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 ^vcc  quelques  Turcs  &  quelques  
 Anglois  aiîèz  loin  hors  de  la  ville,  
 •lux  environs  de  la  Riviere  que  
 nous  avons  dit  qui  pafle  auprès  de  
 cette  ville  ,  un  des  Turcs  lâcha  
 fon  faucon  fur  un  Canard.  Celui  
 ci  n'eut  pas  plutôt  aperçu  le  
 faucon  qu'il  iè  plongea  dans  l'eau  
 pour  eviter  fon  ennemi  :  Mais  le  
 faucon  le  fuivoit  toujours  en  frifant  
 l'eau  &  battant  des  ailes  dans  
 l'endroit  où  il  l'avoic  perdu.  Le  
 canard  qui  ne  pouvoir  pas  toujours  
 demeurer  fous  l'eau  ,  revint  
 au  deflirs  par  fept  ou  huit  fois,  
 mais  en  fe  replongeant  auilî  tôt,  
 de  forte  que  le  faucon  n'avoit  
 point  de  pnfe  fur  lui.  Cependant  
 Comb.itil  ne  perdit  point  patience  ,  &  
 du'fïru-jj  à  au  
 con&c.  dellus  de,1  eau.  Un  autre  qui  vit  
 que  ce  faucon  ne  pouvoir  tout  
 feul  être  maitre  du  canard  ,  lâcha  
 auilî  fon  oifeau  ,  croiant  qu'ils  
 en  viendroient  mieux  à  bout  quand  
 ils  feroient  deux:  Mais  le  premier  
 faucon  qui  crut  que  celui-ci  venoit  
 pour  lui  ravir  fa  proye  ,  lailTa  lâ  
 le  canard  ,  &  fe  jetra  fur  le  fau- '  
 con  avec  tant  de  furie  ,  que  
 celui-ci  ne  fçavoit  où  fe  cacher,  
 &  fon  maitre  eut  afl'ez  de  peine  
 à  le  garentit  lain  &  fau f  des  
 pourfuites  de  l'autre :  Mais  cela  ne  
 finit  pas  la  querelle  ,  elle  recom-;  
 mença  même  plus  dangereufe,  cari  
 le  faucon  irrité  voiant  que  le mai- j  
 tre  de  l'autre  defFendoit  le  mieux  
 qu'il  pouvoir  fon  oifeau  fur  lequel  
 celui-ci  faifoit  des  charges  continuelles  
 ,  il  fe  jetta  aufli  auffi  fur  
 le  maitre  même  ,  tellement  que  
 il  celui  du  premier  ne  l'eût  retiré au  
 plutôt  ,  ce  Turc  couroit  grand  
 rifqiie  de  ne  fortir  pas  du  combat  
 fans  en  porter  des  marques  ,  tant  
 .  ce  premier  faucon  fe  montroit  jaloux  
 &  vindicatif  de  ce  que  l'autre  
 lui  avoit  voulu  ravir  ià  proye,  
 f c "  de  temps  après  que  cela  
 fauSn  fcf«  arrivé  .  &  que  nous  en  parongrosoi 
 lions  tous  avec  etonnemcnt  ,  il  
 Ceaii.  paiTa  une  bande  de  gros  oifeaux  
 femblables  à  des  oyes  fauvages  ,  
 qui  voloient  au  delTus  de  nous  
 extrêmement  haut.  Aufli  tôt  on  
 lâcha  un  faucon  ,  qui  un  moment  
 après  retomba  avec  un  de  ces  oifeaux  
 jufqu'a  terre  ,  où  ils  s'entre  
 culbutoicnt  ;  Ils  fe  battirent  
 longtemps  ,  mais  comme  nous  
 étions  fur  une  montagne  aflez  elcarpée  
 ,  d'où  nous  ne  pouvions  
 courir  aiTez  vite  avec  nos  chevaux  
 ,  pour  aller  ôter  l'oifeau  au  
 faucon  ,  nous  eûmes  le  déplailîr  
 de  voir  que  le  faucon  qui  ne  s'en  
 pouvoir  rendre  maitre  à  caufe  de  
 la  groiTeur  de  cet  oifeau  ,  &  qui  
 ne  pouvoir  pas  non  plus  le  garder  
 fi  longtemps  ,  fut  enfin  obligé  
 de  lâcher  prife.  Cet  oiiéau  
 ne  fe  vit  pas  plutôt  degagé  de  
 fon  ennemi,  qu'il  reprit  fon  vol  
 en  haut  ,  où  le  faucon  le  fuivit  
 incontinent  ,  deforte  que  nous  
 les  perdimes  bien  tôt  de  vue  ,  &  
 nous  fumes  obligez  d'attendre  
 une  bonne  demie  heure  avant  que  
 le  faucon  revint  après  avoir  bien  
 pourfuivi  fon  ennemi  ,  mais  fans  
 l'avoir  pû  prendre  ,  parce  qu'il  
 étoit  apparemment  trop  las.  Toute  
 notre  expedition  fut  donc  fans  
 profit  par  rapport  à  la  prife  du  
 gibier  ,  mais  divertiflànte  par  
 rapport  à  la  chaiTe  ,  &  telle  que  
 ceux  qui  fe  font  un  plaifir  de  
 cet  exercice  ,  n'en  pourroient  
 fouhaitter  un  plus  grand  que  ce  lui  
 que  nous  eûmes.  
 Les  Anglois  ont  au/îi  ici  une  
 chaire fort agreable avec leurs levriers.  
 Cette  chafle  fe  fait  ordinairement  
 deux  fois  la  femame  :  Elle  commence  
 un  peu  hors  de  la  ville  ,  
 &  finit  à  peu  près  à  une  lieuë  de  
 là  à  un  certaine  montagne  qu'ils  
 appellent  la  montagne  "verte,  &  fur  
 laquelle  quand  la  chafle  efl:  finie  ,  
 on  va  dîner  fous  une  grande  
 Tente  [qu'on  porte  avec  foi;  
 Chaque  perfonne  eft  obligée  d'y  
 porter  fa  provifion  &  fon  vin  ,  
 Se  l'on  met  puis  après  tout  enfemble  
 afin  de  fe  divertir  cnfuite  
 de  la  chafle.  Il  y  en  a  toujours  Elíftion  
 E G Y P T E ,  S  YRÎE.&c .  
 j  Cl  - 
 un  de  cette  Nation  qui  porte  le-'''""'M-ijnom  
 de  Capo  ,  parce  qu'il  eftS.nè!  
 le  chef  de  la  Troupe.  Il  a  deux  
 Aflîflans  &  un  Trelbricr  ,  pour  
 l'aider  à  bien  conduire  les  affaues. 
   
 faires.  Tous  les  ans  on  en  élit  
 de  nouveaux  ,  &  cette  élection  
 fe  fait  à  la  pluralité  des  voix;  
 Celui  qui  en  a  le  plus  eft  aufli  
 tôt  élevé  au  deflt-is  des  autres  par  
 trois  ou  quatre  perfonnes  ,  qui  le '  
 mettant  fur  leurs  cpaules  le  portent  
 chez  le  Conlul,  qui  aflifte  
 ordinairement  à  cette  chafle  :  Là  
 chacun  promet  de  le  rcnconnoitre  
 pendant  toute  cette  année  pour  
 leur  Capo  ,  &  lui  pour  reconnoitre  
 cet  honneur  ,  à  la  premie- [  
 re  chafle  que  l'on  fait,  traitte  ñula  
 montagne  verte  tant  le  Confuí |  
 &  la  Nation  ,  que  les  autres  perfonnes  
 qui  aiment  la  chaffe  &qüi',  
 fe  veulent  joindre  à  leur  compagnie. 
   Afin  que  cela  fe  faffc  avec  
 plus  d'éclat  ,  il  y  a  quelques  per- 
 Ibnncs  qui  ont  ordre  exprcs  de  le  
 rendre  à  un  certain  endroit  de  cette  
 montagne  deux  jours  auparavant  
 ,  où  il  y  a  bonne  chafl'e  de  
 fangliers  ,  afin  qu'on  ne  manque  
 pas  de  cette  venaifon.  J'eus  le  
 bonheur  ,  pendant  que  je  demeurai  
 à  Alep  ,  d'aflifter  avec  plufieurs  
 autres  Hollandois  à  cette  
 agreable  ceremonie  ,  &  de  boire  
 à  la  fanté  du  Capo  en  criant  Hufay, 
   à  la  maniere  des  Anglois  dans  
 ces  fortes  de  rejouiiTances.