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 à  trois  heures  après  midi. 
   Le  I f.  un  petit  vaifleau  qui  
 venoit  de  Venife,  &  qui  étoit  de  
 Rhodes,  entra  dans  le  Port.  Lei6.  
 quatre  Saïqucs  partirent  pour  Conftantinople. 
   Cependant  nous  avions  
 tous  les  jours  un  temps  orageux  
 mêlé  de  pluye  &  de  furieux  
 tonnerres  &  éclairs  ,  ce  qui  augmenta  
 le  chagrin  que  nous  avions  
 de  demeurer  là  fi  longtemps  ,  &  
 particulièrement  le  mien  ,  parce  
 que  je  craignois  de  ne pouvoir arriver  
 à  Jerufalem  avant  Pâquc.  
 Le  ièul  divertiiicment  que  nous  
 avions  étoit  d'aller  tous  les  jours  à  
 terre  pour  voir  la  ville  &  tous  fes  
 environs  ,  où  nous  allions  rendre  
 vifite  aux  Grecs  dans  leurs  maifons  
 j  ce  que  nous  faifions  avec  
 autant  de  liberté  ,  que  lì  nous  
 euliions  été  dans  la  Chrétienté,  
 fans  qu'il  nous  foit  jamais  arrivé  
 aucune  peine  de  la  part  des  Turcs.  
 Et  même  ceux  de  la  Douane  qui  
 ont,  comme  je  l'ai  dit,  leur  maifon  
 auprès de la Porte  ,  en forte qu'il  
 faut  paffer devant  pour  entrer  dans  
 la  ville  ,  m'envoioient  fouvent  quérir  
 pour  caufer  avec  eux  :  Car  
 comme  ils  avoient  apris  la  premiere  
 fois  ,  de  quel  pais  j'étois,  oii  
 j'avois  voiagé,  &  où  j'avois  encore  
 delTein  d'aller  ,  ils  prenoient  
 grand  plaifir  à  m'entendre  dire  ce  
 que  je  favois  de  divers  endroits.  
 Ils  accomparoient  auffi  le  deiTein  
 que  j'avois  d'aller  à  Jerufalem  à  
 leur  voiage  de  la  Mecque  ,  où  
 ils  vont  voir  le  Tombeau  de  leur  
 Prophète  ,  &  ils  me  fouhaittoient  
 par  des  expreflions  pleines  d'affeftion  
 ,  du  bonheur  en  mon  voiage, 
   &  un  heureux  retour.  Cela  
 fe  faifoit  d'ordinaire  en  fumant  
 une  pipe  de  tabac,  &  en  buvant  
 du  cafte  qu'ils  me  prefentoient  
 toujours  fort  civilement.  En  effet  
 les  honnêtes  gens  d'entre  eux  ont  
 beaucoup  d'eifime  pour  les  Chrétiens  
 d'Europe  ,  dont  ils  louent  l'efprit  
 &  la  refolution  à  entreprendre  
 de  voiager  pour  connoitre  ks  
 païs  &  les  villes;  au  lieu  que  l'inclination  
 des  Turcs  n'efl  pas  tournée  
 de  ce  côté  là.  En  im  mot  
 Ices  perfonnes  là  me'firent  tant  
 d'amitié,  &  prirent  tant  de  part  à  
 ce  quime  regardoit,  que  je  ne  pus  
 m'empécher  de  leur  dire  à  la  hon.  
 te  des  Chrétiens  ,  que  peut-être  
 auroient-ils  rarement  trouvé  parmi  
 nous  autant  d'amitié  &  d'honnétez  
 que  j'en  recevois  d'eux.  
 Le  22.  du  même  mois,  à  deux  
 heures  après  midi  nous  partîmes^,  
 pour  la  feconde  fois  de  Rhodes  Rh^te"  
 par  un  vene  de  Mord-Oueft,  dans  
 la  compagnie  des  deux  vailTeaux  
 que  nous  avons  dit  qui  alloient  à  
 Alexandrie.  Le  plus  grand  des  
 deux  étoit  aflcz  mauvais  voilier,  
 de  forte  que  nous  le  pouvions  aifément  
 fuivre  avec  notre  voile  du  
 grand  Mât  &  nos  fivadieres.  Le  
 leiidemain  matin  aiant  encore  le  
 même  vent  ,  comme  le  folcii  fc  
 levoit,  nous  nous  trouvâmes  avancez  
 de  cent  vingt  quatre  mille  d'Italie  
 étant  alors  en  pleine  Mer.  Le  
 24.  le  vent  nous  redevint  contraire  
 ,  de  forte  que  nous  fumes  encore  
 repouflèz  du  côté  de  Rhodes, 
   &  même  plus  que  nous  n'étions  
 avancez.  La  Nuit  nous  eûmes  
 un  grande  calme,  jufques  là  
 que  nos  voiles  ne  nous  fervoient  
 plus  de  rien  ,  nous  étions  alors,  
 felon  notre  conjeiture  à  deux  cent  
 trente  cinq  milles  de  Rhodes,  &  
 à  deux  cens  trente  de  Damiette.  
 Le  25.  à  la  pointe  du  jour,  le  vene  
 fe  retourna  bon  &  nous  primes  notre  
 cours  vers  Damiette:  mais  fur  
 le  foir  il  s'éleva  un  tel  orage  du  
 côté  du  Sud  ,  que  pendant  toute  
 la  nuit  nous  fûmes obligez  de  nous  
 laifTer  aller  au  vent  avec  notre  feule  
 Sivadiere  ,  &  que  nous  fumes  
 ainll  portez  vers  les  côtes  de  Barbarie. 
   Alors  nous  eiimes  tout  d'un  
 coup  un  vent  Sud-Ouell:  qui  nous  
 fît  changer  de  deflein,  &  prendre  
 notre  route  vers  l'Ifle  du  Candie  
 en  nous  abandonnant  à  la  Province, 
   dans  l'efperance  que  nous pourrions  
 gagner Torto  Chriftiano  :  mais  
 quand  nous  fumes  environ  au  milieu  
 de  la  mer  ,  nous  eûmes  le  
 vent  tout  à  fait  Ouef}.  Nous  fimes  
 nos  efforts  pour  aller  à  Cypre  
 ,  &  nous  vinmes  fi  avant  que  
 nous