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2Î4 VO y A G E au L E V A N T
France , où elle s'eft établie à caufe
de quelques mécontentemens qu'-
elle avoi: rcceus en Angleterre.
Aventure Mais voici quelque chofe de bien
ïïîre'dv P'"® étrange , & dont on ne troun
e femme vera peut-être point d'exemple,
C b r ê t i e n - c'cil: une chofe qui m'a etc aiTeurée
pouiè" un P'"' témoins
Turc fans Oculaires. C'eft d'un certain Turc
en fçavoir appelle Muftapha qui demeuroit à
Rama l'an 1680. avec une Demoifelle
Flamande qu'il avoir epoufée,
ce fut environ un an avant que j'y
arrivaiTè. Ce Muftapha faifant
femblant d'être Chrét ien, & fe difant
né en Efpagne , quoi qu'il y eût
feulement paiTé quelques années
après avoir été pris fur mer comme
Efclave , & qu'il en eût fort bien
apris la langue 1 parce qu'il avoit
de l'efprit ; ce Muftapha di-je paiTa
en Flandre au fervice du Roi d'Efpagne
j & fe pouilà fi bien par
fa bonne conduite qu'il fut fait
Lieutenant d'une compagnie d'infanterie.
Cela lui aiant elevé le
dam en Angleterre. Là ils s'embarquerent
fur une vaiflèau qui étoic
prêt d'aller en Efpagne. Q_uand
ils furent environ les côtes d'Efpagne
, le Iiafard voulut qu'ils
rencontrèrent fix ou fept navires
d'Alger qui les faluerent comme
bons amis , parce qu'alors les
Anglois étoient en paix avec les
Algériens.
Muftapha ne manqua pas de fe
fervir d'une occafion fi favorable,
car il n'avoit entrepris ce voiage
que dans l'efperance de trouver
quelqu'un de fa nation. Il appella
donc de deiTus fon Vaiflèau en
langue Arabe j & fe fit connoitrc
pour ce qu'il étoit. Aufli tôt les
vaiiTeaux d'Alger detacherent une
chalouppe Sc envoierent demander
Muftapha & fa femme. Le Capitaine
Anglois fut fort étonné ne
fachant ce qu'il devoit concUirrc
de là , & voiant que cet Efpagnol
travefti faifoit paroitrc une
grande envie de paflèr fur le bord
courage , il commença à jetter les de ces Turcs il n'ofa le refufer.
yeux fur la fille de fon Collonel ; . &
Mais la Demoifelle fut bien encore
le Pere venant à mourir pendant ces
plus etonnée comme celle que
amourettes., & la fille par confe-[cette affaire touchoit de plus pres.
qucnt moins en état , d'efperer un, Elle fe jetta toute en larmes au
mariage plus avantageux, les deux
parties s'accorderent , & le mariage
fut célébré à Anvers avec toutes
les Ceremonies de l'Eglife Romaine.
Les premieres femaines fe pafferent
avec des careflès extraordinaires
au milieu defquelles Muftapha
propofa à fa nouvelle Epoufe
d'aller en Efpagne avec lui fous
pretexte d'aller voir fes amis , &
en même temps de tâcher à fe procurer
un emploi plus confiderable
que fa Lieutenance > ce qu'il lui
faifoit efperer qui reiilîîroit aiTez
aifément , parce qu'il avoit l'honneur
d'être iiTu de la maifon de
'Don va/azer. Et pour donner plus
de vraifemblance à ceci , parce
que fa femme l'avoic connu lors
qu'il n'étoit que fimple foldat, il
lui fit accroire qu'il étoit ibrti
d'Efpagne pour des raifons fecrettes
, & fans en rien dire à perfonne.
La refolution en fut donc
prife , & ils paflèrent de Rottercou
de fon Epoux 5 & lui demanda
pour quelle raifon il formoit
un dcflèin de cette nature. Mais
Muftapha qui ne fe vouloir pas
encore tout à fait découvrir lui dit,
fans paroitre embarraifc , qu'il n'y
avoit rien à craindre , qu'elle n'avoit
feulement qu'a le fuivre , &
qu'il lui diroit dans la fuite les raifons
qu'il avoit.
