39^ V O Y A G E au L E V A N T
fur moi vin paiTe port de l'Agent de
ia Majeflé Impcriale, figné du jour
que je partis de la Haic; & qu'outre
cela il y avoit divcrfes perfonnes
nées au même lieu, & qui m'avoient
coiîiiu dés ma jcuneire pendanr
que j'y demeuroisj qui étant à prefent
à Smyrne pouvoient rendre témoignage
s'ils avoient jamais entendu
parler de cela. Mais que je
croiois qu'on avoit jcttéles premiers
fondemens de cc faux bruit à Ligourncjoù
j'avois été prefcnt àpluiieurs
converfations qu'on avoit
eues fur cette matiere, & dans lefquelles
j'avois toujours pris les inter
d i s du Prince d'Orange, & peut
être avec trop de chaleur au gré de
quelques uns, d'où, avec la conformité
des noms , on auroit conclu
par ignorance ou par malice, que
j'etois cette perfonnelà &c. J'etois
aifez bien dans l'ciprit de Monfieur
van Dam, & quoi qu'il me dit
qu'il ajoutoit foi à ce que je lui difois
, & qu'aulli il me regarderoit à
l'avenir autrement qu'il n'avoit fait,
je remarquai bien pourtant qu'il lui
reftoit encore quelque fcrupule , car
il me pria très inftammeni: de ne le
tromper pas, ajoutant au refte que
j'avois beaucoup donné lieu à tout
le monde d'avoir de moi ce fentiment,
tant par la pailîon que j'avois
témoignée pour la maifon d'Orange,
que parce que je paroiiFois hardi
dans mes entreptifes, & que voiageant
feul, je le faifois toujours
gayement , fans faire paroitre que
très amis que j'avois , la plus part
demeurerent fermes dans leur premiere
prévention , & ne fe voulurent
point rendre quelques
raifons que je leur alleguaflè, tant
il eft difficile d'arracher de l'efpric
ce qu'on s'y eft une fois mis mal à
Dropos. Cependant j'étois devenu
e fujet ordinaire des converfations,
& tantôt on fe mocquoit de moi &
de ceux qui prenoient mon parti,
tantôt on medefendoit avec chaleur.
En un mot la chofe allafiloin, que
je dis tout ouvertement, que li quelqu'un
vouloir foutenir quejefuilecc
Corneille De Bruyn qui avoit attaqué
le Penfionnaire de Wit, je le
prenois pour un mal honnête homme
, que j'aurois beaucoup de reffcntimenc
contre ceux qui continueroient
à attaquer ma reputation
par cette calomnie , & que fur ce
chapitre je n'aurois d'égard pour
perfonne quel qu'il pût être. Et à
dire le vrai, ft la chofe fût allée plus
loin , il eût pû en arriver du malheur.
Au rcfte ce ne fut pas à Smyrne
feulement que cette affaire me donna
du chagrin. Car peu de temps
après que je fus arrivé à Venife, où
j'allai de Smyrne , comme je le dirai
bien tôt , & que je ne penfois
plus à cette afSiire , il arriva que
m'entretenant un jour avec un honnête
homme qui étoit de la Haye
comme moi, & mon bon ami, &
la converfation étant venue à tomber
fur ce qu'il arrive quelquefois
cela me fit la moindre peine, d'où que l'on eft pris pour ce qu'on n'eft
l'on concluoit que quoique je fuflé i pas , je Un récitai fur ce fuj e t , comencoje
bien jeune lors de l'affaire du me quelque chofe de furprenant,
Peniionnaire de Wi t , & par confe- ce qui m'etoit arrivé à Smyrne; Il
quent dans un âge où l'on n'a gue- me répondit .auilî tôt que la même
res de prudence, il étoit fort croia-[ chofe fe difoit à Venife, &queç'able
que je me ferois légèrement en-1 voit auffi toujours été fa peniée ,
gagé dans une telle entreprife. A parceque dés mon arrivée on lui
quoi il ajoutoit enfin , que Monlieur
l'AmbalTadeur Juftm Coljers
lui avoit écrit à lui même fur ce fuj
e t , & que lui qui étoit Confuí &
Miniftre de l'Etat de Hollandeavoit
fait plufieurs reflexions de prudence
là deiTus. Voila comment l'aftaire
ie paflà à l'égard de ces deux Meffieurs.
Pour ce qui regarde les auavoit
parlé de cela comme d'une venté
confiante , & que je pouvois
bien m'aiTeurer que tous ceux qui me
connoiflbient avoient la même penice
de moi. Je fus fort étonné, &
je commençai à penfer ferieufement
à moi, car comme j'avois paflë
beaucoup.de temps en Italie, &que
je fçavois bien qu'il pouvoir arriver
de
en EGYPTE,
de telles occaiions que j'y ferois en
plus grand danger que dans les Etats
du Grand Seigneur , je refolus de
iaire venir une atteftation du lieu
de ma naiflance , afin de pouvoir
convaincre tous ceux qui en voudroient
douter. Je la receus bien tôt
après, & je la montrai à tous mes
amis à Venife , ce qui dillipa tous
leurs préjugez. Et comme je fouhiùrtois
aulli de me juftifier à Smyrne,
où ]c fçavois bien que les premiers
prejugez faifoient encore leur
effet, j'envoiai une copie de cette
aïteftation à Meflîeurs van Dam &
De Bucquoy , qui me récrivirent
q'ielques mois après, que quoique
j'euiTe pû dire pour ma juftification
lors que j'étois au milieu d'eux , cette
pcnfée étoit toujours demeurée
dans les efprits de puis que j'avois
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quitte Sniyrne ; mais qu'à prefcnt'
que Monficur De Bucquoy avoit
montré mon Atteftation en bonne
compagnie, où laconveifation êtuit
tombée fur cette matiere, tousles
foupçons qu'on avoit eus s'etoicnc
évanouis. Voilà comment pendant
près de neuf ans , j'ay pafle pour
une perfonne avec qui je n'ai jamais
eu graces à Dieu, rien de commun
que le nom. Et même cette pcnfée
eft encore demeurée dans l'efpnt de
plufieurs Hollandois qui m'avoienc
connu à Smyrne avant que cette affaire
eût eclatté, & qui en étoienC
partis avec ce préjugé. Ce qui a été
caule qu'étant à Amfterdam , il n'y
a pas longtemps, je fus obligé d'en
defabufer encore quelques uns qui
me difoient librement qu'ils me prenoient
pour cet homme.
CHAPI