précédentes. Le vent avait passé au nord, et l ’air avait repris son
élasticité et sa sérénité ordinaires.
Cette course nous valut un grand nombre de plantes : nous en
prîmes quelques-unes de fort intéressantes autour des pyramides;
nous ramassâmes les autres sur cette terre qu’on regarde communément
comme aride et inféconde ; sur cette terre que l’oeil peu
exercé voit nue et privée de tout ornement, mais où le naturaliste
trouve bien de quoi se dédommager de ses peines et de ses fatigues
; car ce n’est pas dans les plaines et sur les terres cultivées
de l'Egypte qu’il doit espérer de trouver ces végétaux rares ou inconnus
qui sont l ’objet de ses recherches : il n’y rencontre que les
plantes d’Europe ou celles qui sont cultivées depuis long-tems dans
nos jardins. Mais s’il porte ses pas loin de toute habitation , loin
des terres que le fleuve couvre de ses eaux ; s’il pénètre dans les
déserts, et ne se rebute pas s’il n ’apperçoit d’abord que sables et
rochers, il ne tardera pas de remarquer ces plantes, qni semblent
vouloir se dérober à ses regards par leur petitesse, leur couleur
blanchâtre, et par la poussière dont elles sont couvertes ; il verra
parmi elles quelques arbustes de la même couleur , e t , dans les
endroits bas et unis, il trouvera quelques végétaux plus élancés,
p lu s v ig ou reu x , plus colorés, ceux-là même qui renferment un
snc très-abondant.
L ’idée qu’on a communément des contrées inhabitables de la
terre, de ces lieux sabloneux et déserts de l ’Afrique et de l’A sie ;
celle que nous avions nous-mêmes avant d’arriver en Egypte, idée
que les écrivains les plus célèbres ont accréditée et répandue, est
certainement beaucoup exagérée et même fausse. Lorsqu’il est
question d’un désert, on se représente une mer de sable, presque
aussi mobile que les eaux de l’Océan; on se persuade qu’aucun végétal
ne peut croître sur un sol aride et mouvant, qu’aucun animal
n ’y peut vivre , qu’aucun être n’y peut exister. Cette portion
du globe , embrâsée par les rayons d’un soleil ardent, privée de
pluie et de toute humidité, f u t , à ce qu’on c ro it , condamnée par
le Tout-Puissant à une éternelle stérilité. L ’Arabe et le chameau ne
foulent qu’à regret cette terre inhospitalière, ne la traversent qu’avec
danger
danger d’y périr et de soif et de faim, ou s’y voir ensevelis vivans
sous les montagnes de sable que le vent forme, déplace et promène
à son gré.
Il est bien vrai que le vent amène peu à peu, de l ’intérieur de
l’Afrique en Egypte, un sable fin et subtil, et que ce sable, répandu
dans toute la Libye , se déplace à la moindre agitation de l ’air, et
s’amoncèle dès qu’un obstacle s’oppose à son passage. Mais comme
la Nature n’agit que lentement, le vent le plus impétueux ne sauT
r a i t , dans quelques heures, amasser des sables aux pieds d’un
homme, en assez grande quantité pour les couvrir à moitié, e t ,
dans le mouvement qu’il fait en marchant, le même vent qui amène
le sable jusqu’à lu i , le pousse plus loin, jusqu’à ce qu’un autre obstacle
l ’arrête.
Une caravane sans doute que la faim et la soif ou un vent brûlant
aurait fait p é r ir , pourrait être ensevelie toute entière, parce
que le corps d’un grand nombre d’individus opposant un obstacle
permanent, les sables peuvent s’amonceler peu à peu, et couvrir
au bout de quelques jours dés corps inanimés; mais certainement
aucun animal vivant ne fut jamais enseveli dans les sables de la
L ib y e , e t , s’il pouvait l’ê tre, le moindre mouvement lui suffirait
pour s'en dégager.
Cette terre, qu’on regarde comme aride et déserte, produit, ainsi
que nous venons de le dire, beaucoup de végétaux. Le sable le plus
pur permet à une infinité de plantes d’y croître et de s’y nourrir;
les plus succulentes même se trouvent sur le sol le plus sec, dans
l ’atmosphère la plus chaude ; voilà pourquoi les antilopes, les gazelles,
le porc-épic, le hérisson, le lièvre, la gerboise, une multitude
de rats et un grand nombre d’autres animaux y trouvent une
nourriture abondante et assurée. Les insectes y sont nombreux
parce qu’il n’existe peut-être aucun végétal sur la te rre, qui ne
soit rongé par une ou plusieurs espèces de ces petits animaux. Les
oiseaux granivores , tels que les cailles , les perdrix ; ceux qui vivent
d’insectes , tels que les huppes , lés hirondelles, les guêpiers,
les pies-grièches, y viennent de toutes parts. L ’oiseau de proie les
suit : le chacal, la hyène, les diverses espèces de chat ou de tigré
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