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 70  V oy  A G  E  au  L E  V  A  N  T  
 cet  endroit  que  Leandrc  traverCi  la  
 Mer  à  la  nage  pour  aller  voir  Hero  
 la  Maitrcflè,  mais  ce  fut  auxDarda- 
 «elles  1 comme  nous  le  dirons  dans  
 la fjite.  
 On  ne  fauroit rien voir,  ni même  
 s'imaginer  rien  de  plus charmant que  
 cet  abord  de  Conilantinoplc.  On  
 fe  trouve  au  milieu  de  trois  grands  
 bras  de  Mer  ,  dont  l'un  vient  du  
 Nord-Eil,  l'autre  va  vers  le  Nord- 
 Oucfl-,  &  le  troifiéme  qui  eft  produit  
 par  les  deux  autres  fe  va  décharger  
 au  midi  dans  ce grand  bailin  
 de  la  Propontide.  Ces  trois bras de  
 Mer  arrofentde  côté  &  d'autre,  tant  
 que  la  vue  fe peut  etendre,  des  campagnes  
 qui  aboutilTent  infenfiblement  
 à  phifieurs  collines  qui  toutes  
 font  couvertes  de  maifons  de  plaifance, 
   de  jardins  &  de  Kio/ks.  Et  
 plus  ces  trois  grands  Canaux  ou  bras  
 de  Mer  approchent  delà Vi l le,  plus  
 eft  grand  le  nombre  des  maiîbns  
 qu'on  y  aperçoit.  Elles  parroiflènt  
 toutes  elevées  les  unes  fur  les  autres  
 en  forme  d'Amphitheatre,  comme  
 fi  elles  vouloient  elles  mêmes  pour  
 ainfi  dire  avoir  leur  part  du  plaiiîr  
 que  donne  une  fi  belle  vue.  Parmi  
 toutes  ces  maifons  qui  font  peintes  
 en  une  infinité  de façons différentes,  
 on  voit  un  nombre  incroiable  de  
 gros Domes, de  Coupoles,  &  de Minarets  
 ou  petites  Tours qui  s'elevent  
 fort  haut  par deiTus  les maifons  ordinaires. 
   Tous  ces  Domes  ont  un  certain  
 air  de  grandeur  qui  a  quelque  
 chofe  d'incomparable  ,  &  ils  font  
 couverts  de  plomb  de  même  que les  
 Minarets  dont  la  pointe &  le fommet  
 font  dorez.  
 La  verdure  des  cypres  &  des  autres  
 arbres  d'une  infinité  de  jardins,  
 n'aide  pas  peu  àl'agreableconfufion  
 d'une  infinité  d'objets  qui  fe prefentent  
 à  la  vue  ,  &  qui  enchantent  
 pour  ainfi  dire  les  yeux  de  ceux  qui  
 arrivent  à  Conftantinople.  
 La  quantité  de  vaifïeaux  qui  font  
 une  efpece  de  couronne  autour  du  
 Port  ,  fans que  le milieu  en  foitembarafle, 
   ne  refl'emble  pas  mal  à  un  
 cercle  fpacieux  de  grands  arbres  
 qui  auroient  quitté  à  dcifein  toutes  
 leurs  fueilles afin  de  ne  dérober  pas  
 aux  yeux  des  Speftateurs,  toutes  les  
 beautez  qui  font  derrière.  Et  la  
 multitude  prodigieufc  de  Kaïques,  
 de  'Fermes  ou  Gondoles  &  d'autres  
 petits  bateaux  dont  on  eftime  que le  
 nombre  va  bien  à  feizemille,  &qui  
 vont  les  uns  à  la  voile  ,  &  les  autres  
 à  la  rame  dans une infinité d'endroits, 
   tant  pour  le  plaifîr  que  pour  
 les  diverfes  neceffitez  des  habitans,  
 femble  offrir  continuellement  le  
 Speftacle  d'un  combat  naval  fur  cet  
 agreable  Amphitheatre  pour  le  divertiflèment  
 de  ceux  qui  les  regardent. 
   
 Enfin  de  quelque  côté  que  l'on fc  
 tourne,  lors  qu'on  eft  au  milieu  du  
 Port  de  cette  grande  Ville,  on  afujec  
 d'admirer  combien  la  Nature  
 l'a  favorifée  dans  le  choix  qu'elle  a  
 fait  de  tout  ce  qui  pouvoir  contribuer  
 à  la  beauté  &  à  l'ornement  de  
 fa  fîtuation.  
