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 mes  le  moien  de  fe  fervir  eux  mêmes  
 quand  les  autres  chofcs  
 leur  manquent,  fans  avoir  befoin  
 de  recourir  comme  Diogenes  à  une  
 ccuelle  de  bois.  Je  m'étonnai  pourtant  
 de  cette  maniéré  de  manger;  
 mais  je  compris  cnfuite que  la  pauvreté  
 qui  fait  fe  fervir  des  moiens  
 les  plus extraordinaires,  avoit  enfeigné  
 celui-ci  aux  pauvres  gens  de  ce  
 pais là.  
 Le  17.  Le  vent  nous  fut un  peu  
 plus  favorable  ,  ce  qui  fut  caufe  
 que  nous  laiilàmes  nos  voiles  deploiées  
 jufqu'a  environ  minuit  apres  
 avoir  paifé  foixante villages.  
 Le  iS.  avant  le  lever  du  Soleil  
 nous  reprimes  notre  voiage,  &  environ  
 trois  heures  après  midi  nous  
 vîmes  fort  diiiinftement  les  trois  
 Pyramides.  Deux  heures  plus  tard  
 nous  paflàmes auprès  de  l'autre  bras  
 du  Nil  qui  a  fon  cours  à  main  
 droite  au  Nord-Eft  de  Rofette,  
 on  conte  qu'il  eft  éloigné  du  Caire  
 de  quinze  milles  d'Italie.  Le  
 foir  nous  avions  encore  paifé  quarante  
 cinq  villages  outre  ceux  que  
 nous  avions  paffé pendant  l'obfcurit 
 é ,  &  à  dix  heures  nous  vinraes  à  
 Boulac. Boulac  qui  eft  un  beau  grand  Bourg  
 fitué  à  l'Orient  du  Nil,  &  qiù  eft le  
 Port  du  Caire  ,  parce  que  la  ville  
 même  eft  bien  une  demie  lieuë  avant  
 dans  le  païs.  Nous  paflàmes  
 la  nuit  dans  la  barque.  
 Villes en-  Entre  Damiette  &  le  Carre  il  y  a  
 villes  ,  Manfoura  qui  eft  raileCaire. 
   fonnablement  grande  fituée  à  l'Orient  
 du  Nil.  Semenut,  qui  eftauffi  
 médiocrement  grande  &  fituée  à  
 l'Occident.  Cette  ville  eft  en  triangle  
 ,  &  eft  bàne  fur  le  bord  de  la  
 Riviere.  Tous  les  vaiflèaux  qui  
 vont  au  Caire  font  obligez  de  s'arrêter  
 ici  pour  y  paier  un  certain  
 droit.  Mitgannir  qui  eft  audi  une  
 ville  aflèz  grande  fur  la  rive  Orientale  
 du  fleuve.  Elle  a  un  fort  beau  
 part  les  uns vis  à  vis  des  autres,  ce  
 qui  fait  une  agreable  perfpeftive le  
 long  des  deux  bords  de  la Riviere.  
 L'on  voit  auffi  tout  le  long  du  
 Nil  depuis  Damiette  jufqu'au  Caire  Quantité  
 une  quantité  incroiable  de  Coulom-fombfes"'  
 biers,  ils  font  bâtis  de  terre,  & ont le long de,  
 la  couverture  en pointe;  par  d edans<i "  
 ils  font  garnis  tout  au  tour  d'une  
 efpece  de  pots  de  terre  où  les  pigeons  
 font  leurs  nids;  comme  il  y  en  
 a  grande  quantité  ,  ils  font  aulTi à  
 bon  marché.  
 Le  19.  au  matin  nous  paiâmes  
 chacun  un  Ecu  qui  eft  un  droit  que  
 doivent  tous  les Francs  la  premiere  
 fois  qu'ils  viennent  au  Caire  ,  &  
 nous  primes  des  ânes  pour  nous mener  
 à  la  ville.  Ils  font  fort  petis,  
 mais  ils  ont  une  alleure  fi  vite qu'on  
 en  eft  étonné.  De  puis  Boulac  jufqu'au  
 Caire  on  traverfe une  grande  
 plaine  qui  a  une  bonne  demie  heure  
 de  long,  &  qui  eft fort agreable,  
 tant  par  la  grande  quantité  de  palmiers  
 &  d'autres  arbres  dont  elle  eft  
 plantée,  que  par  le  palTagecontinuel  
 d'une  infinité  de  perfonnes  qui  
 vont  Se  viennent  le  long  de  ce  chemin. 
