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ii6 VOYAGE au l e VAN T
content les années, nous en dirons
ici un mot. Le vingt-deuxième
Juillet de l'an 6ii. fuivant la manière
de conter des Chrétiens, fait
le commencement de leur Hegyre
qui eft le temps de la fuite de
Mahomet , car c'eft par ce mot
qu'ils la defignent. Leur année
n'a que trois cens cinquante quatre
jours & elle eft divifée en
douze Mois ou Lunes , parce que
chaque Mois prend fon commencement
avec la Luiie. Ces douze
Mois ont atternacivement l'un trente
jours & l'autre vingtneuf , en
voici les noms& l'ordre.
Muharam 30 Sefer 2ÇJI
Rebiul Ewel 30 RebiuiAJJÎr ip
d" Giamzil Ewel 3 o d'Giamzilaffir 2 9
Redgeb 30 Chanaban 29
Ramazan 30 Cbeuual 29
Zaulkaade 30 Zoulhidge 29
C H A P I T R E X V .
Tanimlarite^ au fujet de (¡uelques chofes qui font defenduh
' T r f ^ T "" Viandes
fautlkes. Ra,fons de la defenfe du v>n. Ufmes des tSTCS encore qu'-
elles leur filent defenduès. "
Autant que les Turcs font
exafts à pratiquer les chofes
qui leur font commandées par leur
Loi , autant le font-ils à s'abftenir
de celles qui leur font defenduës,
car ils tiennent pour une vérité
conftante qu'ils ne fçauroient pratiquer
ces dernieres fans péché. Entre
ces chofes defenduës il faut mettre
les Images & tout ce qui s'y
rapporte de quelque matiere qu'el-
Senti L' o c c a f i o n de
ment ex- défenfe eft que felon leur pentravagant
fée il n'appartient qu'a Dieu de faides
Ima- ^^^^ > ce que les hommes ne
gcs. pouvant pas fiiire, les faifeurs d'Images
feront , difent-ils, fort etonnez
au jour de jugement lors que
le Créateur demandera â chaque
Image , où eft fon ame , celles
qui ne pourront montrer la leur,
ajoutent-ils, accuferont devant Dieu
les hommes qui les ont faites, de
ce qu'ils leur auront fait un corps,
fans leur donner en même temps
une ame pour le mouvoir. Et c'eft
une penièe extravagante qui paflè
chez ces Mahometans groffiers
pour une vérité conftante que toutes
les Images foit en boflè, foit
de platte peinture , ou de quelque
autre façon qu'elles puiflènt
être , recevront la vie à la fin du
monde , & que Dieu leur donnera
a chacune d'elles une ame, puniilànt
en même temps ceux qui
auront eu. la témérité d'en faire,
& de vouloir imiter la Toute-puiffance
du Créateur.
Mais on les embarraiTe extremement
quand on leur objefte contre ce
beau raifonnement, que fi ces Images
demandent , une ame , il faudra
fans doute que ce foit en parlant,
& que fi el es parlent & raifonnçnt
, f, elles défirent , fi elles fe
plaignent , fi elles accufent , elles^
auront donc déjà une ame, &
qu'ainfi c'eft inutilement qu'elles
en demanderont encore une.
Mais prévenus qu'ils font de cc
fentiment extravagant, ils brifent
toutes les Images qui tombent en
leur pouvoir de quelque prix qu'-
elles puilTent être , ils leur ôtent
la tefte , & tout au moins ils leur
caifent le nez , dilant pour raifon
que le péché d'avoir des Images
n en eft pas fi grand quand on leur
en E G Y P T E , SYRIE, &c. 117
a coupé le nez. Pour ce qui eft
des Païfages , des fleurs & d'autres
telles chofes inanimées , ils
en peuvent bien voir les portraits,
mais ils ne portent pas leur curiofité
pour ces fortes de chofes
jufqu'a y vouloir faire de la depenfe.
