190 VOYAGE au LE VANT
peine qu'eût un voiageur dans Ies
pais étranger«) c'étoit de n'entendre
pas la langue. Enfuite tombant de
diicours en difcours ils nie firent diverfes
queftionSj tant fur ma patrie,
que fur les autres Pais que j'avois
vu , & particulièrement ils me dc'
mandèrent ce quejepenfois deConftantinople
, & ii j'avois jamais vu de
ville qui l'égalât. Je repondis que
je l'avois trouvée admirable, & je
leur en parlai toujours d'une maniere
à ne leur pas déplaire. . En un mot
nous nous ieparàmes fort contens
les uns des autres, & ils me fouhaitterent
route forte de bonheur dans mes
voiages , & un heureux retour en
mon Pais.
Lors que nous fûmes venus aux
environs du vieux Caire, nous paffames
auprès de plufieurs de ces debauchees
qui fe tiennent ordinairement
là auprès des mafures, ou à
l'ombre d'un arbre en attendant
quelque bonne fortune à la venue
de quelques galans avec qui elles
n'ont point de honte de s'abandon^
ner aux plus grandes diiTolutions à la
vue même des paiTans. J'avois auparavant
oui parler de ces fortes de
femmes, &,je ne fus pas fâché que
l'experience me confirmât ce que j'en
avois oui dire, mais je ne voulois
pas en prendre une plus grande connoiilànce
en m'approchant d'elles ;
auiïï cela ne feroit-il pas trop feur
pour un Chretien , parce que toutes
ces femmes font Mahometanes.
Le vieux Caire eft environ à une
demie lieuè de l'endroit où eft à prefent
le Nouveau, à l'Orient du Nil
dans une plaine , vis à vis du lieu
ou a été Memphis, après la ruine
de laquelle ç'a été la Capitaine d'Egypte
après laquelle auili elle eft la
plus ancienne du Pais. Les Arabes
la nomment Mazer, de Mnzer ou
Mizraim , comme l'appelloient les
Ebreux, du nom du fils de Cham,
ou petit fils de Noé qui en a été le
fondateur. C'a été autrefois une
ville grande & magnifique , mais
comme les revolutions qui arrivent
dans une longue fuite d'années eaufent
quelque fois degrandschangemens,
elle eft à prefent ruinée en
grande partie & on y voit peu de
reftes de fon ancienne fplendeur.
- Le« Chrétiens d'Egypte y ont trois
Eglifes, celle de S. Barbe, celle de
S. George, & celle de S. Sergius.
La premiere eft l'Eglife des
Cophtes & la principale de toutes ;
Il y a fous cette Eglife uneefpecede
Chapelle fort profonde & fort obfcure
, on dit que c'étoit autrefois
une petite maifon ou grotte qui a
fervi de demeure à Jofeph, 8c à la
Vierge Marie. On y voit encore un
morceau d'une poutre , dans l'endroit
Oli la voûte du grand autel cil
foutenuë de quelques piliers , que
l'on me dit qui eft venue de l'Arche
de Noé, on n'en voit qu'un bout
qui fort un peu hors de la muraille.
Chaque voiageur tâche d'ordinaire
d'en avoir quelque petit morceau,
& cela d'autant plus que l'onditque
cette poutre a fervi autre fois à foutenir
le plancher de la maifon de la
Vierge Marie. Je trouvai ce bois fi
dur & fi ferré que j'eus bien de la
peine à en couper un petit morceau.
L'Eglife de S. George eft haute &
raifonnablement bien bâtie. Les
Grecs le vantent qu'ils y conièrvent
encore un bras de ce Saint. On y
voit un gros Pilier auquel eft attachée
une chaine de fer qu'il difent
avoir été celle de S. George, & ils
lui attribuent la vertu de faire revenir
en leur bon fens les perfonnes
qui ont perdu l'efprit, pourvu feulement
qu'on les lie de cette Chaîne.
Cette Eglife apartient à un
Cloitre de Religieufes Grecques qui
eft fort ancien & aflèz bien bâti ,
il eft fort haut, & a au defllis une
piatte forme d'où l'on peut découvrir
aflez loin.
J'allai voir enfuite les Greniers de
Jofeph que les Arabes nomment il
Scioni. Les habitans difent par tra- Gretiers
dition que Joièph fachant que la fa-de Jofeph;
mine étoit prête d'arriver, les fit bâtir,
& qu'il y fit amener du bled de
de tous les còtez. Ils fervent encore
à prefent à garder le bled pour
l'entretien de foldats. Ces grenier.?
font fort grands & environnez d'une
muraille à l'antique, & aurefte
diftin-
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