2 2 2 V O Y A G E au L E V A N T
libéralité Le Conrul Torrdli me confeilla
d'un Mai- un jour d'aller avec l'Interptete voir
diand ^^^ ^IJJ Marchand Turc qui devere^
"ra meuroit à Coulac , & qui venoit
pauvres, fouvent rendre vifite au Confuí. Il
nous receut d'une maniere pleine
d'amitié, & fit d'abord apporter du
CafFé & du Tabac: C'étoit un homme
de quatre vingt quatre ans, de
fort bonne mine, & qui avoit une
grande barbe blanche : Il avoit fait
r vqiage de la Mecque jufqu'a huit
fois , & chaque voiage lui avoit
coûté environ vingt mille écus :
Car lors que l'eau commençoit à
manquer dans la Caravane, ce qui
arrive quelque fois, parce qu'on ne
trouve pas par tout de l'eau douce,
& que les autres provifions manquoient
anfli, il donnoit à tous du
Sorbet. Lors que je lui rendis vifite
, il le préparoit nonobftant fon
grand âge à y aller pour la neuvième
fois. 11 exerçoit toujours le commerce
, dont il faifoit aufli un très
bon ufage , car il étoit fort liberal,
& donnoit tous les ans dix mille
écus aux pauvres , ce qui lui avoit
acquis une eftime fi générale parmi
les Mahometans , qu'ils le regardoient
comme un Saint, jufques là
que lors qu'ils le rencontroient ils
baifoient fa robe. Il étoit aufli fort
ami des Francs , & lors que je le
quittai il me donna mille benediftions
, & me fouhaitta du bonheur
dans mon voiage de Jerufalem, &
un heureux retour dans mon pais;
tout cela avec autant d'aflíeítion &
de zele que fi nous euflions été lui &
moi d'un même religon.
Autant que ce digne Mahometan
étoit liberal , autant étoit avare un
autre Marchand Turc qui venoit
aufli tous les jours au logis du Confuí
: Il paffoit pour être fi riche qu'-
on ne pouvoir cftimer fon bien à
quelques Tonnes d'or près, & cependant
il ctoit d'une avarice fi fordidc
qu'il fc refufoit jufqu'a un ordinaire
raifonnable. Il arriva pendant
que je dcmcurois au Caire que
cet homme aiant quelque incommodité
, un Medccin vénitien à qui le
Confuí donnoit aufli fa Table lui
ordonna quelque remede: La depenfe
n'alloit peut-être qil'a quinze
ou fejze foùs -, mais quand le vilain
entendit parler de cette fomme, il
pâlit de frayeur, & dit qu'il croiroit
faire un grand péché s'il dcpenfoit
à une fois une fi grande fomme
pour fon corps. Ce qu'il y a de
furprenant en cela, c'eft qu'entre les
Turcs il y a plufieurs perfonnes qui
font de même fentiment » & qui
croyeht que quand ils meurent avec
de fi grandes^richeiTes, & qu'ils ne
s'en font jamais fervi, ils vont infailliblement
en Paradis en fortant
de ce monde. Tant il cft vrai que
l'avarice trouve par tout des prétextés
: Mais il n'eft pas neceflaire
d'aller en Egypte pour en avoir des
exemples.
La Charité envers les pauvres
étoit autrefois fort cqramune en ce
païsj Mais comme toutes les bonnes
coutumes fe perdent avec le
temps, felon qu'on y domie lieu,
tantôt d'une manière & tantôt de
l'autre -, celle-ci efl: auffi devenue
bien plus rare, 8c elle nefe trouve plus
gueres parmi eux.
Hors de la Ville du Caire , du
côté qui eft vis à vis du Château
il y a un Bourg appellé Caraffe ,
fameux pour être le lieu de la fepulture
de plufieurs parens de Mahomet
, & d'un nombre confiderable
de leurs Saints. Lors que
l'Egypte fleuriflbit fous la domination
des Mamelucs de Circaflie,
on comptoit dans ce Bourg, qu'-
on peut dire n'être proprement
qu'un grand Cimetiere , plus de
trois cens foizante Tombeaux élevez
, & de Mofquées des illuftres
Mahometans. Ces Mofquées étoient
comme autant d'Hôpitaux tous
bien rentez pour l'entretien des
Pauvres & des Pelerins Mahometans
qui alloient vifiter ce lieu de
devotion. C'eft pourquoi un Pelerin
qui venoit au Caire pouvoir demeurer
là un an fans qu'il lui en
coûtât rien pourvu feulement qu'il
allât tous les jours s'arrêter dans une
des Mofquées de ce Cimetiere, oii
on lui donnoit à manger & à boire
pour tout ce jour la. Mais depuis
que les Turc» fe furent rendus maîtres
en EG Y P T E. S Y R I E , &c.
très de l'Egypte fous Sultan Selim,
& qu'ils en eurent chafTé les Sultans
de Circaflie l'an p u . del'Egire, ou
1517. de la nailTance de Jefus
Chrift , tous ces Tombeaux 8c ces
Mofquées font tombez en ruine,
parce que les revenus en ont été
diflîpez par la Tyrannie des Baffas.
