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124 VOYAGE au L E V A N T
C H A P I T R E XVIII.
'Diyerfes fortes de <f5Mcinages qui font en ufage che^ les
Turcs. ^Divorces trop legers des Hommes , desavantage des Femmes
ô'c.
LES Turcs ont le même fentiment
fur le Mariage que les
Chrétiens , fçavoir que c'eft une
chofe honorable & fainte , & un
moien inftitué de Dieu pourlaconfervation
5c pour l'accroiflèment du
genre humain. Mais ils different
en ceci, qu'au lieu que les Chré-
Trois tiens n'ont qu'une lèule forte de
fortes defgr^pjg igg T rcmmes , . ^ urcs en peuvent aVoir
<jue les lortcs , premièrement une
Turcs legitime , fecondement une pour
Keiin , ou, femme qu'on ne prend
que pour un temps, & enfin leurs
tfclaves, avec léfquelles il leur eft
permis de coucher.
Lors que quelqu'un veut prendre
une femme legitime, il ne voit
point la fille devant que le Mariage
foit arrêté. Il traitte donc d'abord
avec le Pere & la Mere, ou
à leur défaut , avec les Freres ou
les plus proches parens, afin de relier
avec eux ce qui regarde la
peuvent
avoir.
un appartement , & les femmes avec
les femmes dans un autre.
Si l'homme vient à mourir, la
femme prend la Dot dont on étoit
convenu, & rien davantage ; Et fi
c'eft la femme qui meurt la premiere
& qu'elle laiiFe des cnfans ,
ceux ci peuvent demander à leur
Pere le mariage de leur mere , &
même l'y contramdre en cas de refus.
Au refte quoique phifieurs
ayent écrit que les Turcs peuvent
avoir quatre femmes, il eft vrai
pourtant qu'ils n'en peuvent epoufer
qu'une de la maniéré que nous
venons de le dire, & quand il leurDivorcts.
plaift ils la peuvent quitter aulli,
même fans raifon, & ils font obligez
feulement d'en donner connoiffance
au Cai^i. Mais fi le mari n'a
point de raifon valable pour renvoier
ainfi fa femme , il faut qu'il
lui donne fa Dot: Et au contraire
s'il en a de bonnes raifons, la femen
EGYPTE, SYRIE, &c.
& de la femme &
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Marias
Dot, & cela fe fait en prefence du me ne lui peut rien demander. Cel-
Cadi, qui fait dans cette occafion le qui a été renvoiêe ne fçauroit fe
la fonàion de Notaire, & en pre- remarier avec un autre, que quatre
fence de deux témoins. L'Epoufe mois après, afin de fçavoir fi elle eft
n'apporte rien en Mariage que fes enceinte , & d'eviter qu'il n'arrive
habits & ce qui en depend, & au de la confufion dans les familles. Si
jour qu'ils epoufent, le Mari après la femme eft grofl"e il fiiut premiereles
avoir premièrement fait bénir ¡ment qu'elle s'en délivre, & l'enfant
par l'Imam, les expofc à la vue du | demeure à la charge du Pere. Cemonde
dans la Chambre. Mais au pendant il arrive quelquefois qu'un
lieu que les Chrétiens fe font un mariage qui a été ainfi rompu iè
honneur que leurs Epoufes ayent raccommode: mais il faut auparala
tête découverte, afin de faire voir 1 vant que la femme qui avoit été
leur beauté, les Turcs qui font na-i répudiée ait epoufé un autre mari,
turellement jaloux menenc les leur& pour lors elle peut retourner abien
cachées au logis de l'Epoux & vec le premier comme auparavant,
l'on mène devant elles leurs habits en Ce n'cft point non plus un deshonparade
fur un Cheval ou fur un Cha-' neur à un mari , quand fa femme
meaii; enfuite il fe fait uneefpeccde , fe laiffe aller au libertinage, mais
Noces, mais les deux fexesferejouif cela tombe fiir les parens, de forte
fent chacun à part, c'eft à dire les, que quand un homme demande la
hommes aves les hommes dans Reparation, il fe décharge en même
temps
de lajgion Mahomctane. Il ne quitta
temps
honte.
