Après avoir repris haleine , nous recommençâmes à
gravir ce chemin rocailleux et difficile, au bout duquel
commence la province de Ouoguéra. L’aspect de notre
route s’améliora et nous présenta alors une plaine couverte
de prairies. Jusqu’à la descente de Bambelo, à
deux lieues de Gondar, la plupart des ruisseaux de
cette province alimentent la Belessa, un des affluents
les plus importants du Taccazé. Autant que j’ai pu en
juger, les plaines du Ouoguéra forment le versant méridional
d’une chaîne qui s’incline brusquement au
nord, en face des provinces du Tagadé et du Ouolkaït,
et cette chaîne n’est autre chose que le prolongement
de celle du Sémiène.
En partant du Lamalmon, nous stationnâmes successivement
à Debarek, Chimbera-Zeguéne, Isâk Debeur,
et le vingtième jour après notre départ d’Adoua, nous
entrâmes dans la capitale de l’empire d’Éthiopie, qui
n’est aujourd’hui qu’une ville en ruines et dépeuplée;
mais les châteaux gothiques bâtis par les Portugais, et
l’étendue même qu’occupent ces ruines, lui donnent
un certain air de grandeur qui sont des témoignages
suffisants de son ancienne prospérité.
Gondar est bâtie sur une colline qui s’étend comme
un promontoire vers le lac Tsana, dont elle est distante
de quatre lieues environ. Ainsi que dans toutes les villes
d’Abyssinie, les chrétiens et les musulmans y habitent
des quartiers séparés : les premiers occupent la partie
plane qui forme le sommet de la colline : c’est là que
s’élèvent le palais impérial et la maison de l’Etchégué.
Le quartier musulman commence sur le versant de la
colline qui fait face au lac, et se termine dans la
plaine, non loin du point de jonction de la Kaha et de
l’Anguereb, deux petites rivières qui baignent, l’une à
l’est, l’autre à l’ouest, les murs de la ville. Chaque
jour le quartier musulman prend de 1 accroissement,
tandis que celui des chrétiens perd de son étendue, ce
qui tient à .ce que les musulmans sont en possession
du commerce et des principales industries, et peut-
être aussi au désordre du gouvernement de l’Amarah.
Les professions exercées par les musulmans concernent
la fabrication des étoffes, la sellerie et le tannage
des cuirs; ils ont aussi le monopole des douanes :
les chrétiens, à l’exception d’un petit nombre, qui
sont négociants, ne font d’autres métiers que ceux de
soldats et de laboureurs, et laissent à des castes étrangères,
groupées autour de Gondar, les travaux dédaignés
par les musulmans.
La plus importante de ces castes est celle des Felaehas,
ou juifs. Ils étaient autrefois répandus dans presque
toutes les provinces : on n’en rencontre plus aujourd’hui
que dans le pays de Dembéa, Sekkelt, Alafa,
Tchelga. Leur origine paraît moins douteuse que celle
des autres Éthiopiens ; tout porte à croire qu’elle remonte
à l’époque des nombreuses émigrations du
peuple hébreu. Issus d’une civilisation plus avancée,
et qui s’est maintenue, quoique affaiblie, ces Felachas
ont conservé leur ancienne prééminence ; eux seuls
sont exempts de tout impôt et affranchis du service militaire.
Ils pratiquent librement leur religion, dont les
bases sont le livre de Moïse, les psaumes de David et