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boivent point de vin , & ceux qui
s'y laiiTenc aller ne font non plus eftimcz
que ceux qui prennent de l'O
paira ou de femblibles eiiofes qui
caufent une elpece d'ivreflè : Et
pour ce qui eil du jeu, quoi qu'ils
en ayenc de plufieurs fortes, ils ne
font point ce qu'on appelle joueurs,
c'eft à dire qu'ils ne jouent que pour
fe divertir , & pour faire paroitre
leur adreiTê , & jamais pour de l'argent
> ce qui eft caufe auffi qu'il
n'en peut pas arriver de grandes
querelles.
Pour prévenir aufli les déréglcmens
& les excès qui pourroient ar^
river la nuit, chacun eft obligé de
l'epaiiTeur d'un doigt, & ils lui en
donnent des coups par compte jufqu'à
la concurencedecequiluieneft
ordonné, ou que celui qui le fait châtier
dife que c'eft aflez. Ce châtiment
cft cruel, • & empêche de marcher
pendant quelques fcmaines, &
même pendant quelques mois, principalement
quand on en - a receu
trois ou quatre cens coups , comme
cela fe fait pour les grandes fautes :
mais vingtcinqou trente coups, qui
font la punition ordinaire des fautes
plus legeres , n'empêchent pas de
marcher , & ceux qu'on a ainii accommodez
, s'enfuyent aulli tôt qu'-
ils en font quittes, comme je l'ai foufe
retirer des rues une demie heure, vent vû à Calata en paflant par haaprés
que le Soleil eft couché, au-|zard dans les rues. C'eft de cette
trement il eft fujet à être arrêté par I même maniere que les Maîtres châtient
leurs Efclaves, &c parce moicn
ils les tiennent dans une crainte &
dans un refpeft qui ne font pas imaginables.
Ces coups de bâton fe donnent
aufli quelque fois fur le derricre ,
le Koloiic qui eft une cfpece de
Ronde, s'il eft trouvé fans lanterne,
& on le met en prifon jufqu'au lendemain
matin, qu'on l'interroge, &
félon qu'il fe trouve innocent ou
coupable , on le punit ou on le relafche
, mais il en coûte toujours'mais couvert d'un caleçon mince,
quelque chofe. Cet ordre s'obferve, O n corrige même les femmes de
auiTi bien lors que la Lune luit que cette forte, quand elles ont manqué
lors qu'elle n'eclaire point, comme à feur devoir , & le châtiment eft
il les Turcs vouloient donner à en- plus rude fur cette partie que fous
tendre par là que les honnêtes gens la plante des pieds , fur tout fi l'on
doivent toujours cheminer à la lu-en donne cinq ou fix cens coups,
miere. parce qu'alors il faut couper avec le
A l'égard de le manicre ordinal-, rafoir la chair meurtrie & morte.
Maniéré re dont ils punifllînt ceux qui font I de pair que la gangrené ne s'y mette,
de '"pmh- fou'^ez en faute,^elle i"e fait à c oups '& l'on cft obligé de garder le Ikdes
lesfautes. de bâton que l'on donne fous la ' mois entiers. Je n'ai pas vû exercer
plante des pieds. Pour cet cflït ils cette manière de donner la Falaque,
ont une morceau de bois épais qu'ils parce qu'elle eft plus rare , & je
appellent vers le milieu du-jn'en fçai que . ce que l'on m'en a
quel il y a deux trous à la diftance dit.
d'environ un bon pied l'un de l'autre.
Ces trous fervent à palTer les
Les fuplices à mort font pendre ,
couper la tête, étrangler , & cmpapieds
de celui qui doit être châtié ,|ler: ce dernier n'cft gueres en ufage
on le couche à terre fur le dos , Scjqu'a l'égard des voleurs de grand
on les lui attache avec des cordes,'chemin , & des meurtriers & aiFafbien
ferme à la Falaque. Alors deux fins , ainfi c'cft le même liipplice
perfonnes lèvent ce bois à une telle'qu'eft chez nous rompre vif, &
hauteur que le patient ne touche à; mcttre fur la roué,
terre que des épaulés , & qu'ainfi il Aurefte les Janiftairesibur exempts
ne fçauroit faire aucune rcfiftance ni de ces fortes de liippliccs j
aucun mouvement violent. Deux même ils ne font jamais executez
autres cependant viennent chacun a- publiquement, quelques crimes qu'-
vec un court bâcoii à la main , ou ils aytnt commis; on iè contente de
plutôt avec une efpece de latte de|lct mettre dans un fac & de les jetter
c n E G Y P T E . SYRIE. &c.