 Apres  de  fi  grands  avantages,  &  „  ,.  
 qui  lui  font  particuliers,  il  ne  faut  tuatLde  
 )as  s'ctonner  de  ce  que  Conftantin Connanti.  
 e  Grand  put  quitter  fî  aifément  les  ""P''- 
 delices  de  la  ville  de  Rome  pour  
 tranfporter  le  iiege  de  l'Empire  à  
 Byzance  ,  &  la  nommer  de  fon  
 nom.  Il  n'y  a  point  de  ville  en  
 effet  qui  foit  plus  propre  à  tenir  
 l'Empire  du  monde  ;  elle  en  voit  
 d'un  coup  d'oeil  les  deux  plus  confiderables  
 parties,  &  en  moins  d'un  
 quart  d'heure  elle  peut  faire  palTer  
 fes  ordres  de  l'Europe  où  elle  eft  fituée  
 ,  jufques  dans  l'Afie,  qui  ne  
 femble  s'en  approcher  fi  près  que  
 pour  fe  foumettre  à  fesLoix.  Ainfi  
 quand  l'art  &  la  nature  fe  feroient  
 accordez  pour  former  un  endroit  où  
 la  beauté  &  l'abondance  fe  rencontrafTent  
 dans  un  pareil  degré  ,  ils  
 n'auroient  pû  y  mieux  réuflîr  qu'en  
 faifant  Conftantinople  ce  qu'elle  eft.  
 La  terre  y  produit  toutes  fortes  de  
 beaux  fruits,  les  yeux  &  le  palais  
 s'y  peuvent  contenter  agréablement,  
 &  il  n'y  manque  rien  tant  pour  la  
 neceffité  que  pour  les  delices.  L'eau  
 douceSc l'eau falée y  fourniftcnt toutes  
 les  commoditez  qu'un  clement  auflî  
 neceflàire  à  la  vie  peut  demander.  
 L'air  y  eft  bon  par  excellence,  &  
 le  ramage  d'une  infinité  d'oifeaux  
 qui  
 en  E GYP  T  E.  S Y  R  IE,  &c.  
 qui  s'y  font  entendre  le  matin  &  le  
 foir,  tant  fur  les  arbres  que  dans  les  
 jardins  &  fur  les  coteaux  des  environs  
 ,  femble  dire  qu'ils  ne  trouvent  
 point  d'endroit  au  monde plus  agréable  
 jque  ce  beau  climat.  Les  Amphibies  
 qui  vivent  tantôt  dans  l'eau,  
 tantôt  fur  la  terre  ,  &  tantôt  dans  
 l'air  ,  y  font  auffi  en  aflëz  grande  
 quantité  pour  faire  croire  que  ces  
 trois  Elemens  font  à  Conftantinople  
 dans  la  plus parfaite  temperaturequ'- 
 ils  puiffcnt  avoir.  
 C e  fut  cette  proflifion des prefens  
 de  la  Nature  qui  infpira  ce  fentimeiit  
 à  l'Empereur  )uftinien  qu'il  
 falloir  plutôt  abandonner  tout  le  refte  
 du  monde  ,  &  s'arrêter  à  Conftantinople, 
   que  de  laiflèr  inhabité  
 un  pais  fi  agreable,  comme  il eft arrivé  
 à  plufieurs  autres  grandes  villes.  
 ^  ,.  Ce  fut  dans  cette  p Sesdivers  ,  j  ^  ^ enn  fée•  qu'1il   chan- 
 Noms.&c. ë^^  le  nom  de  Conltantinopleenceui  
 de  Ville  Eternelle,  comme  il paroît  
 par  la  loi  Si  qui quinta,  cap.  de  
 divers.  Trad.  urb.  tit.  69.  Ce  ne  
 font  pas  pourtant  les  feuls  noms  que  
 cette  fameufe  ville a por t e z ,  elle en a  
 prefque  eu  autant  que  de  Maitres,  
 &  tous  les  Rois  ou  Tyrans  qu'elle  
 a  eus  femblent  avoir  pris  plaifir  à  
 changer  fon  nom  auffi  bien  que  fa  
 fortune.  
 C e  fut  celui  de Chryfokeras  ,  qui  
 iignifie  corne  d'or,  ou  ii  l'on  veut  
 corne  d'abondance,  que  quelques  
 Pâtres  de  Thrace  donnèrent  à  cette  
 contrée  oii  eft  bâtie Conftantinople,  
 parce  que  fa  fituation  avantageufe  
 &  ià  figure  extérieure  avoicnt  quelque  
 rapport  avec  une  corne  d'abondance. 
   Cela  arriva  environ  l'an  du  
 monde  3286,  dans  la  vingt  deuxième  
 Olympiade  ,  du  temps  du  Roi  
 Ezechias  ,  &  de  Numa  Pompiluis,  
 c'eft  à  dire  690.  ans  avant  la  Naiffance  
 de Jefus  Chrift.  
 Apres  que  ces  Paftres  eurent  bâti  
 quelques  Cabanes  à  Chryfokeras  ,  
 le  nombre  des  habitans  s'augmenta  
 tellement  à  caufe  de  la  beauté  de  la  
 demeure,  qu'en  peu  de  temps il s'en  
 fît  un  aiTez  gros  Bourg,  à  qui  l'on  
 donna  le  nom  d'Acropolis,  c'eft  à  
 dire  la  ville  de  la  Pointe,  &  peu  de  
 temps  aptes,  celui  de  Lygss.  Apres  
 7 1  
 cela  Bur/is  ,  Byze  ,  Bfz,itnte  ,  ou  
 Byzanta,  (car  ces  Hiftoncns  emploient  
 tous  ces  noms)  qui  y  mena  
 une  Colonie  de Megantns,  la  nomma  
 de  fon  nom,  Bjzance,  qui  lui  
 demeura  jufqu'au  temps  de  rii.nipcreur  
 Marc  Aureic  Antonin  Caracalla  
 qui  l'accrut  &  l'embellit  ,  &  
 puis  la  nomma  Antonina.  Elle  eut  
 encore  depuis  ce\\.n  d'Anthufe,  &  
 après  cela  celui  de  Nouvelle  Rome.  
 E:  enfin  Conftantin  le  Grand  qui  y  
 tranfporta  le  fiege  de  l'Empire  de  
 Rome,  qui  l'augmenta  &  qui  l'embellit  
 de  plufieurs  ornemens  dignes  
 de  la  Capitale d'un  fi  grand  Empire,  
 lui  donna  le  fien,  &  la  fit  appeller  
 X-i'HoViVÔXç  Rome  deConflantm,  ce  
 qu'on  accourcit  de  puis  l'appellant  
 Conftantinople  ,  c'eft  à  dire  ville  de  
 Conftantin.  Elle  fut  encore  appcllée  
 Tarthenopolis  parce  qu'elle  fut  
 dediée  à  la  Vierge  Marie  par  le  même  
 Conftantin,  peut  etre  à  l'imitation  
 d'Antioche  qui  fut  appellée  
 Theopolis.  
 11  y  en  a  qui  veulent  que  cette  
 Nouvelle  Rome  de  Conftantin  n'aie  
 pas  eu  un  commencement  plus  heui  
 reux  que  l'ancienne  Rome  :  &  même  
 fi  l'on  en  croit  Zofîme  qui  ne  
 vouloir  gueres  de  bien  à Conftantin,  
 1 &  quelques  autres  Autheurs,  il  fera  
 i vrai  de  dire  que  Conftantinople  fut  
 I  rebâtie  fous  de  plus  funeftes  prefiiges, 
   que  Rome  n'avoit  été  fondée.  
 [ Ils  accufent  Conftantin  d'avoir  fut  
 mourir  fa  femme  Faufte  &c  fon  fils  
 Crijpe,  pour  de  moindres  fujets cjue  
 Romulus  ne  fit  mourir  fonfrereRcmus. 
   Mais outre que fi l'on veut fuivre  
 le fil de l'Hiftoire d eZof ime ,  il  paroitra  
 que  cela arriva long  temps  avant  
 que Conftantin  fongeât  à  rebâtir  Byzance  
 , &  même avant qu'il fuft  Chretien  
 :  le  proverbe  fera  toujours  véritable, 
   que  les  Grands  hommes  ne  
 font  pas  fans  défauts,  non  plus  que  
 le  foleil  n'eft  pas  fans  tache  :  outre  
 que  Zofime  dit  lui  même  que  Faufte  
 femme  de  Conftantin  &  Crifpe  
 fon  fils  furent  faits  mourir  ,  parce  
 qu'entre  autres  crimes  on  foupçonnoit  
 celle  la  d'adultere,  &  celui  ci  
 d'incefte.  Mais  quoi  qu'il  en  foit  
 Byzançe  a  toujours  retenu  le  nom  
 de  
 IH-':'  
 f  Î;  'ni''  
 -,  liii  ,  iSÎ  
 /Il  
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