qui a conservé sans altération, loin de la capitale et des villes de
commerce, la lan gue, les moeurs et tous les usages de ses ancêtres.
Le citoyen Verninac nous fit part les jours suivans, des vues du
Directoire exécutif ; nous donna des lettres pour le premier ministre
du roi de Perse et pour le pacha de Bagdad ; nous confia les
papiers dont nous avions besoin, et prit les moyens nécessaires
pour que nous pussions toucher les fonds qui nous étaient destinés.
La Porte nous accorda sans difficulté les firmans d’usage i elle
nous chargea même verbalement d’une mission importante auprès
du gouvernement persan, et le grand-visir nous fit remettre, pour
le pacha de Bagdad, des lettres dans lesquelles nous étions très_-
expressément ■ recommandés.
Nous étions prêts à partir , et nous traitions avec un chef de
caravane lorsque tout à coup il fallut changer de route. Il était
question alors de construire à l ’arsenal de Constantinople, un bassin
sur le modèle de celui de Toulon. La Porte avait déjà fait demander
un ingénieur européen, capable de diriger les travaux qu on
voulait entreprendre. Des négocians arméniens ayant oui dire que
nous avions vu des pouzzolanes dans les îles de l’Archipel, voulurent
nous engager à leur faire part de notre découverte, sous
des conditions qui auraient pu nous paraître avantageuses dans un
autre tems : mais nous étions dans le Levant aux ordres de la République
; nous ne crûmes pas devoir traiter avec des Arméniens
sans prévenir son envoyé. Le cit. Verninac, dont l ’intention était
-de faire construire ce bassin par des ingénieurs français, noüs invita
à rejeter les offres des Arméniens, promettant de nous faire
indemniser plus avantageusement par la P o rte , et sans perdre de
tems il envoya le premier drogman de la légation auprès d’e lle ,
pour l’instruire de notre découverte et lui offrir nos services. La
Porte parut très-satisfaite d’apprendre qu’il existait des pouzzolanes
dans l ’Empire, dont l ’extraction serait facile et peu coûteuse.
Elle nous fit demander une note : nous la lui envoyâmes aussitôt.
Nous lui disions avoir découvert des pouzzolanes de qualité inférieure
sur le canal de la Mer-Noire, aux îles des Princes et à
diverses îles de 1 Archipel , et des pouzzolanes d’une qualité supérieure
, pour le moins égales à celles de l’Italie, aux îles de San-
torin et de Thérasia : nous entrions ensuite dans quelques détails
sur la manière d ’employer les unes et les autres.
En recevant notre Mémoire , les ministres de la Porte dirent au
drogman,, que les Arméniens avaient demandé , pour cette découverte,
60,000 piastres, au lieu de 3o,ooo qu’ils nous avaient offertes.
Ils ajoutèrent que leur reconnaissance serait sans bornes si nous
pouvions effectuer notre promesse. Le tchéiibi-effendi, que nous
avons vu deux fois à ce sujet, nous_assura aussi que la Porte reconnaîtrait
d une manière digne d’élle la découverte importante dont
nous voulions bien lui faire part. Cè ministre fut charge de noliser
un navire pour nous transporter sans délai aux îles de l ’Archipel,
On nous donna un chiaoux pour nous accompagner, et rapporter
quelques sacs de pouzzolane, parce qu’on voulait en faire des essais
avant de l ’employer.
Nous nous embarquâmes le i 3 fructidor an 3 , sur le navire le
Zéphyr, commandé par le capitaine Trullet, de Saint-Tropez, et
nous fîmes voile vers les cinq heures du soir, avec un vent de nord-
nord-est assez frais. Le tems fut très-beau pendant la nuit ; le vent
faiblit un peu, et nous arrivâmes le lendemain avant midi aux Dardanelles.
Nous en partîmes le i 5 au so ir , et vînmes mouiller sur
la côte de Troie, au sud de Touzelik-Boumou. Le 16 le vent devint
plus fort : nous doublâmes de bonne heure le cap B aba, dans l’intention
d’aller mouiller à Mitylène , où se trouvait alors le capi-
tan-pacha, à qui nous avions des lettres à remettre de la part des
ministres de la Porte.
Le capitan-pacha, ayant la haute police des îles de l’Archipel,
devait nous munir d’un teskéré ou ord re , portant injonction aux
primats et chefs de chacune d’elles , de favoriser de tous leurs
moyens nos recherches, et de fournir sans délai tout ce dont nous
aurions besoin.
Nous avions eu jusqu’alors le vent en poupe : il nous fut contraire
sur le canal qui sépare Lesbos du continent, parce q u e , modifié
par la direction des côtes et des montagnes, il était est-nord-est