ó l V O Y A G E au L E V A N T e n E G Y P T E . S Y R I E , &c. 63
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voit. Sa priere fut exaucée & Melac
Gabrail c'eft à dire l'Ange Gabriel
lui releva aufli tòt qu'il n'avoit
qu'a prendre fur le rivage de la Mer
autant de fable dans le pan de fa robe
qu'il en pourroit tenir, qu'en
fuite il n'avoit qu'a le femer devant
loi fur l'eau en maniere de petit che
min , & marcher hardiment là deffus.
Le dévot folitaire lit ce qui lui
étoit révélé, mais comme il n'avoit
pas pris aflez de fable, ou qu'il l'avoit
femé un peu trop largement,
il fe trouva fort embaraiTé au milieu
du golfe, car le fentier qu'il avoit
fait alloit à fonds , à mefure qu'il
avançoit fon chemin , & il n'avoit
las de quoi en faire d'autre devant
ui , le lable lui aiant manqué : Il
eut donc recours à la priere & aux
larmes pour fe tirer de cette perplexité.
Mahomet voiant l'excellente
pieté de ce bon Mufulman, & touché
du danger où il s'étoit mis pour
aller à la Mofquée obtint auiïï tôt
de Dieu , qu'une avance de terre
s'etendît jufqu'au pauvre Dervis ,
afin qu'il eût ainli le moien de fe
rendre dans le temple à l'heure de
la priere. Depuis ce temps là cette
langue de terre eft toujours demeurée
pour conferver éternellement la
mémoire de ce Miracle.
De ce golfe de Nicomedie on
.^l'f! entre dans la Mer de Chalcedoine,
appellée par les Anciens Fretum
Chalcedonium , Bofphoriis Chaleedonius,
Bofphorus Thracius, & de
quelques autres noms encore. Au
milieu de cette petite Mer qui ne
contient pas plus de huit milles détendue
, l'on voit tout auprès de
Chalcédoine un Fare fur un Promontoire
ou Tête, avec une maifon de
plaifance du Grand Seigneur appellée
Panari Kiofke , c'eft à dire
Maifon de Tlaifance du Fanal ou
Fare.
Ce mot de Kiofke fignifie en langue
Turque une galerie couverte.
Les Kiasks ne confiftent ordinairement
qu'en plufieurs colomnes difpofées
en quarré avec des Galeries
tout autour , couvertes d'un Toift
bas en maniere de Pavillon.
La Situation de ce Kiosk eft très
Chalcedoine.
agreable , parce qu'elle occupe le
milieu & l'endroit le plus elevé d'un
très beau Jardin, le plus régulier de
tous ceux qu'on voit en Turquie.
On y voit auflî plufieurs allées ti-GrandSdrées
au cordeau, & quelquesparter-S"™'-
res qui font aifez bien entendus; au
lieu que prefque tous les autres jardins
du Grand Seigneur ne font
qu'un amas confus d'arbres plantez
ça & là fans ordre & fans iymmetrie.
Toutes ces allées aboiitiiTent
au Kiofk, d'où l'on a une très belle
vue, puifqu'on y découvre la
plus grande partie de Conftantinople,
du Grand Serrail, & de Galata.
Cette ville eft à l'occident de ce
jardin, & n'en eft éloignée que d'une
bonne lieuë. Le port & la ville
de Chalcedoine en font à côté droit,
tirant vers le Nord-Oueft. Les
Ifles du Prince & laPcopontidefont
devant , tirant vers le Sud-Oueft :
une partie de l'emboucheure du
Golfe de Nicomedie eft au côté gauche
vers le Sud. Et les belles
campagnes de Bithynie à l'extremité
defquelles il eft placé , font
derriere ce jardin à l'Orient.
Ce fut la beauté naturelle de cet
endroit qui porta Sultan Soliman,
fécond à y faire bâtir ce Kiofk,
ou maifon de plaifance, afin d'y
aller quelque fois paiTer agréablement
le temps avec quelques Dames
du Serrail. Et pour cet effet il fit
faire dans un endroit un peu plus
élevé que le refte, un très beau
Sopha garni de matelas, de quarreaux,
& de riches tapiflèries, &
environné d'un baluftre de marbre
taillé à la Morefque. Ce Sopha eft
quarré, & placé prefqu'au milieu
d'un grand baiîin de la même figure,
qu'on voit s'emplir infenfiblement
par une infinité de petits jets
d'eau, jufqu'a une hauteur fuftîfante
pour s'y pouvoir baigner commodément.
Soliman , qui n'avoit pas moins
d'inclination pour le fexe que pour
les armes , fit enrichir ce lieu de
tous les ornemens que l'Architeifture
Mahometane pût inventer,
pour favorifer les plaifirs qu'il prenoit
avec fes Sultanes.
