74 VOYAGE au LEVANT
•«il
avcc le Cheval Pegafe. Mais l'une
& l'autre de ces Antiques,
quoique d'une aiTcz bonne main,
ne font pas pourtant allez bien
cxecutées, pour faire dire aux connoiflèurs
, comme quelques voyageurs
ont fait, qu'on n'a rien en
Europe qui foit à comparer pour
la delicateiTe du CifeaUj ni qui foit
fi bien entendu & fi hardi, que
ces deux figures, & qu'il faudroit
faire un prefent au Caïraacan de
Conftantinoplc , & à l'Aga des
Sept Tours, pour en obtenir lapermillîon
de tranfporter ces deux morceaux
de Sculpture.
En allant par Mer de ce Château
des Sept Tours au Serrail, on
rencontre à main gauche une Tour
quarrée qui eft dans la Mer à environ
vingt pas des murailles de la
Ville. Les Habitans la nomment
_ , la Tour de Beiifaire,Tour de n n y— .& ils ajoutent
Belizaire. que cet illuftre General , pour re
compenfe des importans fervices
qu'il avoit rendus à l'Empereur Juftinien
contre tous fes ennemis, tant
en Afie qu'en Afrique & en Europe,
fut renfermé dans cette Tour,
après avoit été dépouillé de tous
fes biens. Se réduit à la derniere neccilîtéi
& qu'après qu'on lui eut
crevé les yeux, il fut contraint pour
ne pas mourir de faim, de pendre
un petit fac au bout d'un bâton au
travers d'une fenêtre, 8c de crier aux
palTans, 'Donnes; s'il -vous fiait me
obole au pauvre Beiifaire, que l'envie
Direftcmcnt derrière ce Port de«
Galères , on voit par delTus les antres
bâtimens la Colonne Hiftariquc
dont nous avons déjà parlé.
En continuant toujours fon chemin
vers le Port, le long des mutailles
de laPropontide, on ne trouve
rien qui mérite qu'on arrête fa
Caïquc, ii ce n'cil: lors qu'on approche
des Jarduis du Serrail, dont
pourtant je ne faurois dire que peu
de chofe , parce qu'on ne les peut
voir que par dehors.
Un peu plus loin on voit une Fontaine
Fontaine pour laquelle les Grecs ont
une grande veneration pendant toute
l'année , mais fur tout le jour de
la Tranffgaration. Alors ils fe rendent
en foule à cette Fontaine qu'-
ils appellent c'eft à dire
Sainteté, & c'efl: afin de faire boire
de fes eaux à leurs malades qu'ils enterrent
jufqu'au cou dans lei^blequi
eft autour. Ils difent des merveilles
de la vertu de ces eaux, & dés
que les malades en ont bû ils les deterrent.
Ils ne font pas cela aux malades
feulement, on en voit par centaines
qui fe portent bien, qui pratiquent
la même chofe, & s'ils ne
s'y mettent pas jufqu'au cou, il s'en
faut fort peu.
Les Grecs ont une infinité de ces
Fontaines miraculeufes. 11 n'y a
prefque pas une ville, ni un bourg,
où l'on n'en trouve quelqu'une &
s'il n'y en a point dont la vertu viencn
E G Y P T E , S Y R I E , &c. 75
ne naturellement de quelque veine
& non aucun crime qu'il ait 'iaiit3.\\iiius ou minérale qui s'y rencommis
, a réduit au trifle état où contre, les Vapas ou Prêtres Grecs
vous le voiez. jfavent bien leur en attribuer quelqu'-
Tout auprès de l'endroit où eft, une, & la faire trouver dans quelque
cette Tour, il y avoit autrefois un;puits autour de leurs Eghfes, oil el-
Port pour les Galeres, où les Em-j es produifent réellement de bons efpereursTheodofe,
Arcadius, &plu- ;fets, fi ce n'eft peur ceux à qui ils en
fieurs autres qui leur ont fuccedé,jfont boire, au moins eft ce pour eux
tenoient leurs vailTeaux-, Mais au- mêmes.
On dit que le Grand Seigneur qui
fe divertit à cette bizarre devotion
des Grecs, fe tient ordinairement ce
jour là à fa fenetre fans pourtant que
perlbnne le puilTe voir.
On voit auprès de cet endroit une „/^„"i-Ôn
grande Fenêtre par où l'on jette de jerte ceux
nuit dans la Mer ceux qu'on étranglé 1"'°" '
.dans le Serrail, & l'on tue en même
temps
jourd'hui il n'en refte rien qui puiCie
faire juger qu'il y ait jamais eu là
un Port, non plus qu'en tirant un
peu plus loin vers le Serrail, où Julien
l'Apoftat en avoit fait faire un autre
qu'il nomma Julien de fon nom, &
qui depuis fut nommé Port de S. Sophie
, parce qu'il étoit vis à vis de
l'endroit où cette Eglife eft bâtie.
temps autant de coups de Canon
qu'i y a de ces malheureux qui finilTent
ainfi leur vie.
