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 t  
 a  
 temps  là  l'on  n'y  fait jamais de  bruir,  
 &  l'on  n'entend  point  dire  qu'auciin  
 y  ait  dérobé  les  habks  ou  la  bourie  
 d'un  ancre,  ainli  on  n'a  pas  befoin,  
 comme  du  temps  d'Ovide,  d'y  mettre  
 un  Portier  pour  garder  les  habits. 
   
 Cam  cuftode  foris  tunicam  fervanU  
 puelliC.  
 Il  eft  vrai  que  fi  les  hommes  ne  
 font  plus  obligez  d'obferver  cette  
 ancienne  coutume  ,  les  femmes  ne  
 l'ont  pas  encore  tout  à  fait  perdue.  
 Chacune  tâche  d'y  aller  au  meilleur  
 état  qu'elle  peut,  &  comme  elles  y  
 vont  en  grand  nombre,  &  qu'elles  
 y  pailènt  toute  l'apres  dinée,  plus  
 pour  cauièr  &  pour  y  aller  voir  leurs  
 amies  ,  que  pour  le  befoin  qu'elles  
 en  aient,  elles  menent  leurs  vieilles  
 Efclaves  avec  elles  ,  qui  attendent  
 dans  la  premiere  Salle  auprès des habits  
 de  eurs  Maitreflès.  Car  comme  
 elles  favent  par experience,  aufiî  
 bien  qu'  Ovide  ,  tous  les  tours  
 fubtils  qui  fe'  font  aux  bains,  elles  
 n'ignorent  pas  non  plus  que  
 Condurli  furtivos  bnlnea,  multa  
 jocos.  
 C e f i  pour  cela  qu'on  voit  toujours  
 après  elles  le  long  de  la  rue  
 marcher  leurs  Efclaves  ,  qui  portent  
 iiir  leurs  têtes  tant  le  linge  de  
 leurs  MaitreiTes  &  de  leurs  amies  ,  
 que  ce  qui  eft  neceftaire  pour  une  
 Collation  ,  qu'elles  ont  accoutumé  
 de  faire  enfemble  ,  &  qui  ne  confiile  
 qu'en  quelques  Salvas  ou  Confitures. 
   Tout  cet  aprêt  eft  laiile  à  la  
 garde  de  ces  vieilles  femmes,  pendant  
 que  les  Maitreflès  vont  au  
 bain,  ainii  c'eft  encore  la  coutume  
 aujourd'hui  ,  comme  du  temps  de  
 Martial,  que  
 Sufra  toguUm lufca recumbat  a- 
 TÌUS.  
 Si  les  femmes  Turques  &  Grecques  
 Chrétiennes  ont  retenu  cette  
 ancienne  coutume  des  Dames  Romaines 
 »  de  faire  garder  leurs  habics;  
 elles  n'ont  pas  non  plus  laiflé  perdre  
 celle  qui  regarde  leurs  ajuftemens.  
 Car  elles  ont  un  ibin  particulier  de  
 fe  peindre  les  cheveux  &  les  ongles  
 des  mains  &  des  pieds  avec  de  la  
 poudre  d'une  certaine  herbe  que  les  
 Arabes  appellent  Elhanna  &  les  
 Turcs  Alcana  qui  eft  une  poudre  
 rouge  ou  rouffàftre,  elles  fe  noirciiTent  
 auffi  les  fourcils  &  les  paupières, 
   comme  Juvenal  le  dit de  celles  
 de  fon  temps.  
 Illa fupercdium, madida fuligine  
 taBum  .  
 Obliqua  prodncit  acu-,  f ingitque,  
 trementes  
 Attollens  oculos.  