Pour ce qui regarde les femmes
l'on ptcnd à Kebin, ou pour
un certain temps limité (ce qui ne
doit pas paiTer pour un mariage ,
quoi qu'il foit ainfi appellê par les
Voiageurs & par d'autres} on n'y
fait point tant de façon. Les partics
après être convenues du prix ,
vont trouver le Cadi, & fe font
ainlî mettre en écrit, & la fomme
dont on eft convenu doit être donnée
à la femme lors qu'ils viennent
à fe feparer. S'il provient des enfans
de ces fortes de mariages, ils
demeurent à la charge du Pere ,
ils font cenfez legitimes, & ils héritent
comme les autres. Les Turcs
peuvent avoir de ces fortes de femmes
autant qu'il plaît, & que l'état
de leurs aft'aircs le leur permet.
ks EfT"^ Comme la Loi de Mahomet porm.
te que Dieu a donné aux hommes
la hberté de fe iervir des femmes,
il leur eft permis de fé divertir avec
leurs Elclaves. Ils en ont d'ordinaire
tel nombre qu'ilsjugentà propos
felon leurs facultez, & cette
efpece de galanterie ne caufe point
de jaloufie à leurs femmes , pour
vû qu'on les faflè jouir de ce qui
leur appartient felon les Loix, commê
entre autres d'avoir part au lit
au moins une fois la femaine. Les
enfans que ces Efclaves enfantent
à leurs maîtres font égaux à
ceux des femmes legitimes, pourvú
que le Pere les mette en liberté par
fon Teftanient -, Car fi cela ne fe
fait pas, & que le Pere ne leur ait
point laifle de bien pour vivre, ils
demeurent felon les Loix à la difcretion
du fils aifné de la femme
legitime , & ils font fes efclaves.
Ainfi un même Pere peut laiiTcr des
enfans libres, & d'autres quínele
font pas.
oerDenedupsz T* j^ais avec toute cette libe^r té,, les
1 urcs ne peuvent pas epoufer letirs
mariages, proches parentes , dont j'ai vû un
point fa femme, comme il y êtoit
obligé par la Loi ; ce qui aiant été
rapporté au Grand Vizir Cara Muftapha
Baffa, il le fit arrêter & mettre
en prifon, où il demeura long
temps en grande mifere, & toujours
en danger qu'on lui coupât la tête ;
mais enfin il fit tant à force de
prefens, & moiennant luie Ibmme
de Cent mille ecus , qu'il fe tira
d'aftairé, & qu'il fui mis en liberté
, à condition pourtant qu'il ne
rctourneroit jamais avec fa femme.
J'ai connu ce malheureux Juif qui
s'appelloit premièrement Conorte
Calef , & depuis fon abjuration
Mehmet ^Iga-, ainfi j'en puis bien
parler avec certitude.
La pluralité des femmes feroit
en quelque façon excuiàble chez
les Turcs , en confideratioii de ce
qu'un homme peut avoir à faire à
plufieurs femmes: mais il fe trouve des Euuuparmi
eux une autre forte de mariage
bien plus etrange , fi même il
mente qu'on l'appelle ainfi , c'eft
celui des Eunuques , & même de
ceux à qui on n'a rien laifle. Quoi
que de telles gens ne doivent point
pafler pour hommes = on leur permet
pourtant, ce qui eft fort etrange,
de prendre des femmes, & ils
vivent avec elles d'une maniere fort
hontetrfe & fort brutale.
Les privilèges des hommes par divorce
rapport au divorce font ici bien des Femplus
grands que ceux des femmes ; "les.
car une femme Turque ne fçauroit
fe feparer de fon mari, à moins qu'-
elle ne prouve qu'il ne lui fournit
pas l'entretien qu'il lui a promis,
qui confifte en Pain, en Tillan, en
Caifé , en argent pour aller aux
bains dia moinsdeux fois Isfemaine,
& à lui faire part de fon lit une
fois tous les huit jours. Faute de
lui avoir fourni ceschofes, !a femme
va trouver le Cadi, & demander
la feparation parce que fon
mari lui refufe l'entretien , foit
manque de volonté , foit faute de
pouvoir. Sur fa plainte le Cadi
s'informe de la vérité, & s'il trouve
que la femme ait raifon, fa deman-
exemple pendant que j'etois parmi
eux. Ce fut en la perfonne d'un
Juif qui avoit epoufé fa Niece, & .a „.i.,..,^ aii
qui enfuite avoit embraiTé la Rcli-|de lui eft accordée.
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