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 la  ciiriofité  des  pcrfonnes,  à  cauie  
 du  mauvais  traitement  qu'on  
 doit  attendre  de  la  cruauté  des  
 Turcs  pour  la  moindre  fautes  
 Puitsdt  Le  puits  de  Jofeph  ,  qui  peut  
 pafler  pour  une  des  merveilles  du  
 monde  ,  &  à  qui  le  temps  n'a  
 pas  caufé  le  moindre  dommage  -,  
 mérité  qu'on  l'aille  voir.  Il  cft  
 entièrement  creufé  dans  le  Roc  
 &  il  a  à  fon  ouverture  onze  pieds  
 de  longueur  &  dix  de  largeur.  La  
 vue  en  paroit  telle  c[ue  la  reprelente  
 la  figure  N".  89-  En  aianc  
 meliiré  la  profondeur  ,  je  trouvai  
 qu'elle  avoit  cinquante  trois  brafles  
 qui  font  trois  cens  pieds.  
 On  en  tire  l'eau  par  le  moien  
 de  deux  roues  dont  l'une  eft  à  l'ouverture  
 du  puits,  &  l'autre  vingtneuf  
 brafies  plus  bas  qui  eft  l'endroit  
 ou  finit  la  partie  d'enhaut  du  
 puits.  A  chacune  de  ces  roues  il  
 y  a  deux  boeufs  qui  les  tournent  
 continuellement  ,  l'eau  s'en  tire  avec  
 des  pots  de  terre  ou  petits  
 féaux  qui  font  attachez  ferme  à  une  
 corde  qui  tourne  autour  de  cetce  
 roue,  &  lors  qu'elle  eft  en  haut  
 elle  fe  répand  dans  des  goutiercs  
 qui  la  conduifent  par  tout  le  Chateau. 
   
 O n  defcend  dans  le  Puits  par  
 dehors  le  long  d'un  degré  large  de  
 fept  ou  huit  pieds  qui  eft  creuié  
 autour  du  Puits  dans  le  Roc  ,  &  
 qui  s'en  fepare  de  tous  les  côtez,  
 deforte  qu'en  defcendant  on  a  toujours  
 à  main  droite  un  des  côtez  
 du  Puits,  &  à  main  gauche  la  muraille  
 qui  ctt  le  Roc  même.  Cette  
 grande  largeur  fait  qu'on  y  peut  
 facilement  defcendre  trois  ou  cpatre  
 pcrfonnes  de  front  -,  mais  il  
 faut  fe  pourvoir  de  chandelles  ,  ou  
 de  flambeaux  ;  car  quoi  que  d'efpace  
 en  efpace  on  trouve  des  
 fenêtres  quarrées  de  plus  de  trois  
 pieds  de  large  qu'on  y  a  faites  exprès  
 pour  tirer  l'air  &  la  lumiere  
 par  dedans  le  puits  ,  cela  ne  feviroit  
 guercs  fi  l'on  n'en  portoit  
 d'autre  avec  foi.  Ce  degré  fait  
 douze  fois  le  tour  du  puits  en  
 maniere  d'efcalier  en  limace  ,  &  
 c'eft  pour  cela  que  les  Arabes  
 'appellent  Bie-habeidine  ,  comme  
 qui  diroit  le  /uits  du  limapn  
 ,  &c  de  ces  douze  tours  il  
 y  en  a  fix  qui  ont  chacun  
 dixhuit  degrez  ,  &  fix  qui  en  ont  
 chacun  dixneuf  qui  font  en  tout  
 deux  cens  vingt  deux.  Tous  ces  
 degrez  font  li  aifez  parce  qu'- 
 il  faut  que  les  boeufs  y  montent  
 &  defcendent  tous  les  jours >  
 &  la  pence  en  eft  fi  infenfible  qu'à  
 peine  s'en  aperçoit  on.  Au  relie  
 quand  on  regarde  dans  le  Puits  
 par  ces  fenêtres,  cela  fait  un  
 aiTez  bel  effet  à  la  vue,  tant  à  
 caufe  de  la  profondeur  &  de  
 la  largeur  du  Puits,  qu'a  caufe  de  
 la  manière  extraordinaire  dont  
 tourne  cette  roue.  
