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 nous  venons  de  dire,  il  faut  qu'il  
 s'achemine  vers  l'Eglife  la  vue  baiffée  
 en  t e r r e , q u e  fongeant  au  refpeft  
 qu'il  doit  au  lieu  faint  où il va,  
 i  déchauflè  fes  fouliers  à  la  porte.  
 C e l l  pour  cela  que  les  Orientaux,  
 qui  font  obligez  d'y aller tant de fois  
 par  jour,  ont  imaginé  une  maniere  
 de  chauiTûre  ,  qu'ils  peuvent  aifément  
 défaire  fans  fe  courber  &  fans  
 porter  les  mains  à  leurs  pieds.  Ils  
 les  appellent  Tapouches,  &  elles  
 doivent  pluftoft  être  appellées  des  
 Pantoufles  ou  mules  que  des  Souliers. 
   La  couleur  en  eft  differente  
 jaune,  rouge,  bleuë,  noire  &c.  Les  
 Turcs  &  les Francs  les  portent  ordi- 
 Prophete  ,  les  bien  heureux  feftateurs  
 de  fa Loi  ne  devoient  en  couvrir  
 que  leur  téte  ,  ou  tout  au  plus  
 n'en  parer  que  les  parties  les  plus  
 elevées  &  les  plus  honnêtes  de  leur  
 corps ;  qu'il  ne  falloir  pas  la  ravaler  
 5ar  un  mépris  infupportable  jufqu'a  
 a  mettre  aux  pieds,  &  en  fouler  la  
 bouë  comme  on  faifoit  impunément  
 dans  tout  fon  Empire,  &  même  les  
 Giaours,  les  Chifoutlers  (c'eft  ainii  
 qu'ils  defignent  les JuifsJ  &  tous les  
 autres  Murdars  c'eft  à  dire  impurs,  
 fans  aucune  diftinflrion.  Cha-Abbas  
 qui  étoit  le  Prince le plus  accompli  
 de  tout  l'Orient  &  dont  les  belles  
 qualitez  lui  attiroient  l'affedtion  
 naircment  jaunes  ,  les  Armeniens!de  tous  les  peuples,  voiant  quel'inrouges  
 ,  les  Grecs  violettes  ,  &  les  juftice  des  0[maniis  ou  Ottomans  
 Juifs  noires:  mais pas une  de ces Na - 
 tions  n'oferoit  prendre  la  hardieife  
 d'en  avoir  de vertes,  auflî  longtemps  
 avoit  pour  but  d'ôter  aux  hommes,  
 s'il  lui  étoit  poffible,  l'ufage  d'une  
 couleur  que  la  Nature  leur  a  fi  libequ'il  
 demeure dans les Etats du  Grand  paiement  donnée,  &  les  réduire  à  
 Seigneur,  au  Heu  que  tout  le mon-'n'ofer  porter  à  leurs  fouliers  ce  que  
 de  le  peut  faire  dans  la  Perfe.  Ce  cette  bonne  Mere  a  répandu fur touferoit  
 un  crime  à  un  Chrétien  qui  te  la  face  de  la  terre,  &  même  fous  
 demeureroit en Turquie de porter aux  leurs pieds  ,  ce prince,  dis-je,  aima  
 pieds  une  couleur  qui  paffe  pour fa-  mieux  detourner  un fi ridicule delTein  
 crée  chez  les Mahometans  à  caufede  par  une  raillerie  fpirituelle,  que  de  
 l'affeftion  que  lui  portoit  leur  Pro- j lui  faire  l'affront  que  méritoit  une  
 phete,  &  les  vrais Mufulmans qui ne  demande  fi  déraifonnable.  Il  fit  
 mettent  cette  couleur  fur  leur  téte •  donc  femblant  d'accorder  au  Grand  
 qu'avec  un  grand  refpefl:  ,  &  qui  Seigneur  ce  qu'on  demandoit  de  fa  
 n'en  permettent  l'ufage  qu'à  leurs'part,  &  il  promit  à  l'AmbaiIâdeur  
 Emirs,  à  qui  ils  donnent  le Turban  qu'il  feroit  deffendrc  à tous fes fujets  
 vert,  pour  marque  qu'ils  font  de  la ^  &  à  tous  ceux  qui  demeuroient  dans  
 famille  de  leur  Legiflateur  &  de leur  les  pais  de  fon  obeïiTance  ,  de  ne  
 Prophète,  ne  pourroient  ailèuré-  plus  porter  à  leurs  pieds  la  couleur  
 ment  la  fouffrir  aux  fouliers  d'un  du  Prophcte  ,  ajoutant  en  même  
 Giaottr.  La  reponfe  que  Cha  Ah-  temps  qu'il  étoit  ailèuré  que dés  qu'- 
 fe s ^ l r i i r d o n n a  fur  ce  fujet à  un  Ambaf-,il  en  auroit  fait  publier  l'ordonnanfadeur  
