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 qu'en  toutes  chofes  fort  fcrupuleux  
 obfervateurs  de  leur  Loi,  il  arrive  
 par  un  eiFetde  la  convoitifé,  &  par  
 la  peine  qu'ont  tous  les  hommes  à  
 le  défaire  de  ce  qu'ils  poiTedenC,  
 que  ce  commandement  n'eft  pas  fi  
 Ciiarité  obfervé  que  les  autres.  On  ne  
 -des Turcs,  ÎÇ'iuroit  nier  pourtant  ,  qu'il ne fe  
 tèlid  ^ c  trou^'c  beaucoup  de  charité  parmi  
 •  qu"aii  bê-  Turcs,  &  même  beaucoup  plus  
 tes.  qu'il  n'y  en  a  parmi  les  Chrétiens,  
 ce  qui  eft une  des  principales  caufes  
 de  ce  qu'on  voit fi peu  de  Mendians  
 en  Turquie.  Une  grande partie des  
 Hôpitaux,  des Pont s ,  des  Caravanfirais, 
   des  Aqueducs  fur  les  grands  
 chenuns  ,  des  Fontaines,  &  d'autres  
 femblables  commoditez  ,  ne  
 doit  fon  etabliflementqu'a  la  charité  
 de  quelques  Turcs  pieux  ,  qui  les  
 ont  fait  faire  pendant  leur  vie,  ou  
 qui  ont  Icgué  avant  leur  mort  des  
 fommes  pour  fournir  à  cette  depenic. 
   Ce  qu'il  y  a  de  plus  louable  ,  
 c'eft  qu'ils  exercent  cette  vertu  fans  
 avoir  égard  à  la  differance  de  Religion  
 ,  &  que  les  Chretiens  &  les  
 Juifs  y  ont  parc  auffi  bien  que  les  
 Mahometans.  
 Mais  fi  cela  eft  à  louer  à  l'égard  
 des  perfonncs  riches  ,  que  ne  dira  
 t-on  donc  pas  des  pauvres,  j'entens  
 de  ceux  dont  les  facilitez  font  fort  
 bornées,  &  qui  n'ontjuftementque  
 de  quoi  s'entretenir  ?  Il  eft  certain  
 que  parmi  les Turcs  ceux  qui  n'ont  
 pas  le  moien  d'aider  les  pauvres  de  
 leur  bourfe,  les  afliftent autant  qu'- 
 ils  peuvent  de  leurs  propres  mains:  
 par  exemple  ils  reparent  les  grands  
 chemins,  à mefure qu'ils fe rompent,  
 lis  emplillènt  d'eau  les  abbreuvoirs  
 qui  y  fontd'efpace  en  efpace,  ils  fe  
 tiennent  auprès  des  Rivieres  &  des  
 Törtens  qui  fe  debordent  ,  afin  de  
 montrer  aux  voiageurs  les  endroits  
 par  où  ils  pourront  pailèr  à  gué  &c.  
 &  tout  cela  fans  demander  jamais  
 un  liard  pour  leur peine,  comme  
 je  l'ai  fou vent  éprouvé  moi  même, 
   fi  même  l'on  leur  öftre quelque  
 chofe, ils le refufent, parce,  dilènt-ils,  
 qu'ils  font  cela  pour  l'amour  de  
 Dieu  ,  &  non  pour  en  tirer  quelque  
 profit.  
 Leur  charité  ne  fe  borne  pas  aux  
 hommes,  elle  s'etend  même  jufqu'- 
 aux  bêtes  &  aux  oifeaux.  Car  il  y  
 en  a  quelques  uns  qui  vont  tous  les  
 jours  de  marché  acheter  une  certaine  
 quantité d'oifeaux  pour  les  laiflèr  
 envoler  ,  &  leur  rendre  la  liberté  :  
 Sur  quoi  ils  ont  cette  penfée  étrange  
 ,  que  les  ames de ces oifeaux  viendront  
 au  jour  du  Jugement  rendre  
 témoignage  devant  Dieu,  du  bien  
 que  les  hommes  leur  auront  fait.  
