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1 5 0 VOY A G E au L E V A N T
ons cu à voir cette entrée. Comme
nous allions au lieu où nous
avions lailTé nos barques, afin de
retourner à Fera, nous rencontrâmes
dans une rue oii demeuroit un
des principaux des Tuçcs, quelques
uns de fes Domeftiques qui étoicnt
devant la porte : fes gens voiant
une aiTez grande compagnie de
Francs , & entre eux Madame la
Refidente qui étoit vetuë à la Hollandoife,
nous dirent quelques infolences.
Deux ou trois de nos Domeftiques
qui avoient un peu trop bu,& qui
par confequent avoient moins de retenue
qu'ils n'en auroient eu fans
ccla, (car il ftut dans de fcmblables
occafions faire la fourde
oreille fur tout à Conftantinople)
prirent la liberté, s'appuiant fur
le refpeft qu'on devoit avoir pour
leur Maitre, de leur repondre fur
le même ton. Ces Turcs entrèrent
là deillis dans la maifon, 011
ils prirent quelques bâtons , tels
qu'ils en ont toujours à la main ,
& vinrent fondre fut nous. Cela
n e nous étonna pas peu. Mon
fleurs Coljers qui connoiflbit le
genie de la Nation, 8c qui fçavoit
par confequent quelle fuite cela
pouvoir avoir, fe mit fagement entre
deux , & tâcha d'appaifer la
colere des Turcs, rejettant la faute
fur l'ignorance de fes Domeftiques.
Madame fa femme, & Mademoifelle
Claire leur fille qui fçait
fort bien la Langue Turque , &
qui étoit vetuë à la maniéré du
païs , mêlèrent leurs paroles douces
& honnêtes à celles de Monfieur
le Refident , & firent tant
qu'ils appaiferent les Turcs & leur
firent entendre raifon, deforte qu'-
ils nous laiftèrent continuer notre
chemin en paix, fort aifes d'en etre
fortis fi heureufement. Je vis par
experience dans cette occafion ,
que la grande crainte que j'ai dit
ci-deifus qu'on a pour es JaniiTaires
, ne fert pasiibeaucoup quelque
fois ; car les Turcs n'eurent pas
plus d'égard pour les nôtres que fi
nous n'en euffions point eu avec
nous, & ceux-ci au lieu de fe fervir
de leurs bâtons, employèrent,
les paroles les plus douces qu'ils purent
trouver : Mais auili faut-il dire
pour leur excufe, qu'ils prevoioient
bien que fi nous en fuflions i'enus
aux mains , nôtre vie n'auroit pas
été en feureté, à caufe de quantité
d'autres Turcs qui y feroient
accourus. Cette avanture me fit
prendre la réfolution de n'aller plus
rien voir à l'avenir en fi grande
compagnie.
J'alliftai avec bien moins de dan-^.jj™''^«;
ger , quoi que dans une occafion devmt'k
aflèz hazardeufe, au fpeitacle d'un GrandSeifeu
d'artifice préparé pour le di- gn™"".
vertiflèment du Grand Seigneur,
par deux de mes amis qu'on avoit
fait venir exprès de Smyrne. IF
étoit arrivé qu'à l'occafion de la
Paix entre les François & les Hollandois
, ces deux perfonnes qui
demeuroient à Smyrne , y avoient
fait quelque réjouifiince, & entre
autres chofes avoient tiré quelque
feu d'artifice , qui plut tellement
aux Turcs, que le bruir en alla jufqu'aux
oreilles du Grand Seigneur.
Ce Prince qui eft naturellement curieux
, les fit auffi tôt mander, afin
d e faire en fa prefenee quelque
chofe de fcmblable. Le feu d'artifice
aiant été préparé , & le jour
pris pour le tirer , je me mis en état
de pouvoir auflî avoir part au plaifir
, d'autant plus qu'il fe prefente
rarement des occafions d'approcher
des maifons de plaifance du Grand
Seigneur , lors qu'il y eft avec
quelques unes de fes Sultanes. Un
de ceux qui avoient préparé le feu
d'artifice étoit Chancellier de la
Nation Hollandoife à Smyrne, Se
y étoit allé , de forte qu'il laiffa
tout le foin du feu d'artifice à fon
AiTocié Roger van Cleef. Nous
nous mimes donc dans une barque
fur le foir, & nous ramâmes jufque
devant le Serrait des Miroirs
qui eft une maifon de plaifance
des Femmes du Grand Seigneur.
Dès que ce Prince eut fait fignc
on s'apprêta pour tirer , & ce
pendant il fe mit avec la Sultane ou
rimperatrice fur le Sopha , afin de
regarder le feu d'artifice par les
fenêtres. La curiofité me fit toure
n E G Y P T E , S Y R I E , &c. lîi
ner les yeux de ce côté là, comme
fi j'euife pû y voir quelque
chofe. Nous en étions aiTez près,
de forte que nous pouvions entendre
les voix aiTcz diftindement,
qui étoient toutes des voix de
femmes , à la referve de celle du
Grand Seigneur, d'où je tirai cette
conclufion , que toute cette
troupe de Dames qui étoient affifes
autour du Sopha , devoient
être la fuite de la Sultane. Mais
comme la lumiere n'ctoit pas aflèz
grande , je ne puis pas dire que
jaye viV autre cholè que le remuement
& le brillant de quelques riches
habits. Pour ce qui eft du
feu d'artifice, il étoit fort beau, &
felon les apparences il plut beaucoup
aux Dames du Serrai! j Car
à tous les coups de grenades de
camphre , qui ne font point en
ufagc chez les Turcs , i fc faifoit
de grands eclats de rire, de
même que • lors qu'on tiroit les
fabres à feu que deux de la compagnie
manioient fort adroitement.
Une partie des Boftangis fe tenoit
cependant fur le bord de l'eau
pour prendre garde qu'il ne fe
commît aucun defordre. Aurefte
quoique je n'aye pas vu grande
chofe dans cette occafion , peut-
:être n'arrivera-t-il à perfonne d'en
jvoir autant que je fis, parce que ces
¡fortes de chofes arrivent fort rarement.
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