ment à rien. Ne vous en mêlez pas, laissez-les se lancer
réciproquement à la tête rénumération de lëurs
hauts faits; ils seront bientôt fatigués, et tout se terminera
à l’amiable : quant à se battre, n’ayez nulle
crainte. » Il avait raison. Bientôt nous eûmes la satisfaction
de voir les deux partis s’accorder, et convenir
que, quel que fût le chemin que nous choisirions, ils
partageraient le bénéfice qui devait résulter du transport
de nos bagages, en fournissant chacun part égale
de bêtes de somme.
Rien ne souffrit donc de cette altercation que notre
bourse, qui fut le gage de la paix, et qu’on se promit
bien d’exploiter le lendemain. Au reste, nous leur devions
bien une rémunération pour le spectacle qu’ils
nous avaient donné. Voir de chaque côté ces deux ou
trois cents sauvages avec leurs costumes bizarres, bondir
comme des chevreuils et prendre les poses les plus
martiales pour se défier, c’était là une scène fort originale.
Elle me rappela involontairement le tableau des
Sabins de David, car les acteurs n’en semblaient pas
moins poser que les héros de l’illustre peintre, sans
se faire plus de mal qu’eux. Sur ces entrefaites la nuit
était venue. Une fois d’accord, les deux partis fraternisèrent
autour de grands feux, où sans doute il fut
question de la traite des blancs; pour nous, retirés à
l’écart, nous ne comprenions rien à leur langage et
nous contentions d’admirer de tous nos yeux les
étranges effets produits par la réverbération des
flammes sur ces peaux noires.
Mais le lendemain il nous fallut toute notre force et
l’ascendant de notre supériorité morale pour réduire
à de justes proportions les demandes ridicules qui
nous furent faites. On voulut d’abord ouvrir nos caisses
sous prétexte qu’elles étaient trop lourdes pour être
chargées sur des boeufs, mais en réalité pour voir
ce qu’elles contenaient ; nous nous y opposâmes
obstinément; les propriétaires des boeufs parurent
alors fort disposés à nous faire passer une deuxième
nuit au pied du Tarenta. Cependant une discussion
de trois heures, vingt et un thalers promis pour la
charge de vingt et un boeufs, et notre attitude ferme
et résolue, mirent un terme à tous ces embarras, et
vers quatre heures nous nous acheminâmes vers
Halaye. La nuit qui survint nous força de camper sur
le premier gradin.
Nous nous endormions à peine sous la garde de nos
sentinelles, lorsque des cris sauvages nous réveillèrent
en sursaut. En ouvrant les yeux, nous nous trouvâmes
entourés par un double rang de sauvages demi-nus,
qui tenaient d’une main la lance et de l’autre une
torche enflammée. De temps à autre un guerrier sortait
des rangs et faisait tournoyer un javelot au bruit
des chants de ses compagnons. Cette démonstration,
toute pacifique heureusement, n’avait d’autre but que
d’obtenir quelque récompense, et nous nous quittâmes
fort contents les uns des autres, nous pour le singulier
spectacle qu ils nous avaient donné, eux pour les deux
thalers dont ils furent gratifiés.
Aussitôt rentrés à Halaye nous nous disposâmes à
nous rendre a Adoua, capitale du Tigré, où nous