 que  le  Grand  Seigneur  lui!ce,  on  ne  verroit  plus  porterdefouplaifante  
 avoitenvoié,  eft trop pleine d'efprit,  
 liers  verts  dans  toute  la Perle  :  Mais  
 qu'avant  que  de  faire  publier  cet  or- 
 i b b a f "  pas  rapportée  ici.  Cet  _  
 un  Am-AmbaiTadeur  qui  ne  voioit  qu  avecjdre,  le  Grand  Seigneur  qui  paroifbatTadeur  
 un  grand  déplaifirque  dans  toute  lajfent  avoir  tant de zele pour cette  cou- 
 Perfe  ,  tant  les  Chretiens  que  les  leur,  en  devoit faire publier  iin  autre  
 Turcs  portoient  des  fouliers  &  des  
 bas  verts,  demanda  au  nom  de  fon  
 Prince  à  Cha-Abbas  qu'il lui plût  de  
 faire  defenfe à tous  fes  fujets  de profaner  
 plus  longtemps,  ni de porter  à  
 leurs pieds une couleur  qui devoit  être  
 en  vénération  à  tous  les vrais Mahometans: 
  qu'il favoit fort bien que  comme  
 ç'avoit  été  la  couleur  favorite du  
 par  tout  fon  Empire,  fur  le  même  
 fujet.  Ne  favez  vous  pas,  dit  ce  
 Prince  à  l'AmbaiIâdeur,  que  vôtre  
 maitre  voit  tous  les  jours  fans  s'e;i  
 mettre  en  peine,  qu'on  deshonore  
 dans  fes  états la couleur de  Mahomet  
 plus  qu'on  ne  fait  en  Perfe.  Dans  
 les  miens 1 on  ne porte aux  vétemens  
 &  aux  fouliers  qu'un  vert  mort,  au  
 lieu  
 enEG  YPT  E,  
 lieu  qu'en  Turquie  toutes  les  bétes  
 déchargent  impunément  leur  ventre,  
 &  font  leurs  ordures  fur  cette  même  
 couleur  vivante  que  nôtre  Prophète  
 aimoit.  Allez  donc  dire  à  vôtre  
 Maitre  qu'il  empêche  prémierement  
 toutes  les  bétes  de  fon  Empire  de falir  
 déformais  de  leur  fiente  ,  &  de  
 fouler  à  leurs  pieds  l'herbe  comme  
 elles  font  continuellement,  &  après  
 cela  je  fautai bien empêcher mes  fu  
 jets  de  porter  à  l'avenir  des  fouliers  
 verts.  LElchi  ou Ambaffadeur Tur c  
 remarquant  bien  que  Cha-Abbas  fc  
 mocquoit  de  la  folie  de  fa  demande,  
 fortit  du  Tataro  qui  eft  le  lieu  où  les  
 Rois  de  Perfe  donnent  ordinairement  
 audience  aux  AmbaiTadeurs,  
 &  alla  reprendre  fes  Papouches  jaunes  
 qu'il  avoit  laiiTées  à  la  porte,  
 comme  on  fait  à  l'entrée  des  Mofquées  
 &  des  autres  lieux  auxquels  
 on  doit  du  reipeft.  
 Continu-  fetoit  à  fouhaiter  que  tous  les  
 ation  des Chrétiens  qui  n'ont  pas  aflèz  de  readesexte 
 fpea  pour  les  Temples,  & qui  n'ont  
 aucune  attention  aux  prieres  qui  s'y  
 m  ''"dèsfont  ,  culTent  quelque  moien  d'ob- 
 Torcs.  ferver  de  quelle  maniere  les  Turcs  
 s'acquittent  de  l'etroitte  obligation  
 où  font  tous  les  hommes  d'adorer  
 Dieu  avec  humilité  &  avec  application  
 a'efprit :  fans  doute  qu'ils  apprendroient  
 d'eux  à  n'entrer  pas  
 dans  l'Eglife  avec  une  ame  fouillée  
 de  crimes  ,  lors  qu'ils  verroient  que  
 les  Mahometans  ont  tant  de  foin  de  
 fe  laver  des  moindres  faletez  dont  
 leurs  corps  ou  leurs  habits  peuvent  
 être  tachez.  Ils  laifferoient  auflî  à  
 la  porte  de  leurs  Temples  toutes  les  
 affaires du  monde,  &  ils  n'enparleroient  
 point,  comme il  n'y  en  a  que  
 trop  qui  le  font,  dans  les  lieux  qui  
 font  deftinez  à  la  prière  ,  s'ils  faifoient  
 refléaion  fur  ce  que  les Turcs  
 n'entrent  jamais  dans  leurs  Mofquées, 
   fans  quitter  leurs  fouliers à la  
 p o r t e ,  &  que  pendant  la  priere  ils  
 gardent  un  filence  grave & une  contenance  
 modefte  qu'on  nefauroitaffez  
 eftimer.  
