i86 VOY AGE au LEV ANT
mes le moien de fe fervir eux mêmes
quand les autres chofcs
leur manquent, fans avoir befoin
de recourir comme Diogenes à une
ccuelle de bois. Je m'étonnai pourtant
de cette maniéré de manger;
mais je compris cnfuite que la pauvreté
qui fait fe fervir des moiens
les plus extraordinaires, avoit enfeigné
celui-ci aux pauvres gens de ce
pais là.
Le 17. Le vent nous fut un peu
plus favorable , ce qui fut caufe
que nous laiilàmes nos voiles deploiées
jufqu'a environ minuit apres
avoir paifé foixante villages.
Le iS. avant le lever du Soleil
nous reprimes notre voiage, & environ
trois heures après midi nous
vîmes fort diiiinftement les trois
Pyramides. Deux heures plus tard
nous paflàmes auprès de l'autre bras
du Nil qui a fon cours à main
droite au Nord-Eft de Rofette,
on conte qu'il eft éloigné du Caire
de quinze milles d'Italie. Le
foir nous avions encore paifé quarante
cinq villages outre ceux que
nous avions paffé pendant l'obfcurit
é , & à dix heures nous vinraes à
Boulac. Boulac qui eft un beau grand Bourg
fitué à l'Orient du Nil, & qiù eft le
Port du Caire , parce que la ville
même eft bien une demie lieuë avant
dans le païs. Nous paflàmes
la nuit dans la barque.
Villes en- Entre Damiette & le Carre il y a
villes , Manfoura qui eft raileCaire.
fonnablement grande fituée à l'Orient
du Nil. Semenut, qui eftauffi
médiocrement grande & fituée à
l'Occident. Cette ville eft en triangle
, & eft bàne fur le bord de la
Riviere. Tous les vaiflèaux qui
vont au Caire font obligez de s'arrêter
ici pour y paier un certain
droit. Mitgannir qui eft audi une
ville aflèz grande fur la rive Orientale
du fleuve. Elle a un fort beau
part les uns vis à vis des autres, ce
qui fait une agreable perfpeftive le
long des deux bords de la Riviere.
L'on voit auffi tout le long du
Nil depuis Damiette jufqu'au Caire Quantité
une quantité incroiable de Coulom-fombfes"'
biers, ils font bâtis de terre, & ont le long de,
la couverture en pointe; par d edans<i "
ils font garnis tout au tour d'une
efpece de pots de terre où les pigeons
font leurs nids; comme il y en
a grande quantité , ils font aulTi à
bon marché.
Le 19. au matin nous paiâmes
chacun un Ecu qui eft un droit que
doivent tous les Francs la premiere
fois qu'ils viennent au Caire , &
nous primes des ânes pour nous mener
à la ville. Ils font fort petis,
mais ils ont une alleure fi vite qu'on
en eft étonné. De puis Boulac jufqu'au
Caire on traverfe une grande
plaine qui a une bonne demie heure
de long, & qui eft fort agreable,
tant par la grande quantité de palmiers
& d'autres arbres dont elle eft
plantée, que par le palTagecontinuel
d'une infinité de perfonnes qui
vont Se viennent le long de ce chemin.
Lors que nous fumes entrez par ^rfirée
la porte, nous vînmes d'abord à y.™
en EGYP T E. SYR I E. Ucì tîj
ne grande place à peu près quarrée
où il croît du bled , on en avoit alors
fait la récolté. Cette place eft
comme un vivier, toute environnée
d'une petite levée de-terre, ficelle
s'emplit d'eau lois que le Nil croit,
auquel temps on y prend quelque
fois beaucoup de poiflbn. Le chemin
eft autour de cette place, & le
long de ce chemin on voit de belles
& de grandes maifons, fous les porches
de la plus part defquelles on
parte comme à Boulogne en Italie.
Nous nous rendîmes au Couvent
des Religieux de S. François , &
j'appris d'eux que le Seigneur Baptifta
Tarelit, Confuí de la Republi-
Bazar ou marché, & plufieurs bel-; que de Venifeavoitétécncorerhoifi
les maifons. Vis à yis^ d'ici i]_y a, dcpui,s peu de jours par le Ba/fa
un gros bourg appelle Sitfe. Pour
ce qui eft des villages,ilsfont, comme
on le peut aifément inferer de
ce que nous avons déjà dit , en
grande quantité > & pour la plus
du Caire pour ConfuI des Nations
Angloiie & Hollandoife. Ainfi
je crus qu'il étoit de mon
devoir de lui aller au plutôt rendre
vifitc.
il
II nous receut avec une civilité
toute particulière , . & il nous fit
le promettre que nous irions loger
chez lui , quoi que nous euflîons
déjà donné notre parole au Pere
fuperieur du Couvent. Nous fîmes
donc tranfporter nos hardes, ce qui
chagrina un peu les" bons Peres, qui
euifent mieux aimé nous voir chez
eux que chez le ConfuI, à la maifon
L'auteur
va loj
chez
Cotilul.
duquel nous allâmes après que
nous eûmes pris congé des Religieux,
J'y trouvai fans ^ e je m'y attendiife
un de mes Compartriotes
qui y étoit déjà logé, ce fut Adrien
Bierbeek né comme moi à la Haie,
orfèvre de fa vacation, & qui etoit
venu avec nos vaiflèaux à Alexandrie
le i i . de Mars.
De tous les Chrétiens qui demeurent
ordinairement dans cette
t'ameufe ville, il n'y avoir que nous
nois qui parlaflions Flamand, étant
tous trois Hollandois, & nez à la
Haie où nous avions connu la famille
les uns ' des autres. Mais notre
focieté quelque peu nombreufe qu'-
elle fût ne dura pas longtemps, car
le 24.. d'Avril, e'eft à dire cinq jours
après notre arrivée au Caire, mon
Camarade de voiage Roger de Cleves
avec qui j'etoisvenu deSmyrne,
nous quitta & s'en alla à Cypre où
il avoit quelques affaires. Il demeure
à prefent à Loo au fervice de fa
Majefté Britannique en qualité de
Maitre Fontenier. Au refte e'eft une
chofe digne de remarque que
trois Camarades de voiage &
tous trois natifs d'un même lieu, a-
5res s'etre rencontrez fi loin contre
eur attente, fe retrouvent encore aujourd'hui
en leur pais pleins de fanté
, & qu'ils ayent le moien d'y entretenir
encore leur ancienne
amitié.
A 3 z CHAPI