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388 VOYAGE au L EVANT
Ic Port. Vis à vis de l'entrée de cc
Porc , il y a deux petits rochers.
Apres midi je defeendis à terre &
j'allai voir cette place qui cft fituée
fur le bord de la mer, au milieu de
quantité d'arbres, parce que la plus
part des' maifoiis oiit des Jardins qui
i o n t , comme nous l'avons dit, tout
plantez de meuriers.
J e trouvai là quelques vieux reftcs
de plufieurs Eglifes, & entre autres
une qui cft encore aflèz entiere appellee
S. George, oii les Grecs font
leur fervice. On y voit encore
quelques peintures.
Aflèz près de cette Eglife on rencontre
trois grandes colonnes qui
font debout, mais j e ne pus comprendre
à quoi elles avoient fervi,
m fi elles avoient été d'une Eglife
ou de quelqu'autre bâtiment.
Sur le bord de la mer il y a un
Fort , fous lequel fe rendent tous
les vaiifeaux, afin de pouvoir être
défendus par fon canon. Le vieux
Château eft auprès fur une montagne
, mais il cft fort ruiné.
On dit que c'eft aux environs de
Là qu'a été la prifon de S. Paul.
Dans les montagnes qui font là
autour on trouve plufieurs Diamans,
qu'on appelle auffi Diamans deBaf
f a , entre lefqucls il y en a quelques
uns qui font fort beaux.
L e 26. à la pointe du journous partimes
avec un vent aifez favorable,
quoi qu'un peu foible, & la nuit
nous paifames le Cap de l'Ifle nom
mé Cap S. Epiphanio. Le 27. nous
aperceumes la terre ferme de Sattal
i a , qui prefente à la vue un objet
fort agreable, car on a d'un côté la
terre ferme, & de l'autre l'iile de
Chypre à l'eloignement d'environ
cinquante milles d'Italie, car on
compte qu'il y a Cent milles du
Golfe de Sattalia à l'Ifle de Chypre.
Vaine A deux heures après midi nous
peur que amvames à ce Golfe & dans ce
temps là nos matelots apperceurent
un vaiifeau qu'ils prirent pour un
navire , & même pour un Corfaire.
Cela fut cauie qu'ils voulurent auflltôt
retourner fur leurs pas. Mais un
matelot qui étoit au haut du mât
cria que cc vaiflèau nous faifoit fignc
en haudànt &: baiflint continuellement
fes voiles, comme pour
nous donner à entendre que nous
ne devions pas avoir peur de lui ,
il ajouta auffi qu'il pouvoir bien reconnoitre
aiTcz diftinftement que ce
n'étoit pas un Navire, mais un fimple
bâtiment. Sur cet avis nous reprimes
le deflein d'entrer dans le
Golfe : mais à peine cela fut-il fait,
que cc vaiilèau vint droit à nous.
Cela nous donna une nouvelle craint
e , & caufa un tel etonnement à
tout notre equipage, qu'ils s'entre
regardoient tous triftement, & même
le Pilote n'avoit pas le courage
de s'enfuir, difant qu'il étoit impoffible
que nousevitaifionsde tomber
entre leurs mains. Je tachai
donc de leur inipirer du courage ,
& je fis tant qu'ils fe mirent en devoir
de s'enftiir & de faire tout ce
qui nous pouvoit être de quelque
utilité. Mais en moins d'une heure
de temps ce vaiflèau qui étoit bien
meilleur voilier que le nôtre fe trouva
fi prés de nous, que nos Matelots,
les larmes aux yeux, commencèrent
à prendre confeil enfemble,
& delibererent de baifler les voiles
& d'aller au devant de ce vaiflèau,
craignant que s'ils ie laiflîôient pouriuivre
jufqu'a l'extremité on ne leur
fît point de quartier. Cependant
comme je vis aufll bien que les autres
que nous ne pouvions échapper,
je fis mettre à couvert dans le vaiffeau
tout ce quej'avois, afin que
les matelots du vaiflèau Corfaire ne
miflènt pas les mains dcfllis, car
tout ce qui eft fous le couvert appartient
au Capitaine, & perfonne
n'oferoit y toucher. Et afin de me
mettre bien auprès de lui , & d'éprouver
fi je pourrois détourner à
mon égard particulier le malheur
dont nous étions tous menacez, je
me vêtis de mes meilleurs habits &
j e tins la meilleure contenance que
j e pus, quoi qu'en moi même je
fuflè dans une grande agitation.
