, nous ne voulûmes pas sonder nous-mêmes les passes
ni porter trop loin nos observations. Nous nous fîmes mettre à
terre au-delà des catacombes dont nous venons de parler, et nous
suivîmes la côte en herborisant et en chassant. Comme la journée
était belle et qu’il faisait déjà assez chaud, nous trouvâmes divers
insectes et quelques plantes fleuries ; nous vîmes des lézards, des
perpens, des cailles et des hirondelles, et nous tuâmes quelques
gerboises qu’une douce chaleur avait fait sortir de leurs terriers.
Après trois quarts d’heure de marche nous apperçumes les traces
du canal qui portait autrefois à la mer ‘les eaux du lac Maréotis.
Le terrain que l ’on avait coupé à cet effet n’a pas une demi-lieue
de largeur. Nous remarquâmes à l ’embouchure de ce canal une
suite de rochers que nous supposâmes avoir formé le port K iboto s;
c a r , suivant les auteurs anciens, le lac Maréotis communiquait
d’un côté, par un canal navigable, avec le lac Moeris, et de l ’autre
avec le port Kibotos, situé à peu de distance du port Eunoste.
Av ant d’arriver au cap nous marchâmes pendant quelque tems
sur un terrain bas , un i, sabloneux. Nous laissâmes à gauche des
marécages, sur les bords desquels il y avait déjà une croûte saline
assez épaisse. Nous vîmes un peu plus loin des décombres et de
vieux murs qui se prolongeaient au nord-ouest le long de la mer.
Nous trouvâmes sur le cap un lis qui n’était pas encore fleuri :
nous le reconnûmes à ses feuilles , e t surtout à ses oignons écailleux.
Nous revînmes vers la fin de germinal pour le prendre; mais
i l était déjà passé , et malheureusement les oignons que nous envoyâmes
à Paris ne parvinrent point à leur destination. Il faut
espérer que cette plante intéressante n’aura pas échappé aux Français
qui sont venus après nous en Égypte.
A côté du cap il y a trois petites île s , sur l’une desquelles est une
mosquée qui prend de loin la forme d’un navire à la voile. C’était
naguère la demeure d’un solitaire musulman que les Alexandrins
et les Arabes du désert vénéraient comme un saint personnage ;
ce qui n ’empêchait pas qu’il ne fût exposé à la visite des Arabes
pillards, qui venaient de tems en tems lui enlever ses provisions,
et l ’obliger de recourir au zèle pieux des habitans de la ville. Lorsque
nous arrivâmes à cette mosquée nous la trouvâmes abandonnée
, parce que depuis la mort de ce béat solitaire personne ne
s’était présenté pour occuper sa place.
Au-delà du M arabou la côte est inhabitée dans une grande étendue,
ou n’est fréquentée, ainsi que nous l ’avons déjà dit, que p a r
les Arabes pasteurs , qui dépouillent avec avidité les marins qui ont
le malheur d’y faire naufrage.