trouvé presque partout un sable fin que les vagues y amènent, et
qui prendrait sans. doute une autre direction si les rochers dont
nous avons p a r lé, étaient joints les uns aux autres par une forte
jetée. Il serait facile' d’enlever ce sable mobile : cette opération
même deviendrait nécessaire en quelques endroits si on voulait, par
exemple, qu’un vaisseau de ligne pût approcher de la jetée ; car il
n ’y a pas plus de deux brasses d’eau aux environs. Il serait de même
assez facile d’enlever les tronçons de colonne que nous avons dit
se trouver dans la mer , au nord-ouest du petit port.
Ce rêve , que nous faisions en sondant la grande rade, se serait
réalisé quelques années après si les Français, privés tout à coup de
l ’artillerie de siège qui arrivait par mer, n’eussent été forcés à renoncer
à l’entreprise qu’ils avaient formée sur Saint-Jean-d’A cre.
Cette circonstance a retardé en Orient une révolution qui s’opérera
tôt ou tard, parce que l’Europe est intéressée à ouvrir au commerce
les portes de l ’Océan indien. Si les Français se fussent emparés
d’A c r e , et eussent pu marcher sur Damas et A lep , sur Seyde et
T r ip o li, tous les peuples opprimés de la Syrie, empressés de secouer
le joug othoman, se fussent rangés sous leurs drapeaux. L ’étendard
de là liberté, flottant pour la première fois au sommet du Liban,
eût été apperçu de tous les points de l’Asie. A l ’instant Drusés et
Maronites, Juifs et Grecs, Arméniens et Guèbres, eussent répondu
au premier cri d’une armée qui venait briser leurs fers, substituer
des vérités à des erreurs, le règne des lois à celui de la force et du
caprice. Toutes ces peuplades ignorantes , qui se haïssent, et sont
toujours prêtes à s’entr’égorger parce qu’elles se regardent mutuellement
comme impies, réunies d’intérêt, l’eussent été bientôt d’intention.
Les T u rcs, attaqués dans tous les points , n’auraient pu
résister à des hommes que la liberté aurait armés, que la prudence
et le génie: auraient conduits : ils auraient disparu pour toujours
d’une région qu’ils déshonorent depuis trois ou quatre siècles.
Nous ferons bientôt connaître Dgézar, pacha d’A c re , cet homme
extraordinaire que des circonstances heureuses ont si bien favorisé.
Volney a tracé l ’histoire des premières années de sa vie ; celles qui
ont suivi ne sont pas moins intéressantes.
C H A P I T R E IV.
P récis historique de la v ie d ’A chm et D g éza r , p a ch a
d A cre ; sa conduite envers les négocions fra n ç a is.
T ra its de cruauté e t p o rtra it d e 'c e t homme.
P e n d a n t notre séjour à T y r nous reçûmes des lettres du citoyen
Chaboceau, médecin français établi à Damas , dans lesquelles il
nous annonçait qu’il n’y aurait point de caravane pour Bagdad
avant le retour du printems : il nous- invitait néanmoins à nous
rendre auprès de lu i, en attendant l’occasion de poursuivre notre
route en sûreté. Nous nous déterminâmes, d’après ces lettres, à
revenir à Barut, et aller à Alep par Tripoli etLatakie ; car, outre
que le commerce avec ‘Bagdad est un peu plüs actif à Alep qu’à
Damas, nous devions ' trouver dans la première un grand nombre
de Français, un agent de la République, et un peuple accoutumé
à traiter avec toutes sortes d’étrangers. Le cit. Chaboceau était le
seul Européen qui résidât à Damas, et nous savions que le peuple
y est si fanatique et si méchant, qu’il est toujours disposé à insulter
celui qu il sait etre d’une religion différente de la sienne.
Avant de quitter la Syrie nous aurions désiré d’observer la rade
de Saint-Jean-d’A c r e , et parcourir la ville de Ce nom ; mais Dgézar,
le feroce Dgézar y résidait. S’approcher de trop près de cet homme
altéré de sang, c était s exposer témérairement : nous pouvions
éprouver, à l ’instant de notre arrivée , les effets de sa rage -, nous
pouvions être inquiétés sous divers prétextes ; notre marche du
moins pouvait être- retardée de plusieurs mois. Il avait chassé les
négocians français ; il avait renvoyé le commissaire des relations
commerciales , e t, depuis que nous avions mis le pied sur la province
qu’il gouvernait, nous n’avions jamais entendu prononcer
son nom sans voir en même tems frissonner d’hdrreur tous céux
qui nous environnaient. Chaque jour on nous racontait de fui