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t 3 2 V O Y A G E au L E V A N T
C H A P I T R E XXI.
Viandes breuvages des Turcs, a'))ec la maniéré dont ils
mangent. Bons effets de leur Sobriété. Contrarietez entre quelques moeurs
des Turcs ¿r les nôtres &c.
e n E G Y P T E , S Y R I E , &c.
Pilaa
noui-icure
SI les Turcs font fomptiieux dans
leurs habits, ils ne le font pas
dans leur boire & dans leur manger ;
& fi les Chrétiens ont la folie de
ruiner leur fanté par les excez qu'ils
font) ce n'eft pas par là que les fujets
du Grand Seigneur alterant la
leur. Ils fe contentent de très peu
de chofe, & chacun porte pour ainfi
dire fi cuifme avec foi, de forte
que les Patiffiers & les Traitteurs feroient
mal leur compte avec eux.
Leur nourriture la plus ordinaire cft
le Vilau, qui elt du Riz cuit avec
ôZ.ïre bouillon de volaille ou de viandes
Turcs. de , & avec du beurre , faute de
bouillon on l'apprête feulement au
beurre & à l'eau ; on y met auffi affez
fouvent du lait caillé qu'ils appellent
Jogbourt , à quoi ils ajoutent
du faffran pour lui donner de
la couleur. On y met du miel ou
du Tekmes , qui cft une efpece
d'hydromel, afin de le rendre doux,
enfin on y mêle plulieurs autres ingredients
pour contenter l'envie de
gens d'un gouft auffi bizarre que le
leur. Mais la maniéré la plus ordinaire
cft d'y jctter en le fervant
beaucoup de poivre par deflus pour
en relever le goût.
Ceux qui en ont le moien y met
tent une volaille ou quelque morceau
de mouton ou de boeuf qui y
devient extrêmement tendre. Plus
le Pilau eft épais & fee, & mieux la
viande y cuit.
Leur Table c'eft la terre, tout au
plus une petite Table de boiselevée
de terre d'environ un pied, autour
de la quelle ils fe mettent aflîs les
genoux en croix, de la manière que
nos Tailleurs fe mettent. Leur
Nappe eft un morceau rond demarroquin
brun qu'ils appellent «îa/r«,
& au lieu de ferviette ils ont une
longue bande de toile qui tourne
tout au tour, & qui d'ordinaire eft
bleue.
Lors qu'ils font aflîs ils difent Bis
millah c'eft à dire au nom de T>ieu^
& auffi tôt ils fe mettent à manger.
S^ils ont quelque avant-mets, ce qui
n'arrive pas fouvent chez les gens
du commun, on fert le Pilau le dernier
comme cela fe fait toujours
chez les gens plus accommodez, &
on le mange avec des cuiliers de
bois. Le viande fe dépece avec les
doigts par quelqu'un de la compagnie,
mais cela fe fait le plus à l'égard
des volailles, qu'on met entieres
dans le Pilau, & qui font fervies
etuvées dedans. Car pour le
boeuf & le mouton, foit qu'il foit
rôti ou bouilli, ils le coupent toujours
auparavant en morceaux.
Pendant le repas ils ne boivent
point, mais lors qu'ils ont mangé
on met devant eux un vaifleau de
terre avec de l'eau, dont chacun boit
autant qu'il lui en faut.
Alors on rend graces, en auiïï
peu de paroles qu'on a prié Dieu,
ils difent f e u l e m e n t c ' e f t
à dire Loué foit Dieu , & enfuite
ils fe lavent les mains, & ils faut
remarquer qu'ils ne le font point en
fe mettant à Table, mais feulement
quand ilsenfortent.
Chez les perfonnes de qualité on
fert au lieu de Table une efpece de
grand plat elevé, à petit bord, qu'-
ils appellent Sinie. On le met iiir
le Sofra, & il porte les plats avec la
viande, mais les uns après les autres:
car les Turcs ne fervent jamais qu'un
plat à la fois, & lors qu'on leVele
dernier qui a été fervi, en ôte le Sinie
en même temps, & pourledeflert,
foit qu'il foit de fruits ou d'autre chofc
on lemetCmplementfurlcJ'o/r&
Pour
Pam. regarde le pain, ils
en ont tous les jours de tendre, &
pour le faire bien leger ils fe fervent
d'un levain fort aigre. Il eft d'ordinaire
fort fimple , & il ne reflèmble
pas mal à un tourteau de bled
Sarraiin ; il eft rond & plat, environ
de l'epaincur d'un doigt. Ils
s'en fervent auffi fort fouvent, à
caufe de la commodité de fa figure
, comme d'affiette afin de mettre
la viande, & ainfi ils mangent l'un
& l'autre.