Il
doine.
Il paflbir fouvent avec elles de fon
Serrai! de Conftantinopleàce A'wJié,
qm n'en eft éloigné que d'environ
un mille, afin de s'abandonner avec
plus de liberté à tous les excès de
volupté, auxquels fon penchant Naturel
le portoit, & il y étoit encore
cxcitè par la beauté de ce lieu qui
n'avoit été bâti & embelli que dans
cette vue. Le Fare qui eft auprès
de ce Kiosk fert à eclairer la nuit aux
vaiilcaux qui vont à Conftantniople,
de même cju'aux Barques qui vont
jetter l'ancre auprès de Chalcedoine,
dont pourtant le nombre eft fort
peu confiderable.
Chaloe- Le Port de Chalcedoine n'eftgueres
frequeiiîé, non plus que la ville;
il n'y a que quelques petites Bar- !
ques & Kaiqucs qui vont à Con-
Itantinople pour en rapporter des !
vivres & d'autres choies neceflaires !
dont on n'cft gueres bien fourni
dans ce lieu.
Cette ville etoit autre fois une
des plus célébrés de la Propontide.
On dit que ce fut un certain Berger
, nommé Calcedon , fils de Saturne,
qui commença à y bâtir quelques
cabanes fur les bords d'une petite
riviere qui y paife, & qu'il les
nomma de fon nom. Longtemps
après les Habitans de la ville de
Chalcis , qui eft dans I'lile d'Euboée,
qu'on appelle aujourd'hui
Megrefont, j envoierent une Colonie,
¿confirmèrent de nouveau ce
nom qui s'accordoit fort bien avec
celui de leur ville. Ceux de Megar
c , ville fituée auprès de l'Ifthme
de Corinthe, firent la même chofe,
environ l'an du Monde 3290. Mais
ceux-ci aufli bien que les autres, ne
fc connoiflànt pas trop bien au choix
d'une contrée qui fût capable de
fournir leur Colonie d'abondance &
deplaifir, négligèrent uneauflibelle
fituation qu'eft celle qui eft vis à
vis de celle qu'ils avoient choifie,
faVoir le lieu oii eft à prefent Conftantinople,
& meriterent par làque
l'Oracle de Delphes leur donnât le
nom d"Â-veugles, lequel ils ont toujours
retenu depuis.
M' Grelot rapporte ici une Hiftoirc
divcrtiflante, qu'il donne
comme l'ayant prife d'Amen. Nous
l'avions empruntée de lui , comme
plufieurs autres choies qui concernent
la defcription de Conftantinople
, de la vérité defquelles nous avions
été confirmez, par notre propre
experience. Mais comme quelques
fçavans que nous avons confultez
depuis fur ce fait particulier,
nous ailêurent que cette Hiftoire ne
fe trouve point dans l'ancien Auteur
à qui le S'. Grelot l'attribue, nous
ne nous faifons pas notre affaire de
la garantir, & laiilànt cette difcudîon
à l'habile homme de qui nous
l'avions empruntée, qui a peut etre
en main de quoi juftifier fa citation,
nous nous contenterons de rapporter
la choie telle que M'. G rdot nous
, la donne.
' 11 dit donc qu' Arrien l'Hiftorien
qui ctoit voiiin des Clialcedoniens,
puifque la ville de Nicomedie lui
donna le jour, dit que ces peuples
aiant négligé pendant quelque temps
le culte d'une Divinité à qui leurs
Ancêtres avoient elevé un 'Temple ,
furent châtiez d'une maladie hojiteufe,
à laquelle ne trouvant point
de remede , ils crurent que le plus
promt etoit de retrancher la partie
infcdée, quelque confiderable qu'-
elle pût erre, pour fauver le tout.
Cette Divinité en colere ctoit apparemment
Venus, puis qu'elle avoit
un fort beau Temple à Chalcedoine,
'& que le mal qui afHigeoit les
Chalcedonicns ctoit un de ceux
qu'apporte cette Déefle. La maladie
ctoit h la vérité facheufe, mais
le remede l'etoit encore davantage;
& s'il y euft eu là quelqu'un de nos
Empyriques pour faire aflicher aux
Carrefours, comme ils font tous les
jours à Paris, qu'ilsgucriflèntinfailliblement
de tous les maux que peut
caufer Venus, il auroit bien fait
plaifir aux Dames Chaleedoniennes,
qui fe trouvèrent toutes Veuves fans
avoir perdu leurs maris.
Ce temple de Venus ne fe voit
plus à Chalcedoine , non plus que
celui d'Apollon , qu'un certain
Cocconas rendit célébré par les Oracles
qu'il avoit l'addreiTe de faire
prononcer par cette Divinité.
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