vanité du chef, et surtout celle de son oncle qui était
bien autrement expressif dans ses démonstrations de
satisfaction. Ayant appris que celui-ci soupirait ardemment
après la possession d’un fusil qu’il n’osait
pas me demander, j’en envoyai chercher un dont je
le gratifiai. En outre, je le fis charger et tirer devant
lui pour lui prouver qu’il était en bon état, et sur le
désir qu’il en témoignait, je le fis charger de nouveau
et le lui donnai pour qu’il le tirât lui-même. Il lâcha
la détente assez bravement, tout en détournant la
tête, il est vrai. Cependant il fut si enchanté de sa
prouesse, qu’il se mit à sauter comme un enfant en
caressant son arme avec tendresse. Désormais, me
dit M. Cyprien, Matoua était à moi à la vie et à la
mort. J’offris à Mapou-teoa de lui faire tirer aussi un
coup de fusil ; il refusa en secouant la tête d’un air
visiblement effrayé. Décidément le bon prince ne m’a
point paru avoir les indices de la Combativité, et il a
bien eu raison d’adopter les paisibles préceptes de
l’Évangile, car il eût fait un triste guerrier*.
On vint me prévenir que le dîner était prêt. M. Ro-
quemaurel se joignit à nous et nous nous mîmes I
table. Mapou-teoa s’y comporta fort décemment et
apprit même à présenter son assiette pour la changer.
Mais Matoua ne put réussir à comprendre cette manoeuvre
qu’il trouvait sans doute fort inutile.
Mes deux sauvages furent émerveillés de notre luxe
européen et ébahis du nombre des plats qui parais4
Notes 89 et 90.
saient à ma table, quoique le service eût été bien
mesquin pour un gourmet. A ce propos, Matoua ne
pût même s’empêcher de s’écrier:
« Que nous étions simples, nous autres, de
« plaindre les blancs quand nous voyions passer leurs
« grands navires, en pensant qu’ils n’avaient rien à
« manger puisqu’ils n’avaient pas d’arbres à bord ! »
Voyant Mapou-teoa mordre à belles dents le pain
dont il paraissait très-friand, j’eus l’idée de lui demander
comment il l’appellait dans sa langue.
— « Pourquoi cette question? est-ce que nous con-
« naissions cela? »
Le père Cyprien me pria d’envoyer mon patron de
canot, Evenot, qu’il savait être tailleur, afin de couper
un patron de pantalon pour le roi. M. Roque-
maurel ayant fait observer en souriant que ce patron
ne pourrait pas servir à Matoua, colosse de 6 pieds
de haut et gros à proportion, Mapou-teoa qui devina
le sens de la plaisanterie, se mit à taper sur la bedaine
de son oncle en disant : « N est-ce pas , que
« c’est-là un beau patron pour Manga-Reva?»
Mapou-teoa n’en revenait pas de l’étendue du local
affecté à mon service particulier. Après s’être bien
fait expliquer et répéter que tout cela était bien
à jnoi : « Mais si tout cela est a lui, dit-il, que
a reste-t-il donc aux autres? »
Quiconque n’a vu que de dehors un navire de
guerre, même en Europe, ne peut se faire une idée
exacte de sa grandeur. Aussi, notre dîner une fois
terminé, je fis promener mes deux sauvages dans
ÎÂSo3ù8l..