112 VO Y AG E au L E V A N T
qu'en toutes chofes fort fcrupuleux
obfervateurs de leur Loi, il arrive
par un eiFetde la convoitifé, & par
la peine qu'ont tous les hommes à
le défaire de ce qu'ils poiTedenC,
que ce commandement n'eft pas fi
Ciiarité obfervé que les autres. On ne
-des Turcs, ÎÇ'iuroit nier pourtant , qu'il ne fe
tèlid ^ c trou^'c beaucoup de charité parmi
• qu"aii bê- Turcs, & même beaucoup plus
tes. qu'il n'y en a parmi les Chrétiens,
ce qui eft une des principales caufes
de ce qu'on voit fi peu de Mendians
en Turquie. Une grande partie des
Hôpitaux, des Pont s , des Caravanfirais,
des Aqueducs fur les grands
chenuns , des Fontaines, & d'autres
femblables commoditez , ne
doit fon etabliflementqu'a la charité
de quelques Turcs pieux , qui les
ont fait faire pendant leur vie, ou
qui ont Icgué avant leur mort des
fommes pour fournir à cette depenic.
Ce qu'il y a de plus louable ,
c'eft qu'ils exercent cette vertu fans
avoir égard à la differance de Religion
, & que les Chretiens & les
Juifs y ont parc auffi bien que les
Mahometans.
Mais fi cela eft à louer à l'égard
des perfonncs riches , que ne dira
t-on donc pas des pauvres, j'entens
de ceux dont les facilitez font fort
bornées, & qui n'ontjuftementque
de quoi s'entretenir ? Il eft certain
que parmi les Turcs ceux qui n'ont
pas le moien d'aider les pauvres de
leur bourfe, les afliftent autant qu'-
ils peuvent de leurs propres mains:
par exemple ils reparent les grands
chemins, à mefure qu'ils fe rompent,
lis emplillènt d'eau les abbreuvoirs
qui y fontd'efpace en efpace, ils fe
tiennent auprès des Rivieres & des
Törtens qui fe debordent , afin de
montrer aux voiageurs les endroits
par où ils pourront pailèr à gué &c.
& tout cela fans demander jamais
un liard pour leur peine, comme
je l'ai fou vent éprouvé moi même,
fi même l'on leur öftre quelque
chofe, ils le refufent, parce, dilènt-ils,
qu'ils font cela pour l'amour de
Dieu , & non pour en tirer quelque
profit.
Leur charité ne fe borne pas aux
hommes, elle s'etend même jufqu'-
aux bêtes & aux oifeaux. Car il y
en a quelques uns qui vont tous les
jours de marché acheter une certaine
quantité d'oifeaux pour les laiflèr
envoler , & leur rendre la liberté :
Sur quoi ils ont cette penfée étrange
, que les ames de ces oifeaux viendront
au jour du Jugement rendre
témoignage devant Dieu, du bien
que les hommes leur auront fait.
C'eft aufti leur coutume de tuer
le plus vite qu'ils peuvent les bêtes
qui fervent à la nourriture de l'homme
, & cela dans la vue de ne les
pas faire languir. Ils coupent tout
d'un coup le cou aux volailles en
leur ôtant la tête , & ils regardent
même comme une efpece de cruauté
d'ecrafer une puce avec les ongles,
ils fe contentent de la frotter entre
les^doigts & puis ils la jettent, foie
qu'elle foit morte ou vive. C'eft cc
que je leur ai fouvent vu faire en
voiageant , car ils font fort foigneux,
fur tout en Eté , de fe tenir
nets de toute forte de vermine. Ils
ne fe font pas plus une affaire de la
chercher en prefence du monde,
que nos Matelots de Hollande, &
ils le font même en pleine compagnie,
fans croire en cela pecher le
moins du monde contre la civilité.
Il y en a.d'autres qui leguent par
Teftament une certaine fommepour
nourrir des Chiens, ou qui pendant
leur vie donnent par femaine ou par
mois de l'argent aux boulangers &
aux bouchers , afin qu'ils en prennent
le foin, & il ne faut pas craindre
que ceux-ci emploient l'argent à
une autre fin, que celle pour laquelle
on le leur a donné, Aufli voit-on
les difpenfateurs de ces fortes d'aumônes
aux heures qu'ils ont aeeoutumé
de les diftribuer, environnez
d'une troupe de Chiens, à qui ils
jettent tour à tour des morceaux
de pain & de viande.
