considérations qui précèdent, nous dirions que
l’histoire de l’Abyssinie nous semble venir en
vérification de cette loi générale : qu’un peuple
ne saurait rester stationnaire, et ne peut cesser
de mareher dans la voie du progrès à moins de
déchoir. Dans quelques sociétés d’Europe, lorsque
ce progrès est venu se heurter contre l’immobilité
de certains organes, il les a brisés ou modifiés ; il
est bien résulté de là des troubles plus ou moins
forts de l’économie générale, constituant ce qu’on
appelle des révolutions ; mais la vitalité n ’a pas
tardé à rentrerdans sa voie normale. En Abyssinie,
il n ’en a pas été ainsi ; son isolement a corroboré
sa faiblesse organique, pour empêcher toute réaction
forte et bienfaisante, et à l’exemple de ce qui
arrive dans les tempéraments débiles, la maladie
a pris l’allure d’une chronicité qui l’a conduite
doucement, mais inévitablement, au tombeau;
état qui accuse, comme on le voit, plutôt une
décrépitude qu’une maladie temporaire.
Pour clore cette discussion, il nous reste à parler
de son utilité pratique, et dire en quoi elle se
rattache au but spécial de notre mission. Ayant
reçu l’ordre de faire une étude particulière des
ressources commerciales qu’offrait le pays, il nous
a semblé que, pour juger a priori la question de
l’établissement de rapports commerciaux, il n ’était
pas sans importance de décider si quelque essor
que ce soit de ce genre en Abyssinie ne pouvait
résulter que d’une reconstitution politique. C’est,
quant à nous, notre ferme conviction : non pas
qu’il soit impossible de créer exclusivement un
certain commerce d’échange , mais il sera sans
consistance et sans durée.
Cette idée justifie le plan que nous avions conçu
d’une alliance politique de la France avec Oubié,
l’un des chefs les plus importants, et, sans contredit,
le plus capable et le plus habile de l’Abyssinie.
Ce prince rêve encore l’unité de l’empire, mais il
sent que cette oeuvre est encore plus difficile de
son temps que du temps du ras Mikaël. Je le trouvai
donc parfaitement disposé à reconnaître combien
lui serait utile l’intervention d’une puissance
européenne q u i, en fournissant des moyens de
conquête plus rapide, lui apporterait aussi, tout
faits, des plans de réforme.
Voici comment est divisée politiquement l’Abyssinie
à l’heure qu’il est :
Le Tacazé, depuis sa source au 12e degré jus-r
qu’au 17e degré, forme la séparation des deux
premières divisions, l’Amarah et le Tigré ; au sud
est le Choa, la troisième division, qui s’étend
jusqu’au 8e degré. Oubié, conquérant du Tigré,
possède encore le Semiène, le Ouolkaïte et le Ouo-
guera , dont la limite va jusqu’à deux lieùes de
Gondar. Il tient en respect les tribus de pasteurs