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246 VOYAGE au LE V A N T
e H À P I T R E XLIV.
Départ d'iAIexandrie. Teu de commodité d'mie aJuherge.
Rencontre de quelques Arabes. Retour à Rozette , don l'Atiteurfe
, fropofe d'aller àTtamtette. Retour auCaire.
A Près que j'eus mis environ un j occupé à foufBer, parce que le feu
mois à voir Alexandrie, j'eus ¡ne vouloitpasflamber, & que quand
envie de m'en aller par eau à Ro- Ion le laiiToit un moment, il s'creiz
e t t e , taBt parce que j'y étois déjà ! gnoit aufll tôt. Quand le poiflbn
lit rôti j'en ô allé par t e r r e , & qu'il n'eft pas tai la peau depcur qu'-
agréable de faire deux fois le même
chemin , que parce qu'en prenant
cette voye il eût falu donner trois
Ecus à un JanilTaire. Mais le vent
me fut fi contrau-e pendant quelques
jours que je ne voiois pas le moien
de partir, ce qui m'obligea de prendre
d'autres mefures: Et parce qu'on
eft obligé pour cet eiFet de prendre
un Tejcre ou Paiîèport, fans lequel
on ne peut pas partir de la ville, je
m'en fis expedier un pour la valeur
d'environ vingt foûs. Je fongeai
auffi à louer deux Mulets, afin de
pouvoir partir le lendemain. Mais
voiant que je n'en pouvois trouver,
parce qu'ils avoient tous ordre de
marcher pour porter de l'argent au
BaiTa du Caire, je fus obligé de me
fervir d'ânes. Je m'en fis donc apprêter
trois, deux pour moi &pour
elle n'eu: pris quelque mauvâife
odeur du feu ; mais je ne fçai fi cette
précaution avoit été ¡autrement
néceiTaire , car nous avions ii bon
appétit que nous ne nous ferions
vrai-femblablement aperçus de rien.
Le lendemain nous nous remîmes
en chemin à la pointe d u j o u r , étant
dix ou douze de compagnie; mais
vers neuf heures, la plus part nous
quittèrent parce qu'ils alloient d'un
autre côté , & il ne refta que deux
Arabes avec nous, deforte que nous
n é tions plus que cinq.
Environ une heure après nous vîmes
venir à nous cinq Arabes à cheval
avec des javelots. Lors que nous
approchâmes du plus avancé, mon
JaniiTaire & les Arabes qui étoient
avec nous fauterent de dellûs leurs
ânes . & me vinrent tirer par mes
mon picqueur . & un pour le Janif- habits en criant comme des genseffaire
qui me devoit accompagner à fraiez ce font des Arabes, ce font
^ T"'"^- ^ T •„ U tÎ • en q'elquÎ
Le p. de Juillet une heure avant diligence de delTus mon âne, &Arabes.
midi nous fortimes delà ville, & m'approchant du bord de la Mer
nous arrivâmes environ trois heures je tirai un Piftolet de deflbus mes
à l'endroit oii il faut pafTèr l'eau, habits, & le prefentai aux deux qui
dont nous avons déjà parlé. Auffi marchoient devant , pendant que
tôt que j'y fus arrivé j'achetai un ; les trois autres croient encore à cinpeu
de poilTon, mais quand je le quante pas de nous. Quand ils
^^"od " aprêter , il n'y eut nous virent poftez au bord de la
tez" d'une P^® trouver du bois pour Mer, ils s'arrêterent dans le chemin
Auberge, foire du feu. Nous ne trouvâmes & nous dirent qu'ils etoient Caffirs.
donc point d'autre remede que J e leur fis repondre par mon Janifd'aller
ramafTer quelque fiente de faire qui entendoit l'Italien, que je
bêtes fechée au Soleil, & nous nous : ne me fiois à perfonne, & qu'ainli
en fervîmes fi bien que notre poif- quels qu'ils puiTent être, ils n'afon
fut bien tôt cuit: mais pour en,voient qu'a continuer leur chemin,
venir à bout notre JaniiTaire gaigna'fans approcher plus près de nous,
bien fon diner , car il fut toujours ou qu'autrement le premier qui feroit
e n E G Y P T E . S Y R I E . Sec.
roît fi hardi , je le ferois fiiuter'
de deiTus fon cheval. Cependant
les trois autres approchèrent & fe
difoient l'un à l'autre , comme
mC l'expliqua mon Janiifaire , que
j'etois quelque gros Marchand ,
peut-être étoit-ce , parce que j'avois
avec moi un Janiilaire &
trois Arabes , dont deux pourtant
ne s'y trouvoicnt que par hazard.