Ainfi ils paiTerent avec tout leur
Bagage dns le vaiflèau d'un des
Commandans Algériens, avec lequel
pendant que Muftapha s'entretenoit
en Arabe, & qu'ils fe faifoient mille
embrailades & fe donnoient toutes
les marques de la plus étroittc
amitié, il vint un jeune Hollandois
qui fervoit de garde Cajut à ce
Commandant , & s'approchant de
la Demoifelle il lui demanda en
Flamand , parce qu'il l'avott oui
parler Brabant avec fon mari , fi
elle étoit mariée avec ce Turc 1
ajoutant en même temps qu'il
l'avoic
en EG Y P TE , S Y R I E . & c . 255
l'avoit oui dire à ccux du vaiiTeau
que Muftapha avoit appeliez en Arabe
avant le débarquement. Quand
la Demoifelle eut apris que Ibn
mari étoit Turc & natif d'Alger,
elle fe mit à plcnrer très amèrement :
mais voulant pourtant en être plus
aflèurée , que par ce que luien avoit
dit ce jeune homme (n'y ajant rien
d e plus ordinaire dans les choies
qu'on voudroit bien voir autrement
qu'elles ne font, que de demeurer
dans une incertitude mêlée de
quelque rayon d'efperance^ elle <icmanda
à fon mari s'il étoit vrai ce
que lui venoit de dire le Garde
Cayut, la defllis elle lui rapporta tout
ce quis'etoit ditentreeux àfon égard.
Muftapha jugeant bien qu'il n'etoit
plus neceflaire d'ufer de deguifemens
, lui répondit que cela étoit
vrai, qu'il étoit Mahometan, & qu'il
l'avoit toujours été. Mais qu'il he
falloir point qu'elle s'en affligeât,
& que tant qu'il vivroit il auroit
toujours pour elle la même paffion
&c.
Jamais perfonne ne fut plus penetrée
de trifteflè que le fut cette
pauvre demoifelle quand elle eut
apris de la propre bouche de fan
mari qu'il n'avoit été Chrétien qu'en
apparence , & quand elle fe réprefenta
qu'il l'avoit trompée fous ce
faux femblant , elle penfa perdre
l'efprit. Muftapha qui avoit une veritable
tendreife pour elle, employa
tous les moiens imaginables pour la
confoler > & il lui promit entre autres
chofes, que quoi qu'il eûft été élevé
dans la Religion Mahometane &
qu'il fût dans la refolution de n'en
cmbraflèr jamais une autre , il ne
la chagrineroit pourtant jamais fur
la ficnne. Enfin voyant qu'il n'y
avoit point d'autre remede que de
prendre patience , elle tâcîia de
mettre fon efprit en repos. Mais
comme les grandes trifteflès ne fe
paflènt pas en un moment, fouVent
lors qu'elle regardoit Muftapha les
larmes lui venoient aux yeux.
Cependant ils arrivèrent à Alger ,
où Muftapha ne fut pas plus tôt débarqué
qu'il alla avec un vifage ouvert
fe faire connoitre à fes parens
qui étoient là en aflez grand nombre
, & il leur prefenta fa femme
Chrétienne qu'il tenoit par la main.
Il fut receu avec bien des carclfes
de même que fa trifte moitié. Les
parens firent tout ce qu'ils purent
pour l'attirer pur douceur à leur religion
, & ils voulurent aulii quelquefois
ufer de feVeriré & de contrainte.
Cependant la demoiièlle
demeura ferme , & fit tant par fcs
prieres auprès de fon mari que Muftapha
touché de fes larmes prit la refoution
de s'en aller ailleurs vivre avec
e l l e , ce qui s'executa peu de temps
après, ajant premièrement pris leur
route vers Tripoli en Barbarie. Ce
fut ici qu'elle accouclia d'un fils qui
fut le premier fruit de cet infortuné
mariage. En fuite après qu'elle fe
fiit afléz bien rctablie de fa couche
ils s'en allèrent au Caire, ou Muftapha
-alla d'abord avec fa femme
trouver le Confuí de la Nation
Françoife , le priant de lui procurer
quelque moien de fubfifter. Le
Confuí après avoir appris de la bouche
de la Dcmoilèlle quel étoit fon trifte
état, fit fi bien à ia confideration
que Muftapha fut ëhrollé dans la
milice des Janifl^aires & qu'il le prit à
fon fervicé -, parce qu'aufli bien il
faut toujours que lés Confuís en
ayént quelqu'un. Mais les autresjaniflàires
ayant apris qu'il avoir epoufé
litie femme Chrétienne , & qui
même fe trouvoit tous les jours dans
les afleitiblées de cette Rel igion, ne
le pouvaient regarder de ton oeil,
d'autant plus qu'ils comprenoient
aifément par là qu'il n'ufoit gueres
de contrainte pour lui faire embrafler
leur Rehgion. En un mot
les autres Janiflaires lui firent tant de
chagrin qu'il quitta lefervice, &que
par lé conféil de fes amis il fc retira
à Jerufalem avec fa femme & deux
enfans qu'il en avoit étis, cela arriva
dans l'année 1680.
Il y fut entretenu par les Religieux
plus de huit mois de fuite en
confideration de fa femme qui faifoit
toujours une conftante profeffion
de la Religion Chrétienne, quelques
adverfitez qui lui arrivailênt.
Cependant ton fily aifné qui dans ce
temps