   
 Lors  que  nous  fumes  entrez  par  ^rfirée  
 la  porte,  nous  vînmes  d'abord  à  y.™  
 en  EGYP T  E.  SYR  I E.  Ucì  tîj  
 ne  grande  place  à  peu  près  quarrée  
 où  il  croît  du  bled  ,  on  en  avoit  alors  
 fait  la  récolté.  Cette  place  eft  
 comme  un  vivier,  toute  environnée  
 d'une  petite  levée  de-terre,  ficelle  
 s'emplit  d'eau  lois  que  le  Nil  croit,  
 auquel  temps  on  y  prend  quelque  
 fois  beaucoup  de  poiflbn.  Le  chemin  
 eft  autour  de  cette  place,  &  le  
 long  de  ce  chemin  on  voit  de  belles  
 &  de  grandes  maifons,  fous les porches  
 de  la  plus  part  defquelles  on  
 parte  comme  à  Boulogne  en  Italie.  
 Nous  nous  rendîmes  au  Couvent  
 des  Religieux  de  S.  François  ,  &  
 j'appris  d'eux  que  le Seigneur  Baptifta  
 Tarelit,  Confuí  de  la  Republi- 
 Bazar  ou  marché,  &  plufieurs  bel-;  que  de  Venifeavoitétécncorerhoifi  
 les  maifons.  Vis  à  yis^  d'ici  i]_y  a,  dcpui,s  peu  de  jours  par  le  Ba/fa  
 un  gros  bourg  appelle  Sitfe.  Pour  
 ce  qui  eft  des villages,ilsfont,  comme  
 on  le  peut  aifément  inferer  de  
 ce  que  nous  avons  déjà  dit  ,  en  
 grande  quantité  >  &  pour  la  plus  
 du  Caire  pour  ConfuI  des  Nations  
 Angloiie  &  Hollandoife.  Ainfi  
 je  crus  qu'il  étoit  de  mon  
 devoir  de  lui  aller  au  plutôt  rendre  
 vifitc.  
 il  
 II  nous  receut  avec  une  civilité  
 toute  particulière  ,  .  &  il  nous  fit  
 le promettre  que  nous  irions  loger  
 chez  lui  ,  quoi  que  nous  euflîons  
 déjà  donné  notre  parole  au  Pere  
 fuperieur  du  Couvent.  Nous fîmes  
 donc  tranfporter  nos  hardes,  ce qui  
 chagrina  un  peu  les" bons Peres, qui  
 euifent  mieux  aimé  nous  voir  chez  
 eux  que  chez  le  ConfuI,  à  la  maifon  
 L'auteur  
 va  loj  
 chez  
 Cotilul.  
 duquel  nous  allâmes  après  que  
 nous  eûmes  pris  congé  des  Religieux, 
   
 J'y  trouvai  fans  ^ e  je  m'y  attendiife  
 un  de  mes  Compartriotes  
 qui  y  étoit  déjà logé,  ce  fut  Adrien  
 Bierbeek  né  comme  moi  à  la  Haie,  
 orfèvre  de  fa  vacation,  &  qui  etoit  
 venu  avec  nos  vaiflèaux  à  Alexandrie  
 le  i i .  de  Mars.  
 De  tous  les  Chrétiens  qui  demeurent  
 ordinairement  dans  cette  
 t'ameufe  ville,  il  n'y  avoir  que  nous  
 nois  qui  parlaflions  Flamand,  étant  
 tous  trois  Hollandois,  &  nez  à  la  
 Haie  où  nous  avions  connu la famille  
 les  uns  ' des  autres.  Mais  notre  
 focieté  quelque  peu  nombreufe  qu'- 
 elle  fût  ne  dura  pas  longtemps,  car  
 le  24.. d'Avril, e'eft  à dire  cinq  jours  
 après  notre  arrivée  au  Caire,  mon  
 Camarade  de  voiage  Roger  de  Cleves  
 avec qui  j'etoisvenu  deSmyrne,  
 nous  quitta  &  s'en  alla  à Cypre  où  
 il  avoit  quelques  affaires.  Il  demeure  
 à  prefent  à  Loo  au  fervice  de  fa  
 Majefté  Britannique  en  qualité  de  
 Maitre  Fontenier.  Au  refte  e'eft une  
 chofe  digne  de  remarque  que  
 trois  Camarades  de  voiage  &  
 tous  trois  natifs  d'un  même  lieu, a- 
 5res  s'etre  rencontrez  fi  loin  contre  
 eur attente, fe retrouvent  encore  aujourd'hui  
 en  leur  pais  pleins  de  fanté  
 ,  &  qu'ils  ayent  le  moien  d'y  entretenir  
 encore  leur  ancienne  
 amitié.  
 A  3  z  CHAPI