Au refte je ne fçai fi ce
fut manque de courage qu'ils n'oferent
nous attaquer , ou fi ce
n'étoit pas eiFeaivement des voleurs
; quoi qu'il en foit nous les
vîmes pader , & je fus fort aife
qu'ils s'en allaiTent fi débonnairement,
car ce n'etoit pas à quoi je
•m'attendois. Cependant nos Arabes
ne pouvoient fe remettre de
la peur , & le Janiffiiire même
étoit pâle comme la mort. Je leur
reprochai à tous leur peu de coura- j
ge, & je leur dis que quand les Francs j
étoient armez ils ne fe laiifoient
pas effrayer ainfi : Mais fur tout
je dis au JaniiTaire que lui qui devoir
m'efcorter jufqu'a Rozet te, &
à qui j'avois donné pour cet effet
trois écus à Alexandrie , devost
avoir fait meilleure provifion d'armes
& de courage ; que c'étoit
une chofe honteufe à un Officier
& à un Soldat du Grand Seigneur,
qui portoit par tout avec foi l'autorité
, de fe montrer fi lâche à
la rencontre de quelques Arabes
&c. Voila quels braves font bien
fouvent les JaniiTaires dans les occafions
oi:i l'on auroit attendu d'en
être fecouru , foit contre les attaques
des voleurs , foit contre la
violence des Turcs : quoi qu'on ne
doive pas nier pourtant que parmi
eux il ne s'en trouve quelques
uns qui ont aflfez de courage pour
prêter le colet aux plus réfolus, &
qui fe montrent auffi fort bons fol-
Retour à dats quand ils font en campagne.
Rozette Quand donc nos Arabes furent
loin de nous , nous remontâpjpofe''
mes fur nos ânes , & nous pourfuii'aller
à yimcs notre chemin jufqu'a Rozette
Qaimette. ^^ arrivâmes environ midi.
2 4 7
Là je me rendis encore à la matfon
du Vice-Conful , dans le deffein
de partir le lendemain pour
Damiette , parce qu'on m'avoit
dit qu'il partoit autant de barques
de Rozette pour Damiette qu'il en
part du Caire; Mais je trouvai que
cela n'etoit pas vran Et comme il
ne fait pas fur ici de voiagcr par
terre, prinsipalement quand on eft
feul , je fus contraint de retourner
au Caire. Je le fis dés le lendemain,
par un bon vent qui nous accompagna
toujours & qui nous fit faire
une bonne traître. La nuit nous
nous trouvâmes encore à nos grèves
accoutumées oii nous demeurâmes
arrêtez jufqu'au lendemain
matin à huit heures , cju'avec le
même vent nous continuâmes notre
; chemin , & ainfi nous arrivâmes le
quatrième jour une heure avant Soleil
couché à Boulac pour la feconde
fois. Je portai mes hardes à la
Douane, & aiant avec peine recouvré
un âne parce qu'il étoit déjà
tard, j'allai toujours galoppant jufqu'au
Caire , deforte que mon picqueur
à qui j'avois promis le double
de ce qu'on donne d'ordinaire,
eut aflez de peine à fuivre la monture
qu'il m'avoit louée. Cette diligence
étoit en partie un eiïet de
la crainte que j'avois des voleurs
qui rendent les chemins très dangereux
pendant la nuit & aux heures
indues, & en partie auffi de ce que
je me fentois incommodé , n'aiant
rien pris de tout le jour. Je fouhaittois
donc de m'aller repofer au
plus tôt après avoir pris quelque
nourriture , parce que je voulois
comme j'ai dit partir le lendemain
T'arrivai Hnnr le
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pour Damiette. J'arrivai dónele™'»"
foir fort tard au logis du Confuí à
l'heure qu'il ne m'attendoit pas, il
me receut civilement à fon ordinaire
, & je lui contai ce qui m'etoit
arrivé , Et après avoir fait bonne
chere à fouper j'allai me repoier,
dans l'efperance de reprendre
le lendemain mon voiagc , comme
ie fis.
CHAPIPSW