Car comme tous ces Corfiires font
auili Grecs, mais de la lie du peuple
, 6c de fi franche canaille qu'ils
n'epargneroient pas même leurs propres
peres, ils ne font ordinairement
en E G Y P T E, S Y R ÎE, &G. 389
ment quartier à perfonne, & fi nous , toute la nuit il fouffla avec grande '
eullions eu le malheur de tomber violence , ce qui étonna extrémecntre
les mains de ces fortes de gens,
j e ne devois pas attendre un meilleur
traittement que les autres. Cependant
quelques uns de nos Grecs
m'avoient déjà donné leurs bourfes
à garder , dans l'cfperance qu'ils
avoient qu'on nemefouilleroitpas,
comme ils tâchoient de me le perfuader
à moi même par plufieurs
exemples , quoi que les choies ne
reullilfcnt pas toujours d'une même
ment notre equippage, parcequece
golfe eft dans la reputation d'être
fort dangereux à cauie de la rencontre
des courans , tant de ce golfe
que de celui de Venife, & de quelques
autres endroits de l'Occident ,
qui fe ' raflèmblans là y elevent de
prodigieufes vagues. Autrefois cet
endroit étoit fort dangereux , &
quantité de vaiifeaux y faifoient naufrage
: Mais fi l'on en croit lesgens
façon. Je ne laiifai pas de faire pa- des environs, depuis que S. Helene
roitre que j'avois bon courage, & revenant de Jeruialem y eut jetté un
j e tâchai de les confoler le mieux !Ides
clouds de la Croix de Notre
que je pouvois. Nous avions aufli
Seigneur, le danger y eft beaucoup
un Turc dans notre vaiifeau qui
moins grand. Le 28. à la pointe du
craignant d'être fait efclave , étoit I jour nous nous trouvâmes fort recudans
de plus grandes allarmes que lez parce que nous avions un grand
tous les autres. Il nous priainftam- vent contraire qui nous rechaflà il
ment de aider à evirer le mal- loin , que nous ne pouvions plus
heur qu'il craignoit, ce qui fit que | rcconnoitre ni Sattalia , ni l'Iilc de
nous l'habillâmes à la Grecque, & i Chypre. Cela fut caufe que nous
l'equipàmes comme un matelot. Pen- i tirâmes le long de la Terre ferme le
dant tout ce temps là comme nous ap-1 plus près qu'il nous fut pofllble.
prochions du pretendu vaiifeau Cor
faire plus que nous ne nous en éloignions,
il fe détourna à côté de nous
pour prendre le vent, ce que nous
crûmes qu'il faifoit à deffein, dans
Cependant la mer s'elevoit toujours
de plus en plus , & le vent fe renforçoit,
de forte que notre grande
voile qui étoit fort vieille & fort rapiecetée,
de même que tout le vaifla
penfée qu'il pouvoit avoir que i feau , fe rompit plufieurs fois, ce
nous voulions tourner d'un autre 1 qui nous faifant toujours rccnler de
côté ; mais nous trouvâmes dans la ! plus en plus, nous craign
fuite à notre grand étonnement qu'-. tre jettez fur la còte de
craignîmes d'cde
Barbarie.
il continuoit fon chemin, & qu'il 1 Nous nous fervîmes donc le mieux
s'eloignoit toujours de nous. Cela ique nous pûmes de notre petite
nous fit changer de fentimcnt, &|voile, afin de tâcher de demeurer
nous ne crûmes plus que ce fût un
Corfaire; ainli nous continuâmes
notre route, quand nous remarquâmes
qu'il fuivoit de plus en plus le
vent, & cp'il prenoit ion cours vers
fur la côte de Sattalia. Apres midi
le vent s'appaila ent ietement , ce qui
nous donna le moien de voguer affez
commodément, Se cependant
nous raccommodâmes notre voile.
J a f f a ; d'où il étoit aifédecompren-, Peu de temps aptes nous eûmes un
dre que ce qu'il s'etoit fi fort approché
de nous, n'avoit été que pour
prendre le vent. Alors nous fîmes
tous no!j efforts pour entrer dans le
golfe de Sattalia, àcpoine pouvant
réuffir, parce que le vent nous étoit
bon vent, Se la nuit enfuite, du
calme. Le 2p. nous nous trouvâmes
devant le Cap du golfe vers lequel
nous tirâmes toujours, & enfin nous
y entrâmes deux heures aptes Soleil
levé, par un allez grand calme, &
contraire, la nuit nous furprit, ce, nous eûmes aftèz à faire à nous y
qui mit tellement nos Grecs hors de pouvoir tenir jufques vers midi, au
mefure tp'ils ne Içavoient de quel quel temps nous paifàmes avec un
côté ils alloicnt. Un autre malheur aifez bon vent trois petites Iftes qui
font devant c nous arriva encore, car le vent s'aug- e Ca p , & nous doumenta
coniidcrableraent, & durant blâmes aufli le Cap même. Quand
C c c 3 nous