ter dans la mer par une des fenêtres
duSerrail, tirant en même temps un
coup de Canon, pour marquer l'execution
de la fentence. Et même le
grand Vizir n'a pas le pouvoir de punir
un Janiflâirc , il n'y a que leur
General le Janiflâirc Aga à qui cela
foit permis. Il y a aufli parmi ceux
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de cet ordre nne punition infamante
, c'eft de leur couper un certain
colier qu'ils portent au haut de leur
fuftaucorps pour marque qu'ils font
Janiflaires , ceux que l'on punit de
la forte , font declarez par là indignes
de cette charge honorable, &
chaifez honteufement.
C H A P I T R E X X I V .
^mm & yices des Turcs, cMéprife de (¡uelqm voiageurs
fur les coideurs qu'il n'eft pas permis aux Chrétiens de porter. Uefauts
o- beauté des Femmes de Turquie. Mépris & jaloujie desTurcsàl'eeard
de leurs femmes, é-c. ^
Apres avoir rapporté les principales
particularitcz des mceurs
6c des coutumes des Turcs, je vai
réduire en abrégé ce qui peut refter
de cette matiere, à quoi j'ajouterai
quelques autres chofes qui pourront
ne pas deplaire à ceux qui les liront.
Les Turcs generalement parlant
Rituiel font fort honnêtes gens ; ( j'entens
des 1 m e s . q u i font Turcs originaires, car
pour les autres, qui ne le font devenus
qu'en abjurant leur Religion
pour embralTer leMahometifme, ce
font ordinairement des fcelerats,
qui ne font pas plus fidèles aux
hommes qu'ils l'ont été à Dieu.) Ils
ne font point trompeurs, même à
l'égard des Chrétiens , car ils ne
croyent pas qu'il foit plus permisdc
tromper un Chrétien, ou de lui
prendre quelque chofe , qu'il n'eft
permis de le faire à un Turc. Ainfi ,
s'il arrive quelque fois que les Chrétiens
foient pillez & rançonnez par
les Turcs , il faut plutôt l'attribuer
à leur envie mutuelle, ou à la malignité
des Juifs qui les pouffent fouvcnt
à maltraitter les Chrétiens,
qu'a leur humeur naturelle. Ils font
d'ailleurs pieux , charitables, &
pleins de zele pour leur Religion.
Ils font très fideies à leur Prince,
pour lequel ils ont une obeïflànce
aveugle , & ils la portent fi loin,
qu'ils ne font point difficulté de fe
faire mourir quand il le leur commande.
Ils ne font point querelleurs:
Ils font fobres au manger &
au boire &c. Mais d'autre côté ils
font orgueilleux , & ils méprifent
toutes les autres Nations, particulièrement
celles qui ne font pas de leur
Religion, comme les Chrétiens &
les Juifs , les premiers defquels ils
appellent ordinairement par mépris
Tupei & Jouwer, ou Chiens, &
Infideles. Ils fe croient aufli les plus
vaillans de tous les hommes; qualité
qui leur pourroit être conteftée
par bien du monde, à moins qu'ils
ne vueillent faire pafl"er pour vaillance
une efpece de témérité & d'intrépidité
qui leur eftaflèzordinaire, &
qui ne leur vient que d'un préjugé
qu'ils ont au fujet de laPredeftination
, qui fait qu'ils n'apprehendent
pas même la Pefte. A quoi
l'on peut ajouter qu'ils croyent que
s'il meurent en combattant contre
les ennemis de leur Religion , 1I3
vont auili tôt jouir de toutes les voluptez
que Mahomet leur fait efperer
dans fon Paradis. Cette bonne
opinion qu'ils ont d'eux mêmes
n'empêche pas pourtant qu'en bien
des chofes ils n'eftiment plus les Européens
qu'ils ne s'eftimcnt eux mêmes
, principalement à Conftantinop!
e, oùlagrande fréquentation qu'-
ils ont avec eux les a convaincus raille
fois de leur habileté. Mais pour
le petit peuple, ce font gens fortincivils,
& dont il fautfouvent endu-
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