débouchait un ravin conduisant au pays taltal. La
tente du général en chef était placée sur une petite élé-
vation en forme de château fort, et tout autour, dans la
plaine, se dressaient les tentes des principaux officiers
contre lesquelles étaient groupées circulairement les
cahutes en paille de leurs soldats. Ces cahutes elles-
mêmes formaient, par leur disposition, un emplacement
vide, où étaient attachés les chevaux, les mules et les
bestiaux, et dont une partie servait d’aire à battre le
grain. Aussitôt arrivé, je me mis u ü en quête d’une place
commode pour ma tente, et en ayant trouve une
convenable près de celle qu’occupait l’âfa négousse,
c’est là que je la fis dresser. Mais mon baldaraba eut
la politesse de se montrer fâché que je ne fusse pas
venu chez lui ; je fis donc replier ma tente pour la placer
dans son camp, et, de son côté, il alla prévenir Oubié
de mon arrivée. Immédiatement après, je fus introduit
et parfaitement accueilli. On me demanda d’abord des
nouvelles de la me r, car chacun s’intéressait à l’arrivée
de l’aboune. Je dis confidentiellement à Oubié ce que
j’en savais, et me tins avec les autres sur la réserve.
Il en témoigna une grande satisfaction, ainsi que du
baril de poudre que je lui avais apporté. Il se
montra sensible à la maladie de Schaffner, et donna
aussitôt des ordres pour qu’il lui fût délivré une mule
et quelques autres présents ; quant à moi, il m’engagea
à faire au camp un aussi long séjour que je le
voudrais, m’assurant que tant que j ’y resterais, je ne
manquerais de rien.
Le lendemain je vis arriver cinquante belles vaches
et une trentaine de mules chargées de miel : on m’apprit
qu’elles venaient du Ouodgérate, et qu’elles étaient
envoyées à Oubié par le chef de cette province, Bal-
gada Aréa, en signe de soumission. Ce fut une occasion
de me faire raconter l’histoire de ce jeune seigneur,
qui, comme on le verra plus ta rd, joue un si
grand rôle dans l’histoire contemporaine de l’Abys-
sinie.
Balgada Aréa est neveu du ras Ouelda Sallassé.
Ainsi que Guébra Rafaël, Abba Haïlé, et tant d’autres,
il s’associa à la fortune de Cassaye, et, à la bataille de
Ferasse Maye, il partagea avec ces seigneurs l ’honneur
de porter les derniers coups. Cassaye vaincu se réfugia
sur l’Amba Loule, d’où nous avons vu par quelle supercherie
Oubié sut le faire descendre. Une fois ce chef
dans les fers du vainqueur, la plupart de ses généraux
firent leur soumission : Aréa et quelques-uns des
chefs qui avaient le plus courageusement combattu à
Ferasse Maye, n’abandonnèrent pas encore la partie.
Seul avec une poignée d’hommes, Aréa disputa longtemps
encore les provinces du sud à Oubié ; et dans
cette lutte si disproportionnée, le héros tigréen accomplit
quelques-uns de ces miracles de courage, d’énergie
et de générosité qui forcent tout le monde à l’admiration,
amis ou ennemis. Oubié lui-même parut désireux
de rallier à son parti ce caractère chevaleresque,
et lui fit le premier des propositions d’accommodement.
Il lui offrait de lui laisser le gouvernement de l’Ouod-
gérate, à condition de payer un tribut annuel, et de ne
plus inquiéter les provinces qui depuis longtemps