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A v e n t u r e j'ai parlé des Saurcrellcs air
cxnaoiji-chiipitrc 46. J'ajouterai ifi fur le
d e r s a u i c - " ! ' ^ ' " '^ Í11J« ce rccit que j'ai OUI
relies. faire aux habicans de Chypre. Il
arriva dans cette Ifle l'année 1668.
qu'il y eut dans tout le pais, mais
principalement aux environs de Faniagoultc
une lì grande quantité de
Sauterelles , que quand elles fe
niettoient à voler , elles reiTemhloient
à une nuée obieure au tratravers
de laquelle les rayons du
Soleil pouvoienc à peine le faire
voir. Cela dura environ un mois,
auquel temps le Bafla ordonna à
tous les gens de la campagne d'en
apporter chacun par tête une certaine
mefure pleine, dans fon Palais
à Nicofie , enfuite de quoi il fit
faire quelques .trous en terre hors
de la ville , dans lefquels on les
jetta , & on les couvrit de terre
afin que leur puanteur n'infeftât
point l'air. Cependant on fit dix
jours durant des Procellions parmi
les Grecs , & des prieres pour être
délivrez de ce fléau fi ruineux pour
!e pais. Et pour cet effet on portoit
aufiî en proceffion une certaine
image de h Vierge Marie avec le
petit enfant Jefus entre fes bras,
qu'on dit avoir été faite par S. Luc.
Cette peinture efl: ordinairement
gardée dans un Cloître nommé
Chicho qui a dans fa dépendance environ
quatre cens Caloyers, dont on
envoye une partie tant en Mofcovie
qu'ailleurs pour faire le fervice.
Ce Cloitre eft bâti fur le mont
Olympe qui eft la plus haute montagne
de toute l'Ifle. Qiiand on y
manque d'eau j ce qui arrive lors
qu'il a été longtemps fans pleuvoir,
on apporte en grande ceremonie
cette Image hors du Cloitre, & enfuite
on la met fur un théâtre élevé
d'environ vingt degrez, le vifage
tourné du côté qu'ils attendent la
pluye. Il arriva donc qu'un jour
qu'on avoit fait la même ceremonie
à l'occafion des Sauterelles, & qu'on
avoit placé l'Image fur un Théâtre, il
parut aufli tôt une efpece d'oifeaux qui
ne rcffembloicnt pas mal à des Pluviers
; ils fe jetterent fur ces infeftes &
enmangerent une fort grande quanti
té,Outre cela il arriva que le lendemain
lors que les Sauterelles conimenccrent
à s'elevcr de terre par la chaleur
du Soleil , ils fe leva un grand
vent de terre qui les emporta, comme
c'eft la coutume, fi avant, que
vers le foir comme elles n'avoient
plus de force pour fe foutenir, pareeque
la chaleur du Soleil étoïc
paifée , elles tombèrent toutes dans
la mer & fe noiercnt, ce qui parut
quelque temps après , lors qu'un
vent de mer les pouflà par monceaux
vers le rivage , & ainfi l'Ifie fat
délivrée de ce terrible fléau. On
ajoute que ces oifeaux qui avoient
mangé les Sauterelles n'avoient jamais
été vus auparavant, ni ne le
furent depuis , & que le Bada fit
defenfe fur peine de la vie d'en tuer
aucun.
J'ai vti moi même aux environs de
Nicofie une grande quantité de ces
infeftes , & j'ai remarqué que les
lieux qu'elles avoient broutez
étoient auffi brûlez que fi le feu y
euft pafle , & même à chaque pas
qub faifoit mon cheval, il en ecrafoit
dix ou douze. J'ai parlé aiTez
amplement de ces Sauterelles au
Chapitre 4.6. comme je le viens de
dire , ainfi je n'y ajouterai que
cette feule chofe, quim'aétéaiTeurée
par diverfes perfonncs,c'eft qu'il vient
de temps en temps de certains oifeaux
qu'on appelle en Arabe Gnr, & qui
fe tiennent en Egypte, ils ne reffemblent
pas mal à des canards, excepté
qu'ils ont le bec pointu ; ces oifeaux
mangent les Sauterelles, &
les empêchent ainfi de faire de plus
grands dégâts, on dit la même chofe
des Cicognes.
A propos de ces Oifeaux , on
n'a pû dire jufqu'à prefent avec
quelque certitude quel eft le lieu où
elles s'en vont lors qu'elles nous
quittent. Je ne voudrois pas avancer
comme une vérité indubitable
ce que je vai dire ; mais
on m'a afleuré qu'aflez loin de l'autre
côté du Jourdain eft le lieu
oil elles fe retirent , dans un
endroit que les Grecs appellent
Er¿mif comme qui diroit le Heu
defert. C'eft un endroit oii l'on
ne
e n Ë G y P T E, S Y R I E , &c. 385
ne va jamais , parce qu'il eft
plein de broffailles ic qu'il y Eut
très grand chaud.Elles vont là au môi's
d'(^£tobre , & reviennent ici au
mois de Mars. On pretend aulîî
qu'il y en a qui fe retirent en
Egypte.
