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niiiis il écrivit encore fon nom au
haut de la Colonne , & fit voltiger
de côté & d'autre Ion mouchoir qu'il
avoit attaché au bout de fa canne. Auffitôt
les pailans & ceux qui avoicnt
leurs maifons aux environs, l'aperccurent,
& furent fort etonnez de voir
un homme dans ce lieujfur tout quand
ils remarquèrent que c'etoit un Franc,
qui avoit fon chapeau fur la tête,
lin un inftant la rue fut pleine de
monde , & tout le quartier en rumeur.
Les uns y accouroient en fe
l'Ambafladeur & du prefent qu'il venoit
culbutant, attirez par la curiofité
de voir cette nouvelle figure, croiant
que c'ctoic l'ame de celui qui avoit
fait drcflcr la Colonne qui revenoit
là pour remplir la place que fa ftatuë
y avoit autrefois occupée. Les autres
pouifcz par la Jaloufie qu'ils avoient
que leurs femmes puil'entètre
vues par un Chrêtienj fortoient avec
impctuofité de leurs maifons, afin
de voir qui étoic celui qui étoit fi
hardi que de fe montrer ainfi au
haut de la Colonne : Et comme l'on
prend ordinairement les chofes du
plus mauvais côté, tous crurent qu'il
n'y étoit monté qu'à deffein de découvrir
de la plus facilement dans le
Serrail de leurs femmes , & de regarder
laquelle lui plairoit le plus.
La deffus ils alfiégérent en furie la
mailbn par où il etoit entré dans la
colonne , d'où il le firent inconti
ncnt defcendre, & le raenerent battant
jufques chez le &ouba,chi ou
CommiiTaire du Quartier. On s'a.
prêtoit déjà à lui donner la Falaque
pour le paier de fa curiofité, & le
pauvre Franc auroit reccu au moins
cinquante coups fous la plante des
DÏeds, fi TAmbafladeur fon maitre
qu'on avertit en diligence de cette
artairc , n'eut envoié auffitôt un
Trucheman au Soubachy avec un
prelcnt, pour le lupplicr de ne paffer
pas plus avant , & lui remon
trcr que c'etoit plus la faute de ce
lui qui avoit laillé entrer le Franc
dans la Colonne , que du Franc
même, qui étant étranger, nelçavoit
pas les coutumes du pais : Qu'il
devoir fe rcprefentcr aulli que ce jeu
ne homme qui n'etoit pas trop fenié
méritoit bien qu'en confidération de
lui faire, on excufât une faute
que ia feule folie lui avoir fait commettre
, & qu'enfin s'il y avoit
quelqu'un à punir, c'etoit le portier
de la Colonne plutôt que ce pauvre
étranger. Aufll evita-t-il, aprescette
interceflion , les coups de bâton
qui lui étoient préparez, & le Turc
les receut en fa place.
Pour ce qui eft de la Colonne {te colonne
l'Empereur Marcien , je nai jamais de l'Empii
trouver l'occafion de l'aller voir ÇJ'™^
pendant que j'ai demeuré à Conllantinople.
Ainfi je n'en dirai rien que
ce qu'en écrivent deuxllluftresvoiageurs
qui ont eu le bonheur de la découvrir,
je veux dire M". Spon &
Wheler. Elle eft dans le quartier
des Janiilaires près des )5ains d'Ibrahim
Baflà, dans la Cour de la maifon
d'un particulier. Elle eft de marbre
tacheté & haute d'environ
quinze pieds. Son chapiteau eft d'ordre
Corinthien. Au deiTus de ce
Chapiteau il y a une pierre quarrée
& qui eft creufe, ornée à fes quatre
coins de quatre aigles -, ce qui
me fit juger que c'etoit là qu'avoic
été renfermé le coeur du Prince ,
car les deux vers qui font au pied de
la colonne avertiftcnt celui qui les
lit, qu'il peut voir là l'image & le lit
ou repofe Marcien , & que c'eft Tatien
qui lui a confacré ce monument.
Si c'avoit été un Prince Paien,
on y auroit mis fes Cendres, dans
une Urne de terre,mais comme il étoic
Chrétien , & que la coutume de
brûler les corps étoit abolie parmi
ceux de cette Religion , il y a fujet
de croire qu'on n'y avoit mis que
fon coeur feulement , le corps aiant
peut etre été enterré fous la colonne
, & qu'au paravant l'image de
l'Empereur avoir été placée fur la
pierre qui couvre le chapiteau ,
comme ces écrivains l'inferent de
l'infcription qui eft fur la Colonne ,
quoi qu'on ait de la peine à la
lire.