Ailèz près de la Fontaine dont
nous venons de parler on rencontre
Kioskdule Kiosk du Boftangi Bachy, ouLl-
Boliangi- tendant des Jardins. C'eft un Pa-
Bacliy. yjiQji j ou grand Balcon couvert,
qui eft en dehors des murailles du
Serrail, & qui a fa vue fur une grande
partie de la Propontide & du Bofphore
de Thrace. Les Turcs prennent
un grand plaifir à ces fortes de
Pavillons, & il y a très peu de Serrails
ou il n'y en aitplufleurs, quelques
uns au milieu des jardins, afin
d'y pouvoir mieux prendre le frais ,
les autres fur le bord de l'eau, fi elle
pafle auprès, & les autres fur le haut
des maifons en maniere de piatte
forme couverte.
Ces Kiosks font très propres à entretenir
l'humeur réveufe des Turcs.
Ils fe mettent là dedans fur un Sopha
ou Eftrade, avec une pipe de
Tabac & quelque FUngeanso\xt3.&s
de Caffé, & ils y demeurent quelquefois
deux ou trois heures en compagnie
, fans fe rompre la tête à force
de parler. On ne s'y exprime jamais
qu'a demi-mots , encore font ils
ibuvent interrompus par un coupe
de Caffé. Ils le boivent extrêmement
chaud.
Ce Kiosk du Boftangi-Bachy
n'eft pas fi fréquenté que les autres,
parce que, comme cet Eunuque a la
quatrième charge de l'Empire, il
n'a pas le temps d'y aller prendre le
frais, ni de jouir des agrémens que
la beauté de la fituation de ce lieu
"prefente à la vue. Il eft aflêz occupé
des affaires du Serrail, & adonner
ordre aux autres maifons de plaifance
du grand Seigneur dont il a
l'Intendance, outre la direftion qu'-
il a encore de toutes les villes & de
tous les villages qui font fur les rives j
du Bofphore & de la Propontide,,
qui dependent de fa Jurifdiction.
On entre dans ce Kiosk par dedans !
le jardin du Serrail, & l'on en fort ;
de l'autre côté par une petite porte
qui a un degré qui vient rendre au
bord de la Mer. I
La premiere chofe qu'on rencontre
enfuite en avançant toujours le
long des murailles de la ville, qui
fervent ici de clôture au Serrail, efl:
une quantité de pieces dc.Canon qui canou
font la plus part pointez à fleur d'eau pour la
pour deffendre l'entrée du Serrail
du Port, au cas que quelqu'un von- po,.,..
liit les forcer.
La plus groiTe & ia plus conliderable
de toutes, eft celle qui tira le
dernier coup, lors de la prife de
Bagded, & qui par le defordre qu'-
elle y fit, obligea la ville de fe rendre
à Sultan Murât. On la conferve
bien plus foigncufement que les
autres, & l'on a fait faire une chambre
exprès pour la mettre.
L'on ne tire jamais ces pieces,
quoi qu'elles foient toujours chargées,
fi ce n'eft le premier ou le fécond
jour de la Lune du Bdiram,
auquel on entire quelques unes pour
avertir les Mujulmans que la Fête folennelle
du Bairam eft arrivée, &
que comme le efl fini, ils
ne font plus obligez de jeûner. On
les tire aufli quelquefois à l'occafion
des tejouillànces publiques, comme
lors que le Grand Seigneur a pris
quelque Province ou quelque ville.
Autrement on ne s'en fert point, à
moins qu'il n'arrivât que quelque
vaiflèau voulût entrer dans le Port,
i ou en fortir fans ordre, ou bien que
quelque Officier de marque fût coadanné
pour quelque crime à être jetté
dans la Mer. Alors on en tire uu
coup, comme nous avons déjà dit.
1 Au milieu de ces pieces de Canon fe
void une des quatre Portes du Serrail, Porte du
favoir celle des jardins, on l'appelle
;Boftan-Capi. Elle eft flanquée de '
deux groffes Toursrondes, chacune
couverte de fon Pavillon, & accompagnée
de deux gros cypres , &
d'autres arbres qui font hors du Serrail
fur le bord de la Mer.
Au pied de ces Tours il y a deux
Compagnies de Bojlangis ou Jardiniers,
qui font les Capigis, ou gardes
de cette Porte, par laquelle on
ne fauroit entrer ou fortir que par la
permiflîon de ces deux gardes, qui
ne l'accordent pas aifément. Il n'y
a que les feuls Officiers du Serrail
qui entrent par cette Porte. Les
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