endroits orne de roseaux, de joncs, de souchets, de nénufars.
Nous voyions plusieurs oiseaux pêcheurs; nous entendions au loin
le rainage de quelques autres. Notre vue parcourait un horizon
très-pur, dans lequel se dessinaient à droite et à gauche quelques
dattiers isoles, et au devant de nous des forêts de ces arbres. L ’air
était embaumé : nous respirions les parfums de l ’oranger, du ci-
tronier et du henné , qu’un vent léger nous apportait des jardins
de Rosette.
Ce vent jusqu’alors favorable ne nous permettant pas d’aller plus
lo in , nous mo'uillâmes avec les autres germes à la rive occidentale
du Nil. Les mariniers s’empressèrent comme nous de mettre pied
à terre , et de faire un repas très-frugal et fort court. Après ce
repas, les vieillards et les chefs continuèrent à fumer e t à prendre
du cafte, tandis que les jeunes gens exécutèrent des danses lascives
ou guerrières, ou chantèrent à l’unisson des chansons amoureuses.
{ Planche 2.5. )
Nous remarquâmes deux derviches qui s’étaient éloignés de la
fou le, e t qui , entourés de plusieurs domestiques, jouaient le rôle
de personnages importans. Ils s’étaient fait servir de la viande, du
r iz , des fruits secs, des friandises, tandis que les mariniers s’étaient
contentés de dattes, de fromage et d’oignons.
A dix heures le vent passa tout à coup à l’ouest : aussitôt un
cri général d’allégresse se fit entendre; chacun courut à son bord.
On se-hâta de déployer les voiles : en un instant plus de soixante
germes s’élancèrent sur l ’onde. Le vent n ’était pas fort ; mais l ’énot-
mité des voiles les faisait tellement p lier, qu’on était à peine à deux
pouces de l ’eau. Nous aurions été effrayés en pleine mer ; nous
étions tranquilles sur le fleuve. La sécurité des mariniers nous prouvait
d’ailleurs assez bien qu’il n’y avait aucun danger.
Npus dépassâmes en un clin d’oeil les deux châteaux destinés autrefois
à' défendre l’entrée du Nil. Nous laissâmes à gauohe une île
assez grande. Nous vîmes partout des prairies., des dattiers, des cultivateurs
ret des troupeaux. Bientôt nous apperçûmes Rosette et les
nombreux bateaux qui se trouvaient tout le long de son quai. Nous
primes place à côté d’eu x, en face delà maison du cit. Arnau d ,
négociant, agent provisoire de la République. Notre germe n ’était
pas encore amarrée que nous le vîmes paraître, et s’avaneer vers
nous pour nous inviter à prendre un logement chez lui en attendant
notre départ pour le Caire.
Rosette, nommée Raschid par les Arabes, est située en plaine,
sur la rive gauche du Ni l , à cinq ou six milles de l’embouchure
occidentale de ce fleuve : elle a trois ou quatre cents pas de largeur
de l’est à l ’ouest, et un mille de longueur du nord au sud. Sa
population excédait vingt-cinq mille habitans il y a quelques an«-
nées; mais depuis la grande peste de 1783, et les deux famines
qu’elle a éprouvées en 1784 et 1793, et surtout depuis que les beys
régnans ont entièrement ruiné le pays par des impôts excessifs, des
extorsions fréquentes et des avanies multipliées, la population de
Rosette doit être à peine évaluée à douze mille ames. On ne voit que
ruines à l ’extrémité occidentale de la ville ; et dans les plus beaux
quartiers, sur le quai même, les maisons y ont si peu de valeur,
que l’on ne retire pa s, en les vendant, la moitié du prix des matériaux
qui ont servi à les construire.
On compte à Rosette une trentaine de familles catholiques, venues
depuis peu de la Syrie ; autant de familles grecques originaires
d’É gypte, et environ deux cents familles juives très-pauvres. Le
nombre des Turcs y est peu considérable.
Il y a autour de la ville quelques jardins plantés sans ordre,
sans symétrie, dans lesquels on remarque le citronier, l’oranger,
le cédrat, la bigarrade, le bananier, l’abricotier, le pêcher, le grenadier,
le henné, le sébestier. On y voit entremêlés des dattiers
dont la cime s’élève bien au dessus des autres arbres, et quelques
myrtes qui croissent à la hauteur de nos pruniers. Nous y avons
apperçu le mûrier blanc, le mûrier noir, l’oliyier et quelques pieds
de tamarins.
Ces jardins, ainsi ombragés et rafraîchis par l’eau que l ’on y introduit
fréquemment, plaisent beaucoup dans un pays très-chaud,
naturellement privé d’arbres ; mais ils sont peu soignés, et ne produisent
pas ce qu’on devrait en attendre. Le peuple est si opprimé,
qu’il n’ose se montrer ni trop riche ni trop industrieux : il craint
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