 C'eft  aufti  leur  coutume  de  tuer  
 le  plus  vite  qu'ils  peuvent  les  bêtes  
 qui  fervent  à  la  nourriture de  l'homme  
 ,  &  cela  dans  la  vue  de  ne  les  
 pas  faire  languir.  Ils  coupent  tout  
 d'un  coup  le  cou  aux  volailles  en  
 leur  ôtant  la  tête  ,  &  ils  regardent  
 même  comme  une  efpece  de  cruauté  
 d'ecrafer  une  puce  avec  les  ongles,  
 ils  fe  contentent  de  la  frotter  entre  
 les^doigts  &  puis  ils  la  jettent,  foie  
 qu'elle  foit  morte  ou  vive.  C'eft cc  
 que  je  leur  ai  fouvent  vu  faire  en  
 voiageant  ,  car  ils  font  fort  foigneux, 
   fur  tout en Eté  ,  de  fe  tenir  
 nets  de  toute  forte  de  vermine.  Ils  
 ne  fe  font  pas  plus  une  affaire de  la  
 chercher  en  prefence  du  monde,  
 que  nos  Matelots  de  Hollande,  &  
 ils  le  font  même  en  pleine  compagnie, 
   fans  croire  en  cela  pecher  le  
 moins  du  monde  contre  la  civilité.  
 Il  y  en  a.d'autres  qui  leguent  par  
 Teftament  une  certaine  fommepour  
 nourrir  des  Chiens,  ou  qui  pendant  
 leur  vie  donnent  par  femaine  ou  par  
 mois  de  l'argent  aux  boulangers  &  
 aux  bouchers  ,  afin  qu'ils  en  prennent  
 le  foin,  &  il  ne  faut  pas craindre  
 que  ceux-ci  emploient  l'argent  à  
 une  autre  fin,  que celle pour  laquelle  
 on  le  leur  a  donné,  Aufli  voit-on  
 les  difpenfateurs  de  ces  fortes  d'aumônes  
 aux  heures  qu'ils  ont  aeeoutumé  
 de  les  diftribuer,  environnez  
 d'une  troupe  de  Chiens,  à  qui  ils  
 jettent  tour  à  tour  des  morceaux  
 de  pain  &  de  viande.  
 Sur  quoi  il  eft  à  propos  de  remarquer  
 qu'en  Turquie  les  Chiens  
 ne  courent  pas  de  quartier  en  quartier  
 ,  ce  qui  eft  caufe  qu'il  n'arrive  
 point  ici  de  confufion,  Chaque  
 quartier  a  les  fiens  qui  y  demeurent  
 ,  &  celui  qui  voudroit  paflèr  
 dans  
 en  E G  y  P T  E.  S Y R  I E.  &c.  ii^  
 dans  un  autre  courroie  rifque  d'etre]  vient  comme  nous  avons  dit,  de  ce  
 étranglé  par  les autres chiens.  C'eft  qu'ils  en  font  fouillez  ,  &  c'eft  ce  
 pour  quoi  les  paftans  qui  mcnent  
 un  chien  avec eux doivent  bien  prendre  
 garde  que  ces  chiens  de  Quartier  
 n'en  approchent  s'ils  ne le veulent  
 voir  fort  mal traitté.  Aufti ai-je  
 eu  en  plufieurs  villes  de  Turquie  
 plus  de  peine  à  garder  un  certain  
 chien  de  chafte  que  je  menois  avec  
 moi  en  voiageant,  que  je  n'cnavois  
 à  me  garder  moi  même  
 J'ai  fouvent  remarqué  en  allant  
 &  venant  de  Galata  à  Vera  que  
 lors  qu'une  chienne  avoit  mis  bas  
 fes  petits  le  long  d'une  rue,  on  y  
 devoir  une  efpece  de  petite muraille  
 de  pierres  que  l'on  mettoit  autour,  
 avec  une  couverture  de  quelque  
 vieille  natte,  ou  quelque  autre  telle  
 chofe,  afin  que  les  petits  ne  fuftcnt  
 point  ecrafez  par  les  paftans  ,  &  
 qu'ils  fuftcnt  même  à  couvert  de  
 la  pluye.  Les  perfonncs  même  de  
 quelque  diftinûion  ne  trotivent  pas  
 au  dcftlbus  d'eux  de  fe  donner  cette  
 peine  ,  &  ils  leur  font  porter  
 tous les jours à manger.  
 Les  Chiens  partent pourtant  chez  
 les  Turcs  pour  des animaux  impurs  
 &  fi  par  hazard  il  en  vient  un  fe  
 jetter  contre  eux,  ils  en  font  fouillez  
 &  font  obligez  de  fe  laver,  ce  
 qui  eft  caufe  aufti  qu'ils  fe  donnent  
 de  garde  d'un  chien qui court,  comme  
 nous  faifons  d'un  cheval  qui  galoppe. 