 La  maniere  dont  fe  lavent  ceux  
 qui  viennent  aux  bains  eft  tout  à  
 fait  particulière.  Apres  qu'on  s'eft  
 deshabillé  tout  nud  dans  la  premiere  
 Salle,  on  fe  lie  unegroiîèferviette  
 autour  du  corps,  ils  l'appellent  
 Fota  ou  Tejle  mal-,  en  cet  état  
 on  traverfe  la  feconde  falle  qui  
 eft  plus  chaude  que  la  premiere,  &  
 l'on  entre  dans  la  troifiéme  où  l'on  
 fuë.  On  s'y  couche  tout  à  plat  fur  
 le  ventre  au  milieu  de  la  Salle fur  un  
 Marbre  un  peu  elevé qui eft  l'endroit  
 le  plus  chaud  de  tout le bain,  où,  
 après  qu'on  a  ailèz  fué,  un valet  du  
 Maitre  du  bain  vient,  qui  étend  &  
 qui  plie  les  bras  de  celui  qui  s'eft  
 baigné,  tantôt  en  devant,  tantôt  en  
 derrière,  &  enfuite  auffi  les  jambes.  
 Apres  quoi  il  fe  met  fur  les mains  &  
 fur  les  pieds  tout  nud,  excepté  un  
 linge  qu'il  a  devant  fa  nudité,  &  il  
 fe  glifle  d'une  maniere  fort  adroite  
 le  long  du  dos  &  des  cuilTes.  Apres  
 cela  il  le  méne  dans  un  autre  endroit  
 ,  oii  il  y  a  plufieurs  baflîns  &  
 plufieurs  robinets  d'eau  chaude,  
 dont  il  le  lave  par  tout  le  corps,  
 qu'il  lui  frotte  en  fuite  avec  un  fac  
 de  camelot  ,  de  bourracan,  ou  de  
 telle autre groffe étoffe,  dans laquelle  
 il  fourre  fa  main.  Alors  il  le  favonne  
 , &  le  lave  tout  de nouveau.  Ces  
 petits  facs  de  camelot  ou  frottoirs  
 font  venus  enfuite  des  étrillés  des  
 anciens  ,  pour  ce  qui  regarde  l'ufa- 
 ' ge  j  car  la  forme  &  la  matière  en  
 font  
 en  EG YP  T  E  
 font  toutes  différentes.  Ils  font  
 quarrez  &  fervent  à  nettoief  le  
 corps  de  toutes  les  faletez  qui  poUrroient  
 s'y  être  arrêtées,  comme  les  
 étrillés  fervoient  à  gratter.  Mais  
 comme  ils  ne  font  que  d'une  groffe  
 etoife  ,  ils  font  bien  plus  commodes  
 &  plus  aifez  à  manier  que  
 n'etoient  ces  inftrumens  de  metal,  
 qui  avoient  une  poignée  >  &  qui  
 étoient  fiùts  à  peu  près  comme  nos  
 couteaux  à  tailler  les  arbres.  La  
 liberté  qu'avoient  les  Romains  à  
 l'égard  des  étrillés,  les  Turcs  l'ont  
 aulïï  à  l'égard  de  leurs  frottoirs,  
 c'eft  à  dire  que  chacun  peut  avoir  
 le  ficn  ,  &  le  faire  porter  au  bain  
 pour  s'en  fervir  lui  feul,  comme  
 ce  Crifpinus  dont  Perfe  dit  
 I  Tuer ,  à- Jirigiles Crifpini  ad  
 balnea defer.  
 mais  comme  les  Turcs  ne  font  pas  
 difficulté  de  manger  &  de  boire  
 enfemble  en  même  vaiffeau,  non  
 plus  que  de  porter  les  habits  d'une  
 perfonne  morte  de  la  Pefte,  
 auffi  n'en  font-ils  pas  de  fe  faire  
 frotter  du  même  fac  qui  a  fervi  à  
 un  autre,  pourvu  feulement  qu'on  
 le  paife  une  fois  ou deux dans  l'eau,  
 comme  on  fait  toujours.  
 La  neceilité  que  la  Loi  de  Mahomet  
 a  impofée  à  fes  feftateùrs  
 de  fe  laver  fi  fouvent  a  donné  lieu  
 à  plufieurs  perfonncs  de  faire  bâtir  
 dans  leurs  maifons  un  appartement  
 deftiné  à  cet  ufage  ,  &  de  
 s'y  faire  donner  le bain,  foitpar  eux  
 mêmes  ou  par  leur  Efclaves  ,  fans  
 qu'ils  ayent  befoin  d'aller  aux  bains  
 .publies.  Ces  appartemens  fervent  
 auffi  aux  hommes,  d'occafîon  pour  
 retenir  leurs  femmes  à  la  maifon,  
 d'où  elles  ne  demanderoient  pas  
 mieux  que  de  fortir  fous  pretexte  
 d'aller  aux  bains.  Ils  favent  ménager  
 ces  bains  avec  tant  d'addref  
 fe  que  fans  entrer  dans  la  Cuifine  
 &  fans  fentir  la  fumée  du  pot,  ils  
 n'ont  fouvent  befoin  que  d'un  feul  
 feu  pour  chauffer  l'Amamgik  c'eft  
 à  dire  l'etuve,  &  pour  apprêter  à  
 manger.  Et  comme  ces  appartemens  
 font  d'une  grande  utilité  dans  
 »SYRIE,  &c.  89  
 les  bonnes  maifons,  oii  en  trouve  
 prefque  chez  toutes  les  perfonnes  
 riches.  
 Les  Mahometans  font  fi  attachez  xahara  n  
 à  la  netteté  du  corps  que  craignans  
 que  le  pailâgo  des  excremens  ,  ou  
 des  imputerez  dont  la  nature  fe  décharge  
 ne  les  faliife,  ils  ne fe  contentent  
 pas  de  fe faire  bien  laver  toute  
 la  peau  dans  la  bain  ordinaire,  
 mais  ils  font  encore  obligez'de  nettoier  
 tous  les  conduits  par  où  la  nature  
 fatisfait  à  fes  neceflitez,  &  cela  
 autant  de  fois  qu'ils  fe  déchargent  
 des  reftes  de  la  derniere  coftion  des  
 alimens.  Ils  ont  done  prefque  toujours  
 fEmbnky  c'eft  à  dire  le  petit  
 coquemar  à  la  main  pour  laver  les  
 parties  du  corps  d'où  il eft forti quelque  
 ordure,  &  il  n'y  a  rien  de  plus  
 diverti/Tant  que  de  voir  un Turc  qui  
 a  quelque  cours  de  ventre  ou  quelque  
 trop  grande  chaleur  d'urine ;  il  
 ne  lui  faut  pour  lors  point  d'autre  
 occupation  ,  parce  qu'il  a  aifez  de  
 quoi  employer  fon  temps  &  exercer  
 fès  mains.  Ils  ne  favent  ce  que  c'eft  
 que  de  fe  fervir  d'eponge,  &  ce  feroit  
 un  crime  irremiffibleque  de  fe  
 fervir  de  papier  pour  cet  effet,  parce  
 qu'il  pourroit  y  avoir  des  lettres  
 fervantes  à  former  lé  nom  de  Dieu,  
 qui  peut  être  même  y  feroit  écrit.  
 Pour  cette  raifon  le  papier  eft:  en  
 grande  vénération  chez  les  Mahometans  
 ,  ils  ne  l'emploient  point  à  
 de  vils  ufages,  &  ils  ne  fauroient  
 fouffrir  qu'on  marche defiiis.  Quand  
 ils  en  trouvent  un  morceau  dans  
 la  rue  ils  l'amaflènt  ,  ils  le  baifent  
 &  ils  le  mettent  refpeftueufement  
 dans  quelque  trou  de  la  muraille.  
 Ce  grand  refpeft  qu'ils  ont  pour  le  
 papier  vient  fans  doute  de  celui  qu'- 
 ils  ont  pour  1'Alcoran  ;  lors  qu'ils  le  
 portent  ,  ou  qu'ils  le  changent  de  
 place,  ils  ne  le  font  jamais  defeendre  
 plus  bas  que  leur ceinture.  Peutêtre  
 cela  vient  il  auffi  de  la  veneration  
 qu'ils  ont  pour  les  gens  de  lettres  
 qui  font  chez  eux  en  tres  
 grande  eftime.  
 Cette  pureté  qui  eft  fi  religieufcment  
 recommandée  a  obligé  les  architeftes  
 Mahometans  à  bâtir  en  divers  
 endroits  de  la  ville,  &  particu- 
 M  liere- 
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