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 d’un  roi? Dans  ce  c a s ,  est-ce  l ’orgueil  ou  la  piété?  Est-ce  la  flàt-  
 terie  des  grands  ou la  reconnaissance  du  peuple ,  qui  fit  employer  
 presque sans  interruption  plus  de cent mille  ouvriers  à creuser lès  
 entrailles  de  la  terre,  en  extraire  des  pierres  d’une  énorme  grosseur, 
   les  entasser  les  unes  sur  les  autres,  et former  cés montagnes  
 qui  se  sont  conservées  intactes  jusqu’à  présent ?  Ces  monumens,  
 qui  attestent  l’opulence  des  rois,  sont-ils  un  témoignage  de  leur  
 sagesse ? Furent-ils  élevés,  après  leur mort,  par une  contribution  
 volontaire ?  ou  bien  ces  travaux  furent - ils  ordonnés  dé  leur  v ivant  
 ?  Le  peuple  fut-il  accablé  d’impôts ?  Chaque  pierre  fut-elle  
 arrosée  de  larmes ? Aristote  les regarde  comme  des monumens  de  
 tyrannie.  Les  rois  ne  furent portés  à cette dépense,  selon lu i,  què  
 pour  appauvrir  leurs,  sujets,  que  pour  les  accabler  sous  le poids  
 d ’un  travail  pénible  et continuel,  capable  d’énerver leurs  facultés,  
 et  leur  ôter  tout moyen  de  se  révolter. 
 Celui qui ne verrait dans les  pyramides que  la  grandeur  des  rois  
 q u i  en conçurent le   projet,  et du peuple  qui vint à bout  d en  couvrir  
 le  sol  de l’É gypte,  aurait,  selon nous, une bien  fausse idee de  
 la véritable grandeur d’une nation. Nous lui demanderions si, lorsqu’elles  
 furent  bâties,  il ne restait plus de canaux à creuser,  de routes  
 à réparer, de ports à former, de marais à dessécher ; si le peuple  
 ¿tait parvenu  au plus  haut degré  de  prospérité ;  car la vraie  grandeur  
 dans l’homme  qui gouverne,  c’est de  faire des deniers publics  
 l’ emploi le plus utile  à tous ;  c ’est d’avoir  une marine  en bon  état,  
 une  armée  sur  un  pied  respectable ;  c’est  d’honorer  l’agriculture,  
 encourager  les  arts ,  favoriser  les  sciences  :  et  la  vraie  grandeur  
 dan«  un peuple,  c ’est d’être  toujours  prêt  à fairé les  sacrifices que  
 les besoins de la patrie exigent;  c’est d’avoir une opinion.réfléchie,  
 raisonnable, uniforme, qui  régisse elle-même le ro i,  les magistrats;  
 qui les maintienne  dans  les bornes  de leur  devoir ,  qui  ecarte  surtout  
 de leur  entour  les  adulateurs,  qui sont  le fléau le plus  dangereux  
 des États,  qui  sont toujours  prêts  à  applaudir aux  caprices ,  
 aux  sottises  ,  aux  impertinences  de  l ’homme .puissant ;  car  sans  
 eux /  point  de  tyrannie ;  sans  eu x ,  point  d’actes  arbitraires ;  sans 
 eu x ,  point d’injustices.  Que,  par  la  force de l ’opinion;  un  peuple  
 entoure  d’hommes  sages  le  plus méchant  roi de la terre,  il  deviendra  
 bon  ou  sera  obligé  de  lè paraître. 
 Ces  réflexions  nous  accompagnèrent  jusqu’à Boulac,  où  nous  
 mouillâmes  vers les dix heures du soir,  le quatrième  jour  de notre  
 départ  de Rosette. 
 Boulac  est un village  assez  étendu,  où. abordent  toutes  les marchandises  
 qui  viennent  de  la basse  Égypte  ou  qui  descendent  du  
 Saïd,  II .est  sur  la  rive droite  du N il,  à-une  demi-lieue,  du  Caire  
 et  à  cinq  du Delta.  Le  vieux  Caire  ou  Fostat est  à une  très-petite  
 lieue  au  sud. 
 Le 3 , au matin,  le citoyen MagaMon,  averti de notre arrivée par  
 de nos mariniers., nous  envoya un drogman et un janissaire,  et  
 nous nous  rendîmes  auprès de  lui. 
 Je  n ’entreprendrai  pas  de  décrire  le Caire.,  la  seconde  ville  de  
 1 Empire  othoman  par  sa population ,  ses  richesses,  ses  édifices ,  
 spn  commerce  et  le luxe  des habitans.  Je laisse  ce  soin  aux Fran-  
 Çais qui  y   ont  séjourné  pendant trois ou  quatre ans,  et qui ont  eu  
 les facilités que nous voyageurs ne pouvions avoir lorsque  la hache  
 du  despotisme planait  sur'nos  têtes. 
 Nous devons  cependant  dire  que,  quelque  injuste  et  vexatoire  
 que  fut  la  conduite des  beys  à Fégard  des négocians français, nous  
 eûmes  tous  les  moyens de voir  le Caire  dans  le  plus  grand détail.  
 .Nous  parcourûmes à notre  aise le  château-  situé  à l ’extrémité  de  la  
 ville,  sur un monticule  qu’on doit  regarder comme  une  continuation  
 du M okatan, colline  stérile,  désagréable à  v o ir ,  qui  se trouve  
 à. un demi-quart  de lieue  au sud.  L e  puits de Joseph, ainsi nommé  
 vulgairement,  creusé  dans l’intérieur de  ce  château,  fixa  quelques  
 momens notre  attention. 
 Nous fûmes  à la Matarée et  sur  le sol  d’Béliopolis,  où se  trouve  
 lç  superbe  obélisque  encore  deb out,  de  granit  thébaïque.  Nous  
 portâmes  nos  pas  jusqu’aux  environs  du  lac  des  Pèlerins,  dans  
 lequel  sont versées les eaux  du  canal  qui traverse le Caire,  
 g  fi île de R aouda,  située  entre le vieux Caire et Gizéh,  n’échappa  
 point  à nos  recherches  :  c’est à son extrémité méridionale qu’est le 
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