pondre, et partit, croyant par là tout finir. S’il eût
mieux connu le caractère abyssin, il se fût gardé d’en
agir ainsi. Ce jour même il fit trois lieues, et vint passer
la nuit dans un village, où son domestique s’évada
après l’avoir dévalisé. Le lendemain matin, à peine
avait-il fait cent pas hors du village, qu’il fut assailli
par une trentaine d’hommes armés, à travers lesquels
il s’ouvrit bravement un passage avec son sabre. Atteint
de deux javelots, il les arracha de ses blessures pour
continuer sa course ; mais au bout de quelques pas ses
forces l’abandonnèrent, et il tomba baigné dans son
sang. Les bandits étaient heureusement trop occupés
à piller ses bagages pour s’occuper encore de lui. 11
resta longtemps sans connaissance ; quand il reprit ses
sens, il eut le courage de se traîner jusqu’à une chaumière
voisine, et se présenta à la porte de la cabane,
pâle, sanglant, sans autre vêtement qu’un caleçon déchiré.
La femme qui l’habitait eut une frayeur mortelle
; mais la pitié du coeur féminin l’emportant sur
la peur, elle s’empressa de laver ses blessures avec
de 1’ eau fraîche, et d’aller chercher des plantes propres
à hâter leur guérison. En parlant des soins maternels
de cette bonne vieille, q u i, pendant le temps
qu’il demeura chez elle, partagea avec lui sa maigre
chère et lui donna jusqu’à la toile dans laquelle elle
s’enveloppait, M. Évain ne pouvait s’empêcher de
verser des larmes d’attendrissement, qui furent, du
reste, les seules marques de sa reconnaissance; car il ne
possédait plus une obole, et ne savait pas un mot de
la langue du pays.
Le troisième jour, M. Évain, se sentant mieux, ne
voulut pas rester plus longtemps à la charge de sa
pauvre hôtesse, et partit après s’être renseigné tant
bien que mal sur la route qui devait le conduire au
Choa; sans doute les indications n’avaient pas été
mieux comprises que les demandes, et notre voyageur
se fût trouvé fort embarrassé s’il n’avait fait rencontre
d’un homme qui suivait le même chemin que lui, se dirigeant
vers le même but. C’était une bonne fortune dont
il se hâta de profiter, et le voilà derechef par monts et par
vaux, fort ménager de paroles, on peut le croire, avec
son compagnon ; car ses acquisitions de: langage se
bornaient à quelques mots arabes qu’il appliquait à
peu près comme Sancho les proverbes. Mais il était
tout entier au bonheur de la locomotion, et s’inquiétait
aussi peu des pays par lesquels il passait qu’un affamé
ne s’informe des mets qu’on lui sert. lise rappelait cependant
qu’après avoir voyagé pendant plusieurs jours
au milieu de populations musulmanes , il était arrivé
chez un certain Ato Badelou, qui fut son cauchemar,
comme le roitelet de Gouel avait été celui de MM. Combes
et Tamisier. On l’invita à se reposer ; il demanda de
quel droit, et voulut passer outre; on insista, et il se
fâcha tout rouge, tellement qu’on le fit rester de force.
Il y avait là une violation: de la liberté individuelle si
inexplicable pour M. Évain que, son imagination
aidant, il soupçonna les projets les plus odieux contre
sa personne, et la nuit étant venue, comme d’ailleurs
ses mouvements étaient libres, il en profita pour
s’échapper. Mais il ne pouvait aller loin sans être re