Aulli n'eft-ce pas l'ufage chez
eux d'en avoir dans les maifons
pour fervir d'ornement , & ce lèroit
inutilemenr qu'ils y fcroient
de la dcpcnfe , puis que de leur
naturel ils n'ont pas d'inclination
pour les beaux arts ni pour les ouvrages
curieux.
J'ai pourtant fait voir à pluiieurs
perfonnes de diftinftion quelques
portraits de Dames de ces pais là,
à quoi ils fcrabloient prendre grand
plaifir, ajoutant en même temps
que leur Loi ne leur permetcoit
pas d'en avoir. 11 m'arriva étant'
au Caire quelque chofe d'aifez
plaifant fur ce fujet. Un certain
Seigneur me demanda quelques
portraits que j'avois peints en
petit, & qui lui plaifoient beaucoup
, aiin de les faire voir à
fes Femmes , à quoi je lui repondis
que s'il me vouloir mener
chez elles , je les porterois avec
moi pour les leur montrer } Il
me dit en me regardant avec quelque
etonnement , que cela étoit
contre leur Loi ; Il eft auffi contre
la mienne, lui repondis-je, de
donner ces chofes pour les faire , 4
voir avant que d'en être payé. Il : entre bleiTez
fe mit à foufrire , voiant bien que ! plus le vin
je ne me fiois pas trop en lui; &
de fait je craignois qu'il ne me les
rendît pas , & que les retenant
il ne fiât trop difficile d'en tirer le
payement.
Comme Mahomet aide du Moine
Sergius a fabriqué fon Alcoran
de quelques compilations qu'il a
faites du Vieux & du Nouveau
^Teftament , les mêmes viandes
impures. le® Juifs regardent comme impures
, font aulli eftimées telles
par les Mahometans. C'eft cc qui
eft caufe que pour rien du monde
ils ne voudroient manger de la
chair de Pourceau , non pas même
la toucher, jufques là que leurs
Cordonniers ne fc fervent point
de leurs foies , ce qui eft caufe qu'-
ils ont beaucoup de peine à coudre
leurs Tapouches. Les Turcs
ne mangeront aulli jamais avec les
Chrétiens , fans demander auparavant
s'il n'y a point de chair de
Pourceau mêlée parmi les viandes
ou dans l'apprêt , & lors qu'on
leur a répondu que non, ils mangent
en toute confiance , parce
que comme ils ne font pas trompeurs
, ils ne croient pas non plus
que les Chrétiens les vouluflènt
tromper. Ils ont auili en horreur
les grenouilles , les tortues , les
limaçons, & autres iémblables ani- '
maux défendus chez les Juifs , &
ils portent fi loin l'averfion qu'ils
en ont , qu'un dévot Mahometan
fouftriroit plutôt la mort que d'en
manger.
L'Ufage du vin leur eft auffi deffendu
, ou du moins on les exhorte
à n'en boire point , on dit
que voici l'occafion de cette deffenfe.
Mahomet paiîànt un jour
par un certain village y vit une delà S
grande rejouilTance à une Noce , fenfe du
c'etoit le vin qui caufoit cette belle
humeur , ce qui fit qu'il prifa
beaucoup le vin : mais repallânt le
foir ou le lendemain par le même
lieu , il vit de tous côtez du fang
répandu , & comme il apprit que
e'etoient ces gens qu'il avoit vûs
fi gais , qui s'etoient battus &
il méprifa bien
qu'il ne l'avoit loué
Viandes
d'abord , & confeilla aux fiens de
n'en boire jamais. Mais les Turcs
en^ trouvent le gouft fi delicieux,
qu'ils ne fe mettent pas en peine
de cette defenfe de leur Prophète
, pourvû feulement qu'ils le
puiifent faire en cachette & fans
faire parler le monde. Et lors
qu'ils fe trouvent chez des Marchands
Chrétiens de la difcretion
dcfquels ils font aiTurez , ils paffent
quelquefois tellement la mcfure
qu'ils ont de la peine à s'en
retourner chez eux. Cependant
quand il tombe feulement une
goûte de vin fur leurs habits ,
avec quelque paflion qu'ils en vou-
P 3 luf.
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