Ils ont une certaine maniéré de
faire cuire le boeuf, qui le rend exrrémemenc
délicat. Ils coupent la
viande en petits morceaux , & la
picquent dans une petite broche,
mettant une tranche d'oignon entre
chaque morceau de viande. Mais
Oignons il faut que nous difîons des oignons
excelleiK. ¡^^ ^^^^ ^^^^
paraifon d'un goût plus agreable
que les nôtres. Les Grecs s'en fervent
comme de deflert, de même
que nous faifons en Hollande du
beurre & du, fromage. Dans tous
les lieux oii je pouvois trouver quelques
rafraichiflèmens, je faifoisprovifion
de ces oignons pour le chemin,
& après m'y être accoutumé, je
trouvai qui les mangeant avec un peu
de pain & de fel, ils étoient de fort
bon p û t : c'eft ce qui fait que je
ne m'etonne plus que les Egyptiens
ayent depenfé pendant le bâtiment
de leurs Pyramides , de fi grandes
fommes en oignons , comme le difent
les Hiftoriens.
Il faut aullî que nous difîons quel-
Hnilc. que chofe de l'huile , comme d'une
chofe dont ils fe fervent pour l'affaifonnement
d'une bonne partie de
leurs viandes, fans que cela caufe le
moindre dégoût. Car l'huile eft ici
extrêmement blanche , douce , &
d'un goût très agreable , deforte
qu'avec un peu de fel , on la peut
manger fur le pain au lieu de beurre.
Si l'on y exprime un peu de jus
de citron , ou qu'on y mette un peu
de vinaigre, & de poivre & de fel
battus enfemble, cela fait une faufle
très relevée , & propre à certaines
fortes de poiiTon; & l'on s'y accoutume
fi bien avec le temps, qu'on fe
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paflêroit fort bien de beurre, quelque
excellent qu'il puifli être.
En eiFct la coutume fait une fécondé
nature. L'ufage des almiens
ne confifte pour la plus part qu'en me a l ecela.
Les chofes qu'on a fuccées S-""'' 'li:»
avec le lait, font comme attachées
à nous, & durent tout le temps de
notre vie. Chaque pais a aulli quelque
chofe de particulier dont on
ne fe peut défaire, parce qu'on y
eft accoutumé dès l'enfance. |'ai
vû fouvent que des femmes Grecques
mariées à nos Marchands, qui
avoient ordinairement leur provifion
du meilleur beurre & du meilleur
fromage de Hollande , n'en vouloient
jamais manger, mais au heu
de cela , par un goût tout particulier,
elles mangeoient des olives
à demi pourries, & des feves écoffées,
de la même maniéré que les
petits artichaux fe mangent à la poivrade
, comme on fait en Iralie. Ils
font auili rôtir les artichaux fur le A'tichans
gril avec un peu d'huile , de poivre
, & de fel entre les fueilles, ce
qui eft un manger fort délicat, &
qui n'eft pas fi fade que quand ils
font cuits à notre manière. Ils ont
encore une autre maniéré d'apréter
les artichaux, c'eft de les couper en
quartiers lors qu'ils font jeunes, &
¡de les frire dans la poile, c'eft enjcore
un mets aflez friand; Mais il
cft temps que nous parlions auffi du
breuvage.
Celui qui leur eft le plus ordinaire
c'eft l'eau, ou le que nous
appelions Caft'é , dont ils ufent à tou-
^te heure. Ils ont un autre breuvage
qu'ils nomment Sorbet. Il eft fait
de fucre , de jus de limon , &
, d'eau rofe, avec un peu de parfum
de Mufc ou d'Ambre gris. Ce breuvage
eft très agréable , & l'on en
fait aufli une pâte & une efpece de
gâteau afin de le pouvoir porter avec
foi quand on voiage , car il n'y a
qu'a le mêler dans de l'eau fraîche,
autant qu'on le juge à propos. J'en
portois ordinairement avec moi,
lors que je voiageois, &c'etoitmon
breuvage ordinaire lors que le vin
êtoit un peu rare j mais le matin &
le foir je prenois un peu d'eau de
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