Entre les chofes extraordinaires
(Je faire qu'on voit au Caire, il ne faut pas
eclorreleSjjyi^l^gj maniéré dont on fait
le éclorre les Poulets par le moien de
moyen des certains fours. Je fus fort fâché de
n'en pouvoir faire l'experience ,
parce que ce n'en étoit pas le temps
lors que j'etois au Caire : Mais
comme ce qu'on m'en dit là fe rapporte
à ce que le S'. Thcvenot en
a écrit , j'inférerai ici ce qu'il en
„ dit dans fes voiages. Il femble,
„ dit-il, que ce foit une chofe in-
,, croiable de dire qu'on fçait faire
„ eclorre des Poulets fans faire
„ couver les oeufs par des POUIM ,
„ & encore plus incroiable qu'on
,, vende ces Poulets au boiffeau:
„ Cependant l'un & l'autre cft très
„ veritable, & voicy comment ce-
„ la fe fait. Ils mettent les oeufs
„ dans des fours qu'ils fçavent
chaufter d'une chaleur fi tempe-
„ rée , & qui fe rapporte fi bien à
„ la chaleur naturelle des Poules ,
„ que les Poulets qui en viennent
„ font aufli forts 8c aufli drus que
„ ceux qui font couvez à l'ordi-
„ naire. Ces fours font bâtis
„ dans un lieu bas & prefque fous
„ terre. Ils font faits de terre ,
„ ronds par dedans. Se le foier en
„ eft couvert d'étouppes &debour
2 2 3
,) matière dont ils fe fervent pour
„ les chauffer c'eft du fumier de
„ vaches, de Chameaux &c. qu'ils
„ mettent tout chaud à l'entrée de
„ chaque four , & qu'ils renouvel-
„ lent à mefuro qu'il froidit. Ils
„ continuent cela dix jours durant
„ au bout defquels ils mettent les
,1 oeufs qu'ils y arrangent en rond
„ jufqu'a huit mille dans chaque
„ four , où ils les pofcnt fur ces
„ etouppes Sx. fur cette bourre que
„ nous avons dit ; ils y demeu-
„ rent ainfi douze jours, au bout
„ defquels les Poulets fortent de
„ la coque , tellement que tout le
„ temps qu'on met à les faire cou-
,, ver n'eft que de vingt deuxjours-
„ C'eft une chofe aiTez divertiiTan-
„ te que de voir eclorre ces Pou-
„ lets , dont les uns ne montrent
„ que la- tête, les autres fortent la
„ moitié du corps , & les autres
„ tout à fait , Se des qu'ils font
„ fortis ils courent au travers de
j, ces oeufs» cequel'on voitavec plai-
„ fir pour peu qu'on s'y arrête.Quand
„ les oeufs font ainfi devenus Poulets
„ onlesaflèmbletous, 8c les mettant
„ dans des mefures qui n'ont point
„ de fond , on les emplit jufqu'au
„ haut , enfuite de quoi on levé
„ le boiflèau, 8c on les vend amfi
,, a ceux qui en veulent. L'argent
„ qui en provient fe partage entre
„ les Cophtes & le Maître des
„ fours.
„ Dans les quatre mois qu'ils
„ travaillent, ils mettent couver plus
„ de trois cens mille oeufs, mais
„ ils ne reuflSflênt pas tous. Ceux
qui ont l LIVCIL 11 C L U l i p pWû L'VJUI î , e gt>o uft un rp eu f-in- - - ,- dire
, pour mettre les oeufs def- ' „ i ent que les poulets éclos de
fus. Ils en ont douze en tout,;,, cette maniéré ne font pas de fi
„ fix de chaque cô" t é' , 8"c qui" font bon goût que ceux qui ont été
„ en deux rangs l'un fur l'autre, de
„ ibrte qu'à chaque rang il y a trois
„ fours. Ces deux côtezfont fépa-
„ rez l'un de l'autre par une allée
„ où vont ceux qui y travaillent,
„ qui font tous des Cophtes, &
,, oii peuvent aller auflî ceux que
„ la curiofité y attire. Environ la
mi-Fevrier ils commencent
couvez par les poules ; mais je
croi qu'il n'y a point d'autre difl^ercnce
que celle qu'y met l'ima-
„ gination ; 8c au rcfte quand il
„ y en auroit quelqu'une, ce fe-
„ roit toujours beaucoup d'uniter^
„ fi bien la Nature. ^
Au refte je ne fçai pas fi cette:
maniere de faire eclorre les oeufs,i
c h a u f l C T leurs fours, 8c continuenri cft la même par _ tout où ilf
ainfi environ quatre mois. Lajy a des fours ; Je m'en ferois fait
inftruiii
I'
Itl