 C'eft  auffi  en  confideration  de  
 cette priere fi fouven t repetée, &  avec  
 tant  de  gravité  ,  que  les  Ottomans  
 croyent  que  Dieu  les  a  rendus  Mai- 
 S Y R I E .  &c.  93  
 très  d'un  des  plus  beaux  pajs  qui  
 foient  dans  les  trois  plus  be  les  parties  
 du  monde.  
 Mais  afin  de  ne  s'en  rapporter  pas  
 entièrement  à  ce  que  les  Mahometans  
 en  difent  j'ajouterai  ici  ce  que  
 M'.  Grelot  rapporte  qui  lui arriva  un  
 jour  avec  un  Chrétien  Grec,  au  fujet  
 du  peu  de  rcfpeft  qu'on  a  pour  
 les  Eglifes,  Ce  Grec,  dit-il,  étoit  
 de  Conftantinople  âgé  de  plus  de  
 quatre  vingt  ans  ,  &  fils  d'un  Pere  
 qui  en  avoit  vécu  plus  de  Cent,  
 auflî  bien  que  fon  ayeul.  Il  demeuroit  
 auprès  de  S.  Sophie,  &  comme  
 il  me  voioit  fouvent  entrer  dans  le  
 Portail  de  cette  Eglife  ,  il  eut  peur  
 que  ces  fréquentes  vifites  que  je  rendois  
 à  la  Mofquée  ne  vinfent  d'une  
 envie  de  changer  de  Religion,  ou  
 qu'elles  ne  me  iniflint  en  tel  danger,  
 que  je  fuflè  contraint  de  le  fairej  
 Ainfi  poufle  d'un  zele  de  charité  il  
 m'aborda  ,  &  me  pria  de  lui  dire  
 quel  étoit  le  motif  qui  me  portoit  à  
 aller  fi  fouvent  vifîter  S.Sophie;  Je  
 lui  repondis  que  la feule beauté de  ce  
 Temple  m'y  attiroit  ,  &c que  je  ne  
 pouvois  me  laflTer de  regarder  un  lieu  
 qui  avoit  fi  longtemps  fervi  aux  
 Saints  Myfteres  de  a  Religion  
 Chrétienne.  Le  bon  vieillard  me  
 prit  tout  tremblant  par  la  main,  &  
 me  dit  les  larmes  aux  yeux.  M  t  
 mon  enfant  !  Si  nos  Teres  n'étaient  
 jamais  entrez  qu'avec  refpeâî  dans  
 S.  Sophie  ,  comme  les  Turcs  font  aujourd'hui  
 ,  nous  ferions  encore  les  
 Maitre  s  de  cette  Eglife,  mais,  continua  
 t'il  ,  ®ziB  qui  eft jaloux  de  
 l'honneur  de  fa  matfon  a  puni  plus  
 févérement  ce crime  des  Grecs  ,  que  
 tous  les  autres  péchez  qu'ils  pouvoient  
 avoir  commts.  La  dcfllis  il  me  
 raconta  au  long  ce  qu'il  avoit  fouvent  
 oui  dire  à  fon  Grand-pere  fur  
 ce  fujet  ,  &  il  me  dit  entre  autres  
 chofes  que  l'orgueil  étoit  monté  fi  
 haut  fous  le  regne  des  derniers  Empereurs  
 Chrétiens  d'Orient  que  les  
 perfonnes  de  qualité  ,  &  celles  qui  
 avoient  quelque  bien  ,  entroient  
 même  à  cheval dans cette Eglife,  ou  
 s'y  faifoient  porter  en litiere,  de forte  
 que  fouvent  elle  étoit  falie de  l'ordure  
 de  ces  animaux.  Et  il  ajoutoit  
 M  3  que  
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