Dans l'Atmeidan qui eft l'ancien obeliftiiie
Hippodrome, ou lieu ou l'on s'exer-dans l'Atee
àia Coui'fe des Chevaux, envi- "^iJ-i"-
ron vers le milieu, on voit une Pyramide
quarrée , taillée d'une feule
piee
n E G Y P T E . S Y R I E . &c.
piece, & qui va bien jufqu'a cin
quante pieds de haut; Elle eftd'une
certaine efpece de pierre brune, &
un peu gâtée. L'on voit autour
quelques caraéteres & lettres ¿/freglypbiqiies.
On croit que cette Obelifqne
ou Aiguille a été dreflee du
temps de l'Empereur Conftantin.
Sur l'un des côtez de la bafe on lit
une Infcription Grecque, & fur un
autre côte une infcription I.atine ,
qui difcnt toutes deux que l'Empereur
Theodofe fit drefler cette lourde
Malfe après qu'elle eut été long
temps négligée & couchée à terre.
Et pour marque de cela on voitfur
un troifieme côté de la bafe les inft:
runiens & les machines dont on fe
fervit pour cet effet, qui y font reprcfentez
en bas relief. On dirauffi
qu'encore plus bas furlepied-déftal
il y a pluficurs autres infcriptions
, tant Grecques que Latines,
mais cela eft pour la plus part caché
fous terre.
Colonne. Un peu plus loin & vers l'extréde
trais mité de cet Atmeidan on voit une
Serpens, colonne compofée de trois Serpens
de bronze entortillez enfemble, &
qui de leurs têtes qui s'elevent &
s'ecartent au haut en forme de Triangle,
font une efpece de couronnement
à cette Colonne. La partie du
deiTous de la bouche' d'un de ces
Serpens eft rompue, & l'on en donne
le blâme à Mahomet fécond ,
qui lors qu'il fe fut rendu maître de
Conftantinople frappa par un mouvement
d'orgueil contre cette Colonne,
d'une hache d'armes qu'il tenoit
à la main. D'autres ailèurent
que cela s'eft fait par un coup de
Javelot, & que ce fut Sultan Mourati
qui le donna. Au refte c'eft
une opinion commune , ou pour
mieux dire une fuperftition , que cette
Colonne à été dreifee par un Ta-
U[man , ou une efpece d'exorcifine
ou conjuration magique pour chaffer
les Serpens. Voici comme on
récite la chofe.
Du temps de l'Empereur Leon
Ifaurique, qu'on pretend qui fut un
grand Magicien, il y avoit trois effroiables
ferpens qui fe tenoicnt autour
de Conftantinople , & qui ra-
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vageoient tout le pals des environs,
jufques là que les habitans furent obligez
d'abandonner le pais. L'Empereur
pour arrêter ce defordre eut
recours à fon art, & contraignit par
fes enchantemcns ces trois Serpens
de venir dans une grande foffe qu'-
il avoit fait creufer exprès au milieu
de Hippodrome-, Dés qu'ils y
furent on les tua, & on les couvrit
de terre; & afin qu'on ne fût plus à
l'avenir expofé à de pareils accidens
, il fit dreflir cette colonne
dans le lieu même. D'autres croient
que par ces trois Serpens font fignifiées
fymboliquement les trois parties
du monde, ( car la quatrième n'etoit
pas encore connue} & que l'union
de ces trois Serpens en un , reprefenroit
celle de ces trois parties
de l'univers, qui ne faifoient alors
qu'un feul corps , par l'union des
deux Empires, celui d'Orient & celui
d'Occident.
Mais pour dire aullî deux ou trois .
mots de l'Atmeidan même, c'eft u- dan.
ne place fort fpacieufe qui a dans fa
longueur cinq cens cinquante pas, &
fix vingt dans fa largeur. Du temps
des Empereurs d'Orient c'etoit là
qH'on faifoit des defiisàlacourfedes
chevaux , & que dans quelques occafions
extraordinaires on donnoit
des fpeitacles & d'autres marques de
rejouiiTance publique. Cet ufage
n'a point changé, car les Turcs y
exercent encore aujourd'hui leurs chevaux
, & c'eft pour cela qu'ils lui
ont donné le nom dAtmetdan qui
fignifie la place ou le champ des chevaux.
Dans un autre quartier, fçavoir
dans la grande rue qui va depuis la
porte d'Andrinople jufqu'au Serrail,
l'on voit encore une autre co- Brûlée"''
lonne fans aucune fculpture, mais
plus riche pourtant que les precedentes
, par ce qu'e le eft de Porphyre.
Mais on a bien de la peine
à prefent à la diftinguer du marbre,
par ce qu'elle eft toute noircie d'un
embrafement qui confuma il y a
quelques années les maifons qui étoknt
auprès ; & c'eft pour cette
raifon qu'on lui a donné le nom de
la Colonne brûlée. Elle eft compo-
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