Sur quoi il eft à propos de remarquer
qu'en Turquie les Chiens
ne courent pas de quartier en quartier
, ce qui eft caufe qu'il n'arrive
point ici de confufion, Chaque
quartier a les fiens qui y demeurent
, & celui qui voudroit paflèr
dans
en E G y P T E. S Y R I E. &c. ii^
dans un autre courroie rifque d'etre] vient comme nous avons dit, de ce
étranglé par les autres chiens. C'eft qu'ils en font fouillez , & c'eft ce
pour quoi les paftans qui mcnent
un chien avec eux doivent bien prendre
garde que ces chiens de Quartier
n'en approchent s'ils ne le veulent
voir fort mal traitté. Aufti ai-je
eu en plufieurs villes de Turquie
plus de peine à garder un certain
chien de chafte que je menois avec
moi en voiageant, que je n'cnavois
à me garder moi même
J'ai fouvent remarqué en allant
& venant de Galata à Vera que
lors qu'une chienne avoit mis bas
fes petits le long d'une rue, on y
devoir une efpece de petite muraille
de pierres que l'on mettoit autour,
avec une couverture de quelque
vieille natte, ou quelque autre telle
chofe, afin que les petits ne fuftcnt
point ecrafez par les paftans , &
qu'ils fuftcnt même à couvert de
la pluye. Les perfonncs même de
quelque diftinûion ne trotivent pas
au dcftlbus d'eux de fe donner cette
peine , & ils leur font porter
tous les jours à manger.
Les Chiens partent pourtant chez
les Turcs pour des animaux impurs
& fi par hazard il en vient un fe
jetter contre eux, ils en font fouillez
& font obligez de fe laver, ce
qui eft caufe aufti qu'ils fe donnent
de garde d'un chien qui court, comme
nous faifons d'un cheval qui galoppe.
Au contraire le Chat , dont les
bonnes qualitez , s'il en a quelqu'-
une , ne font point à comparer à
celles du Chien , qui eft la plus fidele
de toutes les bêtes , paife chez
eux pour un animal pur. Aufti
font-ils beaucoup de bien à ces animaux,
qui ont l'honnrur d'etre leurs
domeftiques, au lieu que les pauvres
Chiens font obligez de demeurer
dans la rué. Ils les flattent & les
carreftent, & ils les mettent en parade
fur leurs boutiques, principalement
quand ils font beaux, comme
c'eft la coutume à venife & en quelques
autres lieux.
Cette averfion que les Turcs ont
pour les Chiens , nonobftant les
ibins charitables qu'ils en prennent,
qui nous a ibuvent donné occafion
de rire chez M', le Confuí & chez
quelques Marchands Hollandois;
Car comme mon ehicn entre autres
qualitez, avoit celle de chercher admirablement
bien , lors que nous recevions
vifite des Turcs, & que je
leur avois fait voir les tours d'adreftê
de mon chien, ce qu'ils regardoient
avec un grand etonnement, je donnois
à l'un d'eux mon mouchoir,
pendant qu'ils étoient fur \eSopha à
fumer une pipe de Tabac r & je lui
difois de le cacher fous fes habits,
enfuite je commandois à mon chien,
qui n'avoit point été auprès de
nous , pendant que nous faifions
cela, d'aller chercher mon mouchoir,
& aufti tôt la bête après avoir un peu
fenti autour, fe jettoitd'impetuofité
fur celui qui l'avoit caché, qui pour
n'etre pas fouillé par l'attouchement
du chien , étoit contraint de jetter
le mouchoir bien loin de lui. Cela
fe faifoit d'ordinaire avec tant de
furprife & avec de fi grands cris,
que cela nous faiibit pâmer de rire.
Et pour ce qui eft des T u r c s , comme '
il ne font pas accoutumez à voir rien
de femblable en leurs Chiens , ils
ne pouvoient comprendre comment
on les pouvoir dreflièr à cela.
J'ai fouvent pendant mes volages
caufé un femblable etonnement aux
Turcs qui n'ont pas accoutumé devoir
cette adrefl"e de nos chiens.
Car lo rsque nous arrivions avec
notre Caravane au Kouak, ou, lieu
où l'on devoir fe repofer , après avoir
laiiTé mon mouchoir à un quart
de lieuë ou environ , je fiiifois à
mon chien le figne accoutumé, &
aufti tôt il partoit de toute fa force
pour l'aller chercher. Les Turcs
qui le voioient courir ainfi, croioient
qu'il ne reviendroit plus , mais le
voiant revenir avec le mouchoir empacqueté
dans fa gueule & me faire
des careftès en me le rendant, toute la
Caravane etoit ftir pied , & fa furprife
fi grande qu'on la lifoit aifément
fur leur vifage. Ils ne fçavoient
quelles careftès faire à cette
bête, & lors qu'il arrivoitque quel-
P quesiil
«nd
ñé :! i-flîâ
rfi'M
Ml Ip: