l'I 88 VOYAGE au LEVANT
t
a
temps là l'on n'y fait jamais de bruir,
& l'on n'entend point dire qu'auciin
y ait dérobé les habks ou la bourie
d'un ancre, ainli on n'a pas befoin,
comme du temps d'Ovide, d'y mettre
un Portier pour garder les habits.
Cam cuftode foris tunicam fervanU
puelliC.
Il eft vrai que fi les hommes ne
font plus obligez d'obferver cette
ancienne coutume , les femmes ne
l'ont pas encore tout à fait perdue.
Chacune tâche d'y aller au meilleur
état qu'elle peut, & comme elles y
vont en grand nombre, & qu'elles
y pailènt toute l'apres dinée, plus
pour cauièr & pour y aller voir leurs
amies , que pour le befoin qu'elles
en aient, elles menent leurs vieilles
Efclaves avec elles , qui attendent
dans la premiere Salle auprès des habits
de eurs Maitreflès. Car comme
elles favent par experience, aufiî
bien qu' Ovide , tous les tours
fubtils qui fe' font aux bains, elles
n'ignorent pas non plus que
Condurli furtivos bnlnea, multa
jocos.
C e f i pour cela qu'on voit toujours
après elles le long de la rue
marcher leurs Efclaves , qui portent
iiir leurs têtes tant le linge de
leurs MaitreiTes & de leurs amies ,
que ce qui eft neceftaire pour une
Collation , qu'elles ont accoutumé
de faire enfemble , & qui ne confiile
qu'en quelques Salvas ou Confitures.
Tout cet aprêt eft laiile à la
garde de ces vieilles femmes, pendant
que les Maitreflès vont au
bain, ainii c'eft encore la coutume
aujourd'hui , comme du temps de
Martial, que
Sufra toguUm lufca recumbat a-
TÌUS.
Si les femmes Turques & Grecques
Chrétiennes ont retenu cette
ancienne coutume des Dames Romaines
» de faire garder leurs habics;
elles n'ont pas non plus laiflé perdre
celle qui regarde leurs ajuftemens.
Car elles ont un ibin particulier de
fe peindre les cheveux & les ongles
des mains & des pieds avec de la
poudre d'une certaine herbe que les
Arabes appellent Elhanna & les
Turcs Alcana qui eft une poudre
rouge ou rouffàftre, elles fe noirciiTent
auffi les fourcils & les paupières,
comme Juvenal le dit de celles
de fon temps.
Illa fupercdium, madida fuligine
taBum .
Obliqua prodncit acu-, f ingitque,
trementes
Attollens oculos.
La maniere dont fe lavent ceux
qui viennent aux bains eft tout à
fait particulière. Apres qu'on s'eft
deshabillé tout nud dans la premiere
Salle, on fe lie unegroiîèferviette
autour du corps, ils l'appellent
Fota ou Tejle mal-, en cet état
on traverfe la feconde falle qui
eft plus chaude que la premiere, &
l'on entre dans la troifiéme où l'on
fuë. On s'y couche tout à plat fur
le ventre au milieu de la Salle fur un
Marbre un peu elevé qui eft l'endroit
le plus chaud de tout le bain, où,
après qu'on a ailèz fué, un valet du
Maitre du bain vient, qui étend &
qui plie les bras de celui qui s'eft
baigné, tantôt en devant, tantôt en
derrière, & enfuite auffi les jambes.
Apres quoi il fe met fur les mains &
fur les pieds tout nud, excepté un
linge qu'il a devant fa nudité, & il
fe glifle d'une maniere fort adroite
le long du dos & des cuilTes. Apres
cela il le méne dans un autre endroit
, oii il y a plufieurs baflîns &
plufieurs robinets d'eau chaude,
dont il le lave par tout le corps,
qu'il lui frotte en fuite avec un fac
de camelot , de bourracan, ou de
telle autre groffe étoffe, dans laquelle
il fourre fa main. Alors il le favonne
, & le lave tout de nouveau. Ces
petits facs de camelot ou frottoirs
font venus enfuite des étrillés des
anciens , pour ce qui regarde l'ufa-
' ge j car la forme & la matière en
font
en EG YP T E
font toutes différentes. Ils font
quarrez & fervent à nettoief le
corps de toutes les faletez qui poUrroient
s'y être arrêtées, comme les
étrillés fervoient à gratter. Mais
comme ils ne font que d'une groffe
etoife , ils font bien plus commodes
& plus aifez à manier que
n'etoient ces inftrumens de metal,
qui avoient une poignée > & qui
étoient fiùts à peu près comme nos
couteaux à tailler les arbres. La
liberté qu'avoient les Romains à
l'égard des étrillés, les Turcs l'ont
aulïï à l'égard de leurs frottoirs,
c'eft à dire que chacun peut avoir
le ficn , & le faire porter au bain
pour s'en fervir lui feul, comme
ce Crifpinus dont Perfe dit
I Tuer , à- Jirigiles Crifpini ad
balnea defer.