Pierre ^^^ Chypre
donc on que fe trouve la pierre ^m/-
hit de kaphas', dont on fceu autrefois
CT^en du fil & de la toile, & dont
on dit qu'étoient faits les facs oil
l'on mettoit les morts avant que
de les brûler , afin d'en coniêrver
les cendres. Car comme le
feu ne confumoit point cette
toile , mais qu'il ne faifoit que
la nettoier & la blanchir , la
cendre s'y pouvoit fort bien confencr
, pour être raife en fuite
dans des vailleaiix de pierre qu'on
appelloit^ des Urnes. On en faifoit
atiffi du papier , qui avoit
cette propriété , que lors qu'on
vouloir effacer ce qui étoit écrit
deftiis , il ne falloir que le jettcr
au feu , d'oii on le retiroit
fort net. Mais la manière de faire
cette toile & ce papier eft perdue.
La couleur de cette pierre eft un
verd. obfcur qui eft un peu lui-'
fant. Quand on la tire en fils ,
elle reflèmble à du coton , &
lors qu'on le pafle au feu , non
feulement il n'en eft pas confumé
, mais il ne fe gâte point
du tout , ni ne perd rien de la
fubftance.
. „ Entre les diverfes chofes que
w f Produit l'Ifle de Chypre, il y
commodi- croît de très bons vins , & ceux
flrdecl?-1"'^ l'on boit ici font fort diffepre.'^
'^'rens de geux qu'on trouve dans
d'autres endroits , quoi qu'ils y
foient amenez de là,& qu'ils puiffent
bien endurer le tranfport ,
mais en les tranfportant ils acquièrent
un certain goût de poix qui
contribue en partie à les confervet.
J'en ai bu ici, qui avoit plus
de trente ans , il étoit fort agréable
au goût , d'une très belle!
couleur , & fi huileux qu'il s'attachoit
au verre comme fait l'eau dç
vie. On y en trouve même qui a
plus de cgic ans ; Car quand les,
Peies marient un enfant à ils lui
font prefent d'un vaifleau du meilleiir
vin „qu'ils ayent, & toutes les
fois qu'on en tire ou qu'on en ôte,
on le remplit de pareille quantité de
vin de la même fòrte, tellement que
le vin fe conferve toujours dans fit
bonté , & plus il eft vieux plus il
eft excellent. Il y en a de rouge &
de blanc, l'un & l'autre fort bons,
mais fi forts que pour le boire à
l'ordinaire il y faut deux fois autan:
d'eau que de vin ; Je ne croi pas en
avoir jamais bu nulle part de plus
fort. On y a aufli de très bon vin
mufcat, & de fort bon bled. En
pour ce qui eft du gibier , il y
en a en telle abondance que l'iflc de
Chypre furpaiTc à cet égard tous
les autres païs.
Ajoutez à tous CCS avantages, qu'-
on y a encore celui de pouvoir
voiager librement par. toute l'Ifle fins
aucune crainte , & avec autant de
feureté qu'on feroit dans fa propre
maifon. Les Grecs de ce païs font;
d'un naturel fort civil & plein d'affeftion.
Ils fe mêlent prefque tous
de l'agriculture. Leurs Jardins ne
confiftent qu'en quantité de meuriers
dont les fueilles fervent à nourrir lesi
vers à foye qu'on "y a en une fï
grande abondance, qu'il n'yapoin:
de maifon où l'on n'en trouve. Outre
la foye il y a aufli beaucoup de
coton. Les arbres qui leproduifen:
font hauts de quatre, cinq & même
de fix pieds ; il vient dans des enveloppes
ou cocques comme celles des
noix, & qui font prefTées les unes
contre les autres comme les châtaignes,
car elles n'ont pas l'ecorce
plus epaiiTe. Il y a aufli beaucoup
de Terebentine & de Coloquintes.
L'Habit des Femmes eft à peu près
tel que la Taille-douce lereprefente.
Leur coiffure n'eft qu'un mouchoir
attaché autour de la tête qui eft brun
ou gris rayé de noir, & d'or ou
d'argent, & quelquefois aufli avec de
la broderie. Pour leur habit elles
portent toutes fortes d'etofl'es de
foye. Leur chemife a autour du cou
une efpece de frange, qui n'eft pourtant
que la toile même de la chcmifc
travaillée de cette forte, &coufuë
G c c en
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