176 VO Y A G E au L EV A N T
à trois heures après midi.
Le I f. un petit vaifleau qui
venoit de Venife, & qui étoit de
Rhodes, entra dans le Port. Lei6.
quatre Saïqucs partirent pour Conftantinople.
Cependant nous avions
tous les jours un temps orageux
mêlé de pluye & de furieux
tonnerres & éclairs , ce qui augmenta
le chagrin que nous avions
de demeurer là fi longtemps , &
particulièrement le mien , parce
que je craignois de ne pouvoir arriver
à Jerufalem avant Pâquc.
Le ièul divertiiicment que nous
avions étoit d'aller tous les jours à
terre pour voir la ville & tous fes
environs , où nous allions rendre
vifite aux Grecs dans leurs maifons
j ce que nous faifions avec
autant de liberté , que lì nous
euliions été dans la Chrétienté,
fans qu'il nous foit jamais arrivé
aucune peine de la part des Turcs.
Et même ceux de la Douane qui
ont, comme je l'ai dit, leur maifon
auprès de la Porte , en forte qu'il
faut paffer devant pour entrer dans
la ville , m'envoioient fouvent quérir
pour caufer avec eux : Car
comme ils avoient apris la premiere
fois , de quel pais j'étois, oii
j'avois voiagé, & où j'avois encore
delTein d'aller , ils prenoient
grand plaifir à m'entendre dire ce
que je favois de divers endroits.
Ils accomparoient auffi le deiTein
que j'avois d'aller à Jerufalem à
leur voiage de la Mecque , où
ils vont voir le Tombeau de leur
Prophète , & ils me fouhaittoient
par des expreflions pleines d'affeftion
, du bonheur en mon voiage,
& un heureux retour. Cela
fe faifoit d'ordinaire en fumant
une pipe de tabac, & en buvant
du cafte qu'ils me prefentoient
toujours fort civilement. En effet
les honnêtes gens d'entre eux ont
beaucoup d'eifime pour les Chrétiens
d'Europe , dont ils louent l'efprit
& la refolution à entreprendre
de voiager pour connoitre ks
païs & les villes; au lieu que l'inclination
des Turcs n'efl pas tournée
de ce côté là. En im mot
Ices perfonnes là me'firent tant
d'amitié, & prirent tant de part à
ce quime regardoit, que je ne pus
m'empécher de leur dire à la hon.
te des Chrétiens , que peut-être
auroient-ils rarement trouvé parmi
nous autant d'amitié & d'honnétez
que j'en recevois d'eux.
Le 22. du même mois, à deux
heures après midi nous partîmes^,
pour la feconde fois de Rhodes Rh^te"
par un vene de Mord-Oueft, dans
la compagnie des deux vailTeaux
que nous avons dit qui alloient à
Alexandrie. Le plus grand des
deux étoit aflcz mauvais voilier,
de forte que nous le pouvions aifément
fuivre avec notre voile du
grand Mât & nos fivadieres. Le
leiidemain matin aiant encore le
même vent , comme le folcii fc
levoit, nous nous trouvâmes avancez
de cent vingt quatre mille d'Italie
étant alors en pleine Mer. Le
24. le vent nous redevint contraire
, de forte que nous fumes encore
repouflèz du côté de Rhodes,
& même plus que nous n'étions
avancez. La Nuit nous eûmes
un grande calme, jufques là
que nos voiles ne nous fervoient
plus de rien , nous étions alors,
felon notre conjeiture à deux cent
trente cinq milles de Rhodes, &
à deux cens trente de Damiette.
Le 25. à la pointe du jour, le vene
fe retourna bon & nous primes notre
cours vers Damiette: mais fur
le foir il s'éleva un tel orage du
côté du Sud , que pendant toute
la nuit nous fûmes obligez de nous
laifTer aller au vent avec notre feule
Sivadiere , & que nous fumes
ainll portez vers les côtes de Barbarie.
Alors nous eiimes tout d'un
coup un vent Sud-Ouell: qui nous
fît changer de deflein, & prendre
notre route vers l'Ifle du Candie
en nous abandonnant à la Province,
dans l'efperance que nous pourrions
gagner Torto Chriftiano : mais
quand nous fumes environ au milieu
de la mer , nous eûmes le
vent tout à fait Ouef}. Nous fimes
nos efforts pour aller à Cypre
, & nous vinmes fi avant que
nous