 Quand  après  tous  ces  tours  
 on  ell:  defccndu  au  bas  où  le  Puits  
 a  la  même  largeur  qu'au  haut,  
 on  trouve  un  peu  fur  la  main  
 droite  dans  le  Roc  un  fécond  
 puits  ,  ou  pour  mieux  dire  la  partie  
 de  deffous  du  puits,  dont  
 l'ouverture  cft  bien  p  us  étroite.  
 C'cft  la  ,  que  l'on  voit  les  boeufs  
 tourner  la  roue  &  tirer  l'eau  qui eft  
 conduite  par  un  goulet  dans  un  
 grand  baflîn  ,  d'oii  ces  pots  on  
 féaux  de  terre  qui  font  attachez  
 à  la  corde  de  la  rouë  d'enhaut,  la  
 puifent  continuellement  pour  la  
 porter  en  haut.  Je  trouvai  ce  fécond  
 puits  profond  de  vingt  quatre  
 braflës  ,  qui  font  cent  trente  
 fix  pieds.  Il  y  en  a  qui  le  font  
 confiderablement  plus  profond  ,  
 mais  je  n'y  ai  pu  trouver  une  
 autre  profondeur  que  celle  que  je  
 viens  de  dire  ,  quoi  que  je  
 l'aye  mefuré  diverfes  fois  avec  cette  
 corde  que  je  portois  avec  
 moi,  à  laquelle  j'attachois  un  poids  
 aiïêz  pefant  pour  faire  une  fonde  
 jufte.  
 L'eau  eft  conduite  dans  ce  
 Puits  par  le  moien  de  ce  grand  
 aqueduc  dont  j'ai  parlé,  qui  eft  
 entre  le  vieux  &  le  nouveau  Caire. 
   Quelques  uns  prétendent  qu'- 
 elle  y  vient  de  fource  ,  mais  
 j'ai  de  la  peine  à  le  croire >  Car  
 quelle  apparence  y  a  r-il  qu'on  
 eut  voulu  faire  une  auili  prodigieulé  
 ëH  E G Y P T E ,  S Y R Ï È , & c :  217  
 gleufe  depenfe  pour  conduire  de  
 l'eau  dans  un  endroit  ou  elle  feroit  
 naturellement.  C'eft  pourtant  
 le  fentiment  de  Monfieur  du  
 Mont  dans  la  relation  qu'il  a  
 donnée  depuis  peu  de  fes  Voiages  
 ,  où  il  parle  ainfi.  
 La  magnificence  de  ce  TtiHs  
 qui  n'a  pù  être  fait  qu'en  )> emploiant  
 beaucoup  de  temps  ,  héaitcouj) 
   de  monde  ,  &  de  grandes  
 fimmes  d'argent  ,  peut  faire  juger  
 aifément  ,  combien  l'eau  eft  une  
 chofe  rare  en  Egypte-,  cette  fource  
 &  celle  de  Matarea  font  les  
 deux  feules  qu'on  trouve  dans  tout  
 le  pais  ,  &  il  femble  même  que  
 les  Rois  ayent  apprehenâé  qtt'dles  
 ne  mnfent  à  tarir  ,  puis  qu'ils  
 ont  eu  le  foin  d'y  faire  -venir  l'eau  
 du  Kil  par  un  fort  bel  Aqueduc  
 qui  commence  entre  le  vieux  Caire  
 &  Boulac  ,  0-  qui  porte  l'eau  
 jiifque  dans  le  Chateau.  
 abfolument  meprifcr.  On  peut  
 auffi  defcendre  le  long  de  quelques  
 degrez  jufqu'au  bas  du  fécond  
 Puits;  mais  il  eft  ordinairement  il  
 rempli  de  boue  ,  à  caufe  de  l'eau  
 qui  s'y  répand  &  qui  fe  mêle  avec  
 la  poudre  qui  s'y  éléve  à  force  
 d'aller  &  de  venir,  qu'il  y  a  peu  
 de  pcrfonnes  qui  fe  vueillent  donner  
 A  la  fin  de  ces  deux  cens  vingt  
 deux  degrez  ,  C'eft  à  dire  au  
 bas  du  premier  puits,  on  trouve  
 deux  trous  qui  refiemblent  à  deux  
 portes,  ils  font  aufli  taillez  dans  
 le  Roc  ,  mais  ils  font  à  prefent  
 bouchez.  Le  premier  des  deux  
 qui  eft  à  la  main  gauche  du  Puits  
 iè  va  rendre,  à  ce  que  difent  
 les  Egyptiens  ,  jufqu'aux  Pyramides  
 ,  &  l'autre  qui  eft  à  la  main  
 droite  va  jufqu'à  la  Mer  Rouge.  
