possible, pour la première fois, de dresser une carte
exacte de cette contrée. Il est tout au moins douteux
qu’on puisse y circuler aussi librement sous l’autorité
réintégrée du sultan ; ç a été là une des premières et
fâcheuses conséquences de ce traité de 1840, la plus
rétrograde des conventions stipulées entre les puissances
qui se disent à la tête du monde civilisé.
Nous avions quitté Cosseïr avec un vent d’est qui
couvrait la terre d une brume épaisse, et en arrivant à
Djeddah, un brouillard de même nature déroba à nos
regards le littoral d’Arabie. Ce ne fut donc qu’en
partant de Djeddah que nous pûmes jouir pour la première
fois de l’aspect des côtes de la mer Rouge. Le
temps était clair et le coup d’oeil magnifique. Bien que
le rivage ne fût qu’une plaine aride composée de travertins
et de concrétions, les inégalités dé ce terrain
rocailleux se fondaient à distance dans des lignes d’une
large perspective. Au delà de cette lisière, commençaient
à se superposer les gradins du plateau, procédant
par plans d’une immense étendue,- qu’inondaient
des torrents de lumière; et du jeu capricieux de ces
simples éléments s’harmonisaient mille teintes fauves,
bleuâtres, floconneuses et transparentes, aussi impossibles
à trouver sur la palette de l’artiste que dans le
spectre du savant. Rien ne peut égaler le grandiose de
ces sites d Orient, composés avec la terre b ru n e , et le
ciel bleu, mais par ce grand peintre, le soleil.
C’est sur le premier de ces gradins que se trouve
Taïfa, surnommé le jardin de la Mecque; sur le second
s étend la fertile province de l’Assir qui produit tous
les fruits d’Europe. La population s’en est rendue célèbre
par la longue résistance qu’elle opposa à Méhé-
met Ali ; mais elle finit par succomber sous les efforts
/du pacha, et tel avait été le sort de toutes les provinces
d’Arabie, lorsque le traité de \ 840 vint le forcer à renoncer
à des conquêtes si chèrement achetées.
Les crêtes de ces montagnes d’Arabie sont fort élevées
: plus tard, nous reconnûmes dans les Alpes d’A-
byssinie les mêmes formes et une constitution géologique
identique. Les Arabes que je consultai me dirent
que l’aspect des deux côtes était uniforme depuis
Suez jusqu’à Hodeïdah; mais qu’à partir de cette latitude,
le littoral de l’Arabie offrait une fertilité à laquelle
elle devait son nom d’Arabie Heureuse. Néanmoins
la plaine ne s’étend pas partout jusqu’à dix
lieues'dans les terres; en beaucoup d’endroits les ramifications
de la chaîne arrivent tout près de la côte ;
en d’autres, le rivage s’est soulevé d’une manière
ahrupte ; ces soulèvements se sont même étendus jusqu’au
lit de la mer Rouge, et en ont fait surgir plusieurs
îles. L’une des plus remarquables est celle de Djebel-
el-Tir, qui renferme un cratère éteint où les barques
viennent recueillir du soufre.
Au sortir de Djeddah, il fallut de nouveau nous
engager dans ces innombrables rescifs madyéporiques
que nous avions déjà traversés. A quatre heures du
soir nous nous arrêtâmes dans une crique où il n’y
avait pas assez de place pour jeter l’ancre; mais aux
approches de l’entrée, deux nègres se jetèrent à la mer,
emportant chacun un bout de corde qu’ils amarrèrent