mais comme les Turcs ne font pas
difficulté de manger & de boire
enfemble en même vaiffeau, non
plus que de porter les habits d'une
perfonne morte de la Pefte,
auffi n'en font-ils pas de fe faire
frotter du même fac qui a fervi à
un autre, pourvu feulement qu'on
le paife une fois ou deux dans l'eau,
comme on fait toujours.
La neceilité que la Loi de Mahomet
a impofée à fes feftateùrs
de fe laver fi fouvent a donné lieu
à plufieurs perfonncs de faire bâtir
dans leurs maifons un appartement
deftiné à cet ufage , & de
s'y faire donner le bain, foitpar eux
mêmes ou par leur Efclaves , fans
qu'ils ayent befoin d'aller aux bains
.publies. Ces appartemens fervent
auffi aux hommes, d'occafîon pour
retenir leurs femmes à la maifon,
d'où elles ne demanderoient pas
mieux que de fortir fous pretexte
d'aller aux bains. Ils favent ménager
ces bains avec tant d'addref
fe que fans entrer dans la Cuifine
& fans fentir la fumée du pot, ils
n'ont fouvent befoin que d'un feul
feu pour chauffer l'Amamgik c'eft
à dire l'etuve, & pour apprêter à
manger. Et comme ces appartemens
font d'une grande utilité dans
»SYRIE, &c. 89
les bonnes maifons, oii en trouve
prefque chez toutes les perfonnes
riches.
Les Mahometans font fi attachez xahara n
à la netteté du corps que craignans
que le pailâgo des excremens , ou
des imputerez dont la nature fe décharge
ne les faliife, ils ne fe contentent
pas de fe faire bien laver toute
la peau dans la bain ordinaire,
mais ils font encore obligez'de nettoier
tous les conduits par où la nature
fatisfait à fes neceflitez, & cela
autant de fois qu'ils fe déchargent
des reftes de la derniere coftion des
alimens. Ils ont done prefque toujours
fEmbnky c'eft à dire le petit
coquemar à la main pour laver les
parties du corps d'où il eft forti quelque
ordure, & il n'y a rien de plus
diverti/Tant que de voir un Turc qui
a quelque cours de ventre ou quelque
trop grande chaleur d'urine ; il
ne lui faut pour lors point d'autre
occupation , parce qu'il a aifez de
quoi employer fon temps & exercer
fès mains. Ils ne favent ce que c'eft
que de fe fervir d'eponge, & ce feroit
un crime irremiffibleque de fe
fervir de papier pour cet effet, parce
qu'il pourroit y avoir des lettres
fervantes à former lé nom de Dieu,
qui peut être même y feroit écrit.
Pour cette raifon le papier eft: en
grande vénération chez les Mahometans
, ils ne l'emploient point à
de vils ufages, & ils ne fauroient
fouffrir qu'on marche defiiis. Quand
ils en trouvent un morceau dans
la rue ils l'amaflènt , ils le baifent
& ils le mettent refpeftueufement
dans quelque trou de la muraille.
Ce grand refpeft qu'ils ont pour le
papier vient fans doute de celui qu'-
ils ont pour 1'Alcoran ; lors qu'ils le
portent , ou qu'ils le changent de
place, ils ne le font jamais defeendre
plus bas que leur ceinture. Peutêtre
cela vient il auffi de la veneration
qu'ils ont pour les gens de lettres
qui font chez eux en tres
grande eftime.
Cette pureté qui eft fi religieufcment
recommandée a obligé les architeftes
Mahometans à bâtir en divers
endroits de la ville, & particu-
M liere-
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