 C e  qu'on  dit  de  ce  dernier  n'a  
 aucune  apparence  de  vérité  ,  puis  
 que  la  Mer  Rouge  en  eft  trop  éloignée  
 ;  Mais  pour  le  premier  je  
 la  peine  d'y  aller,  d'autant  plus  
 qu'il  n'y  a  rien  à  voir.  
 Comme  donc  ce  Chateau  du  
 Caire  efl:  fort  confiderable  tant  à  
 caufe  de  ce  Puits,  qu'à  caufe  des  
 beaux  reftes  d'antiqukez  qu'on  y  
 rencontre  ,  &  que  d'ordinaire  
 les  Francs  ne  manquent  point  
 de  l'aller  voir  dès  que  l'occafion  
 s'en  prefente;  les  Turcs  n'ont  
 pas  manqué  d'y  établir  une  cfpece  
 de  Péage  ,  c'eft  de  faire  paier  
 un  Ducat  à  la  porte  par  où  
 l'on  entre  au  Chateau.  Il  faut  
 auflî  donner  quelque  chofe  pour  
 voir  le  puits-  ,  mais  cela  cft  à  
 difcretion.  [e  dis  la  même  chofe  
 de  celui  qui  en  garde  la  porte,  
 &  de  celui  qui  vous  accompagne  
 au  bas  avec*  des  flambeaux  ,  ce  
 qui  va  bien  encore  à  un  Ecu  ,  
 fans  compter  ce  qu'il  faut  donner  
 au  JaniiTaire  &  pour  le  louage  des  
 ânes  qu'il  faut  avoir  pour  y  aller.  
 Mais  il  ne  m'en  auroit  pas  coûté  
 d'avantage  fi  j'y  étois  allé  en  
 compagnie,  car  le  prix  pour  l'entrée  
 eft  fi.xé  à  un  Ducat,  ioit  qu'on  y  
 aille  feul  ou en  compagnie.  C'eft  ce  
 qui  fait  que  ceux  qui  ont  quelque  
 temps  à  paflèr  au Caire  ou aux  environs  
 ,  &  qui  n'ont  pas  vu  le  
 Chateau  ,  attendent  o ^  iT JLaAiJ  ' *. — — ^  J  f  —- - —  —rd  inair—e m— ent—    
 ne  faurois  qu'en  dire  ,  au  moins  la  venuê  de  quelque  étranger  afin  
 n'oferois  je  le  rejetter  entièrement,  ¡ de  le  voir  à  moins  du  frais,  
 parce  que  les  Egyptiens  ont  fait des  |  pour  ce  qui  eft  des  habitans  du  
 chofes  fi  furprenantes  fous  la  terreque  
 celle-ci  ne  nous  doit  point  
 fembler  incroiable  ;  D'ailleurs  ces  
 pais  ,  Grecs,  Chrétiens  ou  Juifs,  
 ils  ne  font  point  obligez  de  
 paier  le  Ducat  ,  &  ils  en  font  
 deux  trous  ou  Portes,  quoi  que'  quittes  pour  un  prefent  qu'ils  
 bouchées  aujourd'hui,  doivent  avoir  1  font  à  ceux  qui  leur  montrent  ce  
 autrefois  quelque  ufage,  mais  Puits.  
 il  eft  malaifé  de  dire  quel  il  a  été.  
 C'eft  ce  qui  fait  que  je  ne  croi  
 pas  qu'on  doive  rejetter  legerenoent  
 cette  tradition  des  gens  du  pais,  
 ou  du  moins  qu'on  ne  la  doit  pas  
 Du  haut  du  Chateau  ,  c'eft  
 à  dite  des  plattes  formes  qui  y  
 font  encore  reftées  ,  on  peut  
 étendre  fd  vue  tant  lut  le  Nouveau  
 Caire  que  fur  le  vieux  ,  fur  
 E  e  Bou