cloîtrées de la politique d’Oubié, regardaient la venue
de l’aboune comme le signal de la délivrance des prisonniers.
On s’y attendait, on allait partout le répétan
t, et lui-même avait promis d’y employer ses
efforts.
L’éclat de la réverbération d’un beau soleil sur
l’acier poli des lances n’était pas diminué par le nuage
de poussière que soulève toujours la foule dans nos
routes d’Europe, car on s’avancait au sein d’une vallée
toute verdoyante. A chaque instant la marche était interrompue
par le chapitre entier d’une église voisine
qui venait rendre hommage à l’aboune, et c’était alors
une répétition de la cérémonie du chant.
Je n’eus pas la patience d’attendre, et je laissai la
procession dans la vallée de Memessa, pressé que j ’étais
de rejoindre M. Petit pour aviser à ce que nous aurions
à faire au retour de M. Yignaud. Je pensai qu’il était
indispensable de quitter le Tigré avant que le départ
d’Oubié eût rendu aux chefs tigréens l’espoir de
secouer le dur joug qui leur était imposé ; car s’il
survenait une révolte, la circulation ne manquerait
pas d’être embarrassée, et notre travail interrompu.
Je tombai des nues en retrouvant chez nous le
voyageur qui était parti depuis six ou sept mois
pour Zanzibar, et dont on nous avait annoncé la mort.
Je le revis aussi gai, aussi entreprenant, aussi rond
qu’auparavant; seulement, n’ayant sans doute plus
rien à perdre, il était devenu plus communicatif, et
il commença par me dire son nom , M. Évain, puis son
histoire, que voici.
CHAPITRE SEIZIÈME.
SOMMAIRE.
Voyage de M. Évain et ses aventures. —Entrée de l’aboune à Adoua.
—Son premier coup d’État. — Son ignorance. Arrivée d’Oubié. —
Son entrevue avec l’aboune. — Ils partent ensemble. — Départ de
MM. Petit et Évain pour Messoah.
Nous avons vu de quelle manière M. Évain était parti
pour Zanzibar. Arrivé jusqu’au Lasta sans trop d’encombre,
l’accueil engageant du choum Taferi le fit
s’arrêter à Sokota, capitale du Ouague. Mais notre
compatriote (car M. Évain était Français) n’était pas
homme à s’endormir dans les délices du repos; au
bout de quelques jours il voulut reprendre sa route, et
le déclara à son hôte, qui n’y mit nul obstacle, mais
lui demanda, comme souvenir, un joli sabre qu’il portait
au côté. C’était certainement, après sa vie, la
chose à laquelle M. Évain tenait le plus; aussi refusa-
t-il assez nettement. Le désir du choum, qui avait sa
raison non moins impérieuse, ne fit que s’en accroître,
si bien que M. Évain se crut en droit de ne plus lui ré