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 fur  moi  vin  paiTe  port  de  l'Agent  de  
 ia  Majeflé Impcriale,  figné  du  jour  
 que  je  partis  de  la  Haic;  &  qu'outre  
 cela  il  y  avoit  divcrfes  perfonnes  
 nées  au  même  lieu,  &  qui  m'avoient  
 coiîiiu  dés  ma  jcuneire  pendanr  
 que  j'y  demeuroisj qui  étant  à  prefent  
 à  Smyrne  pouvoient  rendre  témoignage  
 s'ils  avoient  jamais  entendu  
 parler  de  cela.  Mais  que  je  
 croiois  qu'on  avoit  jcttéles  premiers  
 fondemens  de  cc  faux  bruit  à  Ligourncjoù  
 j'avois  été  prefcnt  àpluiieurs  
 converfations  qu'on  avoit  
 eues  fur  cette  matiere,  &  dans  lefquelles  
 j'avois  toujours  pris  les  inter 
 d i s  du  Prince  d'Orange,  &  peut  
 être  avec  trop  de  chaleur  au  gré  de  
 quelques  uns,  d'où,  avec  la conformité  
 des  noms  ,  on  auroit  conclu  
 par  ignorance  ou  par  malice,  que  
 j'etois  cette  perfonnelà  &c.  J'etois  
 aifez  bien  dans  l'ciprit  de  Monfieur  
 van  Dam,  &  quoi  qu'il me  dit  
 qu'il  ajoutoit  foi  à  ce  que  je  lui  difois  
 ,  &  qu'aulli  il  me  regarderoit  à  
 l'avenir  autrement  qu'il  n'avoit  fait,  
 je  remarquai  bien  pourtant  qu'il  lui  
 reftoit  encore  quelque  fcrupule  ,  car  
 il  me  pria  très  inftammeni:  de  ne  le  
 tromper  pas,  ajoutant  au  refte  que  
 j'avois  beaucoup  donné  lieu  à  tout  
 le  monde  d'avoir  de  moi  ce  fentiment, 
   tant  par  la  pailîon  que  j'avois  
 témoignée  pour  la  maifon  d'Orange,  
 que  parce  que  je  paroiiFois  hardi  
 dans  mes  entreptifes,  &  que  voiageant  
 feul,  je  le  faifois  toujours  
 gayement  ,  fans  faire  paroitre  que  
 très  amis  que  j'avois  ,  la  plus  part  
 demeurerent  fermes  dans  leur  premiere  
 prévention  ,  &  ne  fe  voulurent  
 point  rendre  quelques  
 raifons  que  je  leur  alleguaflè,  tant  
 il  eft  difficile  d'arracher  de  l'efpric  
 ce  qu'on  s'y  eft  une  fois  mis  mal  à  
 Dropos.  Cependant  j'étois  devenu  
 e  fujet  ordinaire  des  converfations,  
 &  tantôt  on  fe  mocquoit  de  moi  &  
 de  ceux  qui  prenoient  mon  parti,  
 tantôt  on  medefendoit  avec  chaleur.  
 En  un  mot  la  chofe  allafiloin,  que  
 je  dis  tout ouvertement,  que li  quelqu'un  
 vouloir  foutenir  quejefuilecc  
 Corneille  De  Bruyn  qui  avoit  attaqué  
 le  Penfionnaire  de  Wit,  je  le  
 prenois  pour  un  mal  honnête  homme  
 ,  que  j'aurois  beaucoup  de  reffcntimenc  
 contre  ceux  qui  continueroient  
 à  attaquer  ma  reputation  
 par  cette  calomnie  ,  &  que  fur  ce  
 chapitre  je  n'aurois  d'égard  pour  
 perfonne  quel  qu'il  pût  être.  Et  à  
 dire  le  vrai,  ft  la  chofe fût allée  plus  
 loin  ,  il  eût  pû  en  arriver  du  malheur. 
   
 Au  rcfte  ce  ne  fut  pas  à  Smyrne  
 feulement  que  cette  affaire me  donna  
 du  chagrin.  Car  peu  de  temps  
 après  que  je  fus  arrivé  à Venife,  où  
 j'allai  de  Smyrne  ,  comme  je  le  dirai  
 bien  tôt  ,  &  que  je  ne  penfois  
 plus  à  cette  afSiire  ,  il  arriva  que  
 m'entretenant  un  jour  avec  un  honnête  
 homme  qui  étoit  de  la  Haye  
 comme  moi,  &  mon  bon  ami,  &  
 la  converfation  étant  venue  à  tomber  
 fur  ce  qu'il  arrive  quelquefois  
 cela  me  fit  la  moindre  peine,  d'où  que  l'on  eft  pris  pour  ce  qu'on  n'eft  
 l'on  concluoit  que  quoique  je  fuflé i pas  ,  je  Un  récitai  fur  ce fuj e t ,  comencoje  
 bien  jeune  lors  de l'affaire du  me  quelque  chofe  de  furprenant,  
 Peniionnaire  de  Wi t ,  &  par  confe-  ce  qui  m'etoit  arrivé  à  Smyrne;  Il  
 quent  dans  un  âge  où  l'on  n'a  gue-  me  répondit  .auilî  tôt  que  la  même  
 res  de  prudence,  il  étoit  fort  croia-[  chofe  fe  difoit  à  Venife,  &queç'able  
 que  je  me  ferois  légèrement  en-1 voit  auffi  toujours  été  fa  peniée  ,  
 gagé  dans  une  telle  entreprife.  A  parceque  dés  mon  arrivée  on  lui  
 quoi  il  ajoutoit  enfin  ,  que  Monlieur  
 l'AmbalTadeur  Juftm  Coljers  
 lui  avoit  écrit  à  lui  même  fur  ce  fuj 
 e t ,  &  que  lui  qui  étoit  Confuí  &  
 Miniftre  de  l'Etat  de  Hollandeavoit  
 fait  plufieurs  reflexions  de  prudence  
 là  deiTus.  Voila  comment  l'aftaire  
 ie  paflà  à  l'égard  de  ces  deux  Meffieurs. 
   Pour  ce  qui  regarde  les  auavoit  
 parlé  de  cela  comme  d'une  venté  
 confiante  ,  &  que  je  pouvois  
 bien  m'aiTeurer  que  tous ceux qui me  
 connoiflbient  avoient  la  même  penice  
 de  moi.  Je  fus  fort  étonné,  &  
 je  commençai  à  penfer  ferieufement  
 à  moi,  car  comme  j'avois  paflë  
 beaucoup.de  temps  en Italie,  &que  
 je  fçavois  bien  qu'il  pouvoir  arriver  
 de  
 en  EGYPTE,  
 de  telles  occaiions  que  j'y  ferois  en  
 plus  grand  danger  que  dans les  Etats  
 du  Grand  Seigneur  ,  je  refolus  de  
 iaire  venir  une  atteftation  du  lieu  
 de  ma  naiflance  ,  afin  de  pouvoir  
 convaincre  tous  ceux  qui  en  voudroient  
 douter.  Je  la receus bien  tôt  
 après,  &  je  la  montrai  à  tous  mes  
 amis  à  Venife  ,  ce  qui  dillipa  tous  
 leurs  préjugez.  Et  comme  je  fouhiùrtois  
 aulli  de  me  juftifier  à  Smyrne, 
   où  ]c  fçavois  bien  que  les  premiers  
 prejugez  faifoient  encore  leur  
 effet,  j'envoiai  une  copie  de  cette  
 aïteftation  à  Meflîeurs  van  Dam  &  
 De  Bucquoy  ,  qui  me  récrivirent  
 q'ielques  mois  après,  que  quoique  
 j'euiTe  pû  dire  pour  ma juftification  
 lors  que  j'étois  au milieu d'eux  ,  cette  
 pcnfée  étoit  toujours  demeurée  
 dans  les  efprits  de  puis  que  j'avois  
 S  Y  R  ÎE,  &c.  399  
 quitte  Sniyrne  ;  mais  qu'à  prefcnt'  
 que  Monficur  De  Bucquoy  avoit  
 montré  mon  Atteftation  en  bonne  
 compagnie,  où  laconveifation  êtuit  
 tombée  fur  cette  matiere,  tousles  
 foupçons  qu'on  avoit  eus  s'etoicnc  
 évanouis.  Voilà  comment  pendant  
 près  de  neuf  ans  ,  j'ay  pafle  pour  
 une  perfonne  avec  qui  je  n'ai  jamais  
 eu  graces  à  Dieu,  rien  de  commun  
 que  le  nom.  Et  même  cette  pcnfée  
 eft  encore  demeurée  dans  l'efpnt  de  
 plufieurs  Hollandois  qui  m'avoienc  
 connu  à  Smyrne  avant  que  cette  affaire  
 eût  eclatté,  &  qui  en  étoienC  
 partis  avec  ce  préjugé.  Ce  qui a été  
 caule  qu'étant  à  Amfterdam  ,  il  n'y  
 a  pas  longtemps,  je  fus  obligé  d'en  
 defabufer  encore  quelques  uns  qui  
 me  difoient  librement  qu'ils  me  prenoient  
 pour  cet  homme.  
 CHAPI