   
 Au  contraire  le  Chat  ,  dont  les  
 bonnes  qualitez  ,  s'il  en  a  quelqu'- 
 une  ,  ne  font  point  à  comparer  à  
 celles  du  Chien  ,  qui  eft  la  plus  fidele  
 de  toutes  les  bêtes  ,  paife  chez  
 eux  pour  un  animal  pur.  Aufti  
 font-ils  beaucoup  de  bien  à  ces  animaux, 
   qui  ont  l'honnrur  d'etre  leurs  
 domeftiques,  au  lieu  que  les pauvres  
 Chiens  font  obligez  de  demeurer  
 dans  la  rué.  Ils  les  flattent  &  les  
 carreftent,  &  ils  les  mettent  en  parade  
 fur  leurs boutiques,  principalement  
 quand  ils  font  beaux,  comme  
 c'eft  la  coutume  à  venife &  en  quelques  
 autres  lieux.  
 Cette  averfion  que  les  Turcs  ont  
 pour  les  Chiens  ,  nonobftant  les  
 ibins  charitables  qu'ils  en  prennent,  
 qui  nous  a  ibuvent  donné  occafion  
 de  rire  chez  M',  le  Confuí &  chez  
 quelques  Marchands  Hollandois;  
 Car  comme  mon  ehicn  entre  autres  
 qualitez,  avoit  celle de  chercher  admirablement  
 bien  ,  lors  que  nous  recevions  
 vifite  des  Turcs,  &  que  je  
 leur  avois  fait  voir  les tours d'adreftê  
 de  mon  chien,  ce  qu'ils  regardoient  
 avec  un  grand  etonnement,  je  donnois  
 à  l'un  d'eux  mon  mouchoir,  
 pendant  qu'ils  étoient  fur  \eSopha  à  
 fumer  une  pipe  de  Tabac  r  &  je  lui  
 difois  de  le  cacher  fous  fes  habits,  
 enfuite  je  commandois  à  mon  chien,  
 qui  n'avoit  point  été  auprès  de  
 nous  ,  pendant  que  nous  faifions  
 cela, d'aller chercher  mon  mouchoir,  
 &  aufti  tôt  la  bête après  avoir un  peu  
 fenti  autour,  fe  jettoitd'impetuofité  
 fur  celui  qui  l'avoit  caché,  qui  pour  
 n'etre  pas  fouillé  par  l'attouchement  
 du  chien  ,  étoit  contraint  de  jetter  
 le mouchoir  bien  loin  de  lui.  Cela  
 fe  faifoit  d'ordinaire  avec  tant  de  
 furprife  &  avec  de  fi  grands  cris,  
 que  cela  nous  faiibit  pâmer  de  rire.  
 Et  pour  ce qui eft des T u r c s ,  comme  '  
 il  ne  font  pas  accoutumez  à voir  rien  
 de  femblable  en  leurs  Chiens  ,  ils  
 ne  pouvoient  comprendre  comment  
 on  les  pouvoir  dreflièr  à  cela.  
 J'ai  fouvent  pendant  mes  volages  
 caufé  un  femblable  etonnement  aux  
 Turcs  qui  n'ont  pas  accoutumé  devoir  
 cette  adrefl"e  de  nos  chiens.  
 Car  lo  rsque  nous  arrivions  avec  
 notre  Caravane  au  Kouak,  ou,  lieu  
 où  l'on  devoir  fe  repofer  ,  après  avoir  
 laiiTé mon  mouchoir  à un  quart  
 de  lieuë  ou  environ  ,  je  fiiifois  à  
 mon  chien  le  figne  accoutumé,  &  
 aufti  tôt  il  partoit  de  toute  fa  force  
 pour  l'aller  chercher.  Les  Turcs  
 qui le voioient courir ainfi,  croioient  
 qu'il  ne  reviendroit  plus  ,  mais  le  
 voiant  revenir  avec  le mouchoir  empacqueté  
 dans  fa gueule  &  me  faire  
 des careftès en me le rendant,  toute la  
 Caravane  etoit  ftir  pied  ,  &  fa  furprife  
 fi  grande  qu'on  la  lifoit  aifément  
 fur  leur  vifage.  Ils  ne  fçavoient  
 quelles  careftès  faire  à  cette  
 bête,  &  lors  qu'il  arrivoitque  quel- 
